Contracyclicité : moins de salaires et moins d’allocations

Publié le 4 mai. 2023
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La droite en rêvait, Macron l'a fait. Depuis le 1er février 2023, une modulation est introduite quant à la durée de l'indemnisation en fonction de la situation économique. Lors de périodes économiques dites favorables les conditions la durée d'indemnisation sera restreinte et reviendrait à la norme actuelle lors de période économiques moins favorables. Cela créée une inégalité de traitement entre privés d’emploi, à contrat, emploi et durée identique selon la période dans laquelle le privé d’emploi perd son travail. Les indicateurs de cette contracyclicité portent sur les chiffres du chômage au sens du BIT[2] via un coefficient minorant la durée des droits.

Selon notre confédération, il n’y aucune raison de faire porter les variations économiques aux travailleuses et travailleurs privés d’emploi. A l’inverse même il semblerait plus opportun que ces variations pèsent sur les employeurs et sur les grandes entreprises, qui sont eux les principaux acteurs en matière de recrutement, par exemple en augmentant les cotisations patronales, comme le propose la CGT. Aussi, et toujours dans le même sens, le principal vecteur d’emploi est l’embauche, non pas l’indemnisation. Il est vrai que de diminuer drastiquement les indemnités a pour but de conduire les privés d’emploi à accepter n’importe quel travail. Mais le but de l’assurance chômage n’est pas de pousser les travailleurs vers des contrats précaires qui les conduiront à nouveau vers des situations de chômage, de CDD en CDD, eux largement utilisés en permanence. Les privés d’emploi, sont les premières victimes du « marché du travail ». Aussi, les pénaliser en lieu et place de sécuriser les contrats et conditions de travail ne risque pas de faire réduire le nombre de chômeurs mais risque en revanche de faire augmenter le nombre de travailleurs précaires et de bénéficiaires des minima sociaux.

  • Une baisse de 25% des indemnités

Pour faire passer sa précédente réforme le gouvernement avait argumenté en disant qu'en diminuant les indemnités journalières tout en augmentant les durées d'indemnisation, il ne touchait pas au capital de droits. Le gouvernement a finalement décidé, après avoir réduit drastiquement  le montant des allocations (17% en moyenne en 2021), d'en réduire la durée.

Concrètement, cette réforme permet d’appliquer un coefficient réducteur de 0,75 à la durée d'indemnisation. Cela fait donc baisser la durée maximale des droits de 25%. La durée d'indemnisation ne pourra être inférieure à 6 mois mais au-delà de 6 mois de droits le coefficient sera appliqué automatiquement si le taux de chômage est inférieur à 9%.

Celles et ceux qui retrouvent un emploi dans les 3 mois par exemple n’y perdront pas, mais les 40 à 50% de privé-es d’emploi qui ont besoin de toute la durée vont être fortement pénalisés.

 

Pour exemple,

Un allocataire ayant ouvert 12 mois de droits n'en aura plus que 9. Un allocataire ayant ouvert 18 mois de droits n'en aura plus que 13,5. Un allocataire ayant ouvert 24 mois de droits n'en aura plus que 18. Un allocataire ayant ouvert 36 mois de droits n'en aura plus que 27.

Cela va fortement pénaliser celles et ceux qui ont le plus de mal à retrouver du travail, évidemment pas celles et ceux qui ont retrouvé un emploi avant d’avoir utilisé toute la durée de leur droit. Il faut noter que, plus largement que lors de la réforme 2021 et des précédentes conventions d’assurance chômage qui visaient les travailleurs précaires alternant contrats courts (CDD, intérim, etc) et périodes de chômage, ce coefficient s'applique à tou-tes, y compris les salarié-e-s se retrouvant au chômage après un licenciement économique ou une rupture conventionnelle, rompant un CDI.

Selon l'Unedic les économies sur les allocations se monteront à 4,4 Milliards € par an. Cela correspond à une nouvelle coupe de 11% du total des allocations, une coupe majeure, concentrée sur les fins de droit.

Le gouvernement, allié avec le patronat, Medef en tête, a donc deux objectifs au moins : d’une part il s’agit d’afficher pour l’extérieur des économies majeures (réclamées par le FMI par exemple) sur la catégorie de travailleurs les plus fragiles, d’autre part il s’agit de faire pression sur les travailleurs dans l’emploi. Cette « contra cyclicité » implique sans aucun doute des travailleurs de plus en plus précaires, poussés à accepter n’importe quel emploi, ainsi qu’un transfert important des allocataires de Pôle Emploi vers ceux de la Caf, qui verse le RSA, lui-même menacé d’une réforme à la baisse. Ce paramètre aura donc une incidence non seulement sur les travailleuses et travailleurs privés d’emploi eux-mêmes mais aussi sur les travailleurs en emploi :   un grand coup de main au patronat pour ne pas avoir à augmenter les salaires et améliorer les conditions de travail.

