La Sécurité sociale est une conquête du salariat et elle est financée par le travail, seul à créer de la richesse. Cela justifie sa gestion par les travailleurs et travailleuses qui sont par ailleurs les plus à même de définir leurs besoins, ceux de leurs familles, et les réponses à leur apporter. C'est l'un des fondements de la Démocratie sociale. Pourtant, depuis 1967, le gouvernement cherche sans cesse à prendre le pouvoir et on observe de plus en plus un déni de démocratie sociale. Dans ce qui suit, en partant de l'expérience de nos administrateurs et administratrices, nous décortiquons les méthodes du gouvernement ,que ce soit dans les caisses nationales ou dans les caisses locales. L'une de nos revendications principales pour faire revivre la démocratie sociale est le retour à l'élection des administrateurs et administratrices des caisses et le retour à des caisses de plein exercice.
- La sécu de 1945, un programme cohérent
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Il est important de rappeler que c'est le travail qui finance la Sécurité sociale. C’est important, parce que c’est aussi ce qui fonde la démocratie sociale.
En effet ce sont les richesses créées par les travailleurs et travailleuses, qui sont socialisées sous forme de cotisations sociales pour financer leur protection, leur sécurité sociale et leur bien-être ainsi que celui de leurs familles. Les cotisations sociales sont donc une partie du salaire des travailleurs mise en commun pour financer cette protection, de la naissance à la mort.
La cotisation sociale repose sur le principe de « contributivité » (chacun cotise selon ses moyens), principe fondamental, qui vient à la fois justifier politiquement une garantie d’accès aux droits sociaux pour les travailleurs, et légitimer la gestion par les salariés de leur Sécurité sociale suivant le principe de « celui qui paye, gère ».
En 1945, les fondateurs du système font le choix réfléchi de ne pas confier la gestion de la Sécurité sociale à L’Etat. Les fondateurs ont alors peur des restrictions budgétaires que celui-ci pourrait opérer. La Sécurité sociale doit avant tout répondre aux besoins sociaux politiquement définis par les travailleurs, les financements suivront. C’est la logique politique et démocratique qui guide la logique comptable et non l’inverse.
Le fait que les travailleurs gèrent la Sécurité sociale est le fondement du système. D’où la création de conseils d’administration locaux et nationaux dont les membres sont élus par les salariés eux-mêmes. C’est très important car qui mieux que les travailleurs peuvent connaitre les besoins de leurs collègues, amis, enfants etc. ? Les représentants des salariés sont eux-mêmes des salariés. Ils vivent le travail en connaissent les contraintes. Ils peuvent construire des réponses aux besoins au sein des territoires et les faire remonter au niveau national. Élus dans les entreprises, ils représentent l’ensemble des travailleurs, ce qui n’est pas le cas par exemple du Parlement où seuls 4% des élus sont ouvriers.
Cette conception de la démocratie sociale donne un élan énorme à l’institution. Partout, les travailleurs s’engagent et on assiste à un développement incroyable de la réponse aux besoins et au mieux-être des français : on pense aux progrès incroyables de la médecine financée par la Sécu ou encore au développement des retraites, au soutien au travail des femmes etc.
- La déconstruction de la démocratie sociale par l'État
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Dès l’origine du système, il est attaqué justement pour sa gestion démocratique en dehors de l’État et du marché. Plusieurs attaques s’enchainent, mais les ordonnances de 1967 portent un coup dur à la démocratie sociale. Elles créent des caisses nationales distinctes selon les risques sociaux couverts, imposant des équilibres économiques par risques. Elles suppriment les élections des représentants des salariés et elles diminuent leur représentativité au sein des conseils d’administration des caisses de Sécu, les CA composés de 2/3 de travailleurs pour 1/3 d’employeurs voient une parité s’imposer entre les employeurs et travailleurs. Pour la CGT ce fut un coup dur, un coup de force, une négation démocratique inacceptable. Les élections furent rétablies en 1983 suite à une promesse électorale du candidat Mitterrand, mais ne seront pas renouvelées dans les décennies qui suivront.
D’autres attaques seront portées à la démocratie sociale, notamment celle des ordonnances Juppé en 1996, instaurant les lois de financement de Sécurité sociale soumises au Parlement et les Conventions d’Objectifs et de Gestion. Cette loi transfère le pouvoir de gestion des caisses au Parlement et aux ministères au détriment des représentants travailleurs. Mais en plus, la gestion n’est plus entendue que comme une question comptable. On assiste depuis à une dérive gestionnaire de la Sécurité Sociale avec une logique de maîtrise des dépenses bien loin des besoins des assurés sociaux. Cela se traduit notamment par les Conventions d'objectifs et de Gestion signées par les caisses de Sécurité sociale avec l’État. Elles sont de véritables carcans budgétaires imposés aux assurés sociaux, entrainant des coupes claires, avec leurs lots de suppressions d'emplois aggravant la qualité de la réponse aux besoins.
Les Lois de Financement de la Sécurité Sociale sont une mise sous tutelle par les gouvernements des caisses de Sécurité sociale. Les finances sociales sont elles-mêmes sous la tutelle étroite de l'Union européenne dans le cadre du semestre européen qui prône régulièrement la baisse des dépenses publiques et des budgets sociaux.