Les mêmes projets avaient été défendus par le patronat lors de négociations en 2016 et 2017, au nom des économies. Le Medef l’a voulu, le gouvernement l’a fait, en habillant la décision d’une volonté de faciliter les embauches. Baisser les droits des chômeur-ses n’a jamais créé un emploi ! Le ministre du travail espère d’ailleurs 100 à 150.000 créations en 2023, un volume faible et lié à l’activité économique réforme ou pas. A comparer aux 6 millions d’inscrit-es à Pôle Emploi, sans oublier le halo du chômage avec 1,8 de personnes non inscrites mais sans emploi.

Les tensions de recrutement largement mises en avant et surestimées sont d’abord liées, dans certains secteurs, à la faiblesse des salaires, aux mauvaises conditions de travail et à l’insuffisance de l’accès aux formations qualifiantes.

  • Des indicateurs factices:

Le gouvernement avait d'abord annoncé qu'en période difficile les indemnités seraient revues à la hausse. Finalement les indemnités seraient rétablies au niveau actuel, et dans des conditions… inaccessibles. Le gouvernement se base sur deux indicateurs pour savoir s'il s'agit d'une période économique favorable ou défavorable: le taux de chômage au sens du BIT en niveau et en évolution. Les seuils sont respectivement de 9% pour le niveau et de 0,8 points pour l'évolution trimestrielle. Ces seuils n'ont même pas été atteints lors de la crise du Covid. Il y a donc fort à parier que les indemnités seront toujours revues à la baisse pour tou.t.e.s les travailleurs privés d'emploi. Une usine à gaz donc prévoit un retour aux durées maximales actuelles en cas de retour « dans le rouge ». Fixer de tels paramètres est un complet enfumage car aucune prévision ne l’envisage. Il s’agit donc d’une pure baisse de droits, concentrée sur celles et ceux qui verront leur fin de droit se rapprocher rapidement.

En outre le taux de 9%, calculé selon la définition du BIT, n’inclut que les personnes n’ayant pas travaillé du tout : avoir travaillé une seule heure de travail fait basculer hors de la statistique officielle du chômage ! Or la précarité se chiffre en millions de travailleur-ses, phénomène majeur en expansion depuis des années et favorisés par les ordonnances Macron, avec des contrats de plus en plus courts.

  • La complexification des règles :

Il est déjà compliqué de connaître les règles de l’assurance chômage, peu lisibles. Les pressions diverses découragent souvent celles et ceux qui passent par Pôle Emploi (sanctions, radiations, trop perçus, manques de personnel pour répondre aux besoins…). Cela conduit déjà entre 300 et 800.000 personnes à ne pas avoir recours aux allocations chômage, souvent par méconnaissance, souvent pour les plus jeunes, les plus précaires. La CGT a mis 6 ans à obtenir un rapport sur le non-recours au droit, que le gouvernement a mis deux ans à sortir. La nouvelle réforme pourrait rendre totalement obscure les règles en faisant varier les droits selon le taux de chômage au moment de l’ouverture des droits.

  • La crainte de la riposte sociale

Le gouvernement visiblement inquiet des mouvements sociaux que cette réforme pourrait engendrer au regard de la paupérisation qu'elle instaure a été contraint d'épargner certains secteurs. En effet, les marins, dockers, intermittents, bénéficiaires de contrat de sécurisation professionnelle, expatriés ainsi que les territoires ultras marins ne se verront pas appliquer la contracyclicité par crainte de mobilisations trop importantes.

Cependant, les séniors se verront appliquer la réforme de plein fouet. Pour les plus de 55 ans les droits allant jusqu'à 36 mois n'iront plus que jusqu'à 27. Or au-delà de 55 ans il est nettement plus complexe de retrouver un emploi. Associée à celle des retraite cette réforme envoie donc les séniors, au mieux, droit vers les guichets du RSA.

  • L'absurdité de la réforme et l’inégalité devant l’emploi dans les territoires :

Le gouvernement avait initialement prévu de territorialiser la réforme en modulant les durées d'indemnisation en fonction du taux de chômage suivant le département. Forcé de revenir sur cette disposition pour des raisons légales d’égalité entre territoires, sauf pour l’outremer, il n'écarte pas la possibilité de le réintroduire plus tard. Cependant, la modulation des allocations selon le taux de chômage national revient à dire que l’on punit par exemple le métallo de l’Aveyron dont l’entreprise est délocalisée quand des emplois sont à pourvoir à la Défense dans l’informatique. En clair, on ne devient pas ingénieur informatique en trois semaines, et on ne peut déménager facilement sans perspective. De plus, la définition même d’un emploi vacant prête à discussion. D’après la DARES, seul 49% des emplois vacants sont réellement inoccupés, l’autre moitié correspondant à de nouvelles créations de postes pour lesquelles il est normal de prendre un peu de temps à recruter, ou à des postes qui vont bientôt être libérés. Enfin, puisqu’il peut s’agir de recrutement sur des contrats temporaires (saisonniers ou CDD), les privés d’emploi acceptant ces emplois finiront immanquablement par revenir au chômage à la fin du contrat.

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[2] Au sens du BIT (bureau international du travail) une heure de travail dans le mois suffit à sortir des statistiques du chômage. Cela exclue donc des millions de travailleuses et travailleurs précaires rien qu'en France

 

Repère revendicatif