Cette politique nie le sens de notre Sécurité sociale et de la démocratie sociale. Elle ne répond plus aux besoins sociaux, mais à des normes budgétaires ! Les caisses sont de moins en moins des espaces politiques de réflexions et de gestion, et de plus en plus des « chambres » d’enregistrement de décisions technocratiques. On parle souvent de partenaires sociaux pour désigner les organisations syndicales, mais un partenaire c’est celui qui participe et qui co-élabore. Or, il n’y a plus de « partenariat », il y a des projets imposés, ficelés qui arrivent et sur lesquels les représentants ne donnent qu’un simple avis.
C’est donc dans un contexte de négation démocratique que s’exerce le mandat des administrateurs et administratrices. Quatre exemples issus de l’expérience de nos mandatés illustrent la manière dont la démocratie sociale est de plus en plus niée et en quoi cela pose des problèmes importants, tant sur le fond que dans la pratique.
- Le mépris de l’État pour les conseils d'administration des caisses de Sécu
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L’État légifère par ordonnances et gouverne par décrets ou impose des feuilles de route non négociées et non débattues, issues de diverses commandes à des organismes divers tels que le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, ou encore France Stratégie. C’est souvent le cas pour les politiques touchant la petite enfance, la loi Asap étant la dernière en date. Les avis au CA de la CNAF sont demandés au dernier moment avec des documents fournis in extremis ne permettant pas toujours une analyse sereine et partagée. Les mesures sont prises au plus haut sommet de l’État dans une urgence organisée afin d’éviter tout débat sur des question pourtant centrales pour les assurés sociaux et leurs familles.
Il y a donc un manque de clarté quant aux prérogatives réelles du CA de la CNAF en matière de définition de stratégies et de politique familiale. Les administrateurs se demandent parfois si le CA n’est pas devenu une simple caisse d’enregistrement. On retrouve ces mêmes inquiétudes dans tous les conseils des différentes caisses.
- L’État, un partenaire autoritaire, mais inconséquent
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La mainmise de l’État s’établie alors même que celui-ci est un partenaire très peu fiable dans sa co-gestion et dans ses financements de la politique familiale.
La CNAF au niveau national et par conséquent les CAF au niveau territorial se voient constamment confier par l’État de nouvelles missions sans qu’il y ait discussion préalable sur ces dernières et sans en assurer le financement pérenne. Ainsi, alors que le contenu des Conventions d’objectifs et de gestion (COG) entre l’Etat et les caisses s’imposent à la branche, l’État vient modifier à sa guise… sa « quote part » dans les financements des mesures qu’il impose ! Par exemple, dans la précédente COG, des politiques sur l’aide à la parentalité ont vu les crédits de l’État dans les dispositifs partenariaux unilatéralement supprimés par la loi de Finances, entrainant des difficultés de fonctionnement dans plusieurs associations qui en dépendaient. Autre exemple, la COG a imposé la participation des CAF au financement des rythmes scolaires, puis la gestion de la prime d’activité, puis le transfert aux CAF de la gestion des points d’accueil écoute jeunesse (PAEJ) sans aucune discussion préalable ni garantie sur des financements pérennes. Ce transfert de compétence sans nouveaux financements met en danger l’équilibre financier des Caf, mais les restreint aussi dans leur politique liée aux territoires. Les administrateurs perdent ainsi tout pouvoir de définition des politiques locales car le peu de moyen qu’ils ont sont utilisés pour les politiques imposées par l’État.
- Une mainmise de l’administratif sur le politique, et du national sur le local
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La stratégie actuelle des administrateurs consiste à mêler plusieurs sujets dans une même décision et à organiser des votes en bloc. S’organise alors une forme de chantage politique : si les administrateurs pensent qu’une seule des mesures est bonne pour les assurés, même si les autres sont mauvaises, ils se retrouvent obligé de voter pour le bloc au risque de perdre la seule mesure positive. Par exemple conseil d’administration du 2 février 2021, les administrateurs ont dû se prononcer sur un plan baptisé « rebond petite enfance ». Ce plan comprenait 5 propositions certaines faisant consensus. Cependant la 5ème, concernant le financement des Maisons d’Assistants Maternels ne faisaient pas l’unanimité. Malgré cela le vote a été global ne permettant pas une véritable expression des administrateurs sur chaque proposition. D’ailleurs les 3 principales Organisations Syndicales ont voté contre l’ensemble du bloc à cause de cette procédure maintenue par la direction.
Ensuite, les décisions sont de plus en plus centralisées au niveau national (CNAF), les caisses, et par conséquent les CA et les administrateurs des CAF, perdent ainsi une grande partie de leurs pouvoirs décisionnels. Le dernier rapport de la Cour des comptes d’octobre 2020 sur la Sécurité sociale apporte à ce sujet une illustration concernant l’utilisation des fonds d’action sociale : « les fonds d’action sociale engagés de manière libre par les conseils d’administration locaux ne représentent plus que 14% du total en 2018 contre 60% en 1995. »
Les caisses locales doivent gérer leurs interventions sur des critères prédéfinis et avec des masses limitatives et non fongibles entre elles au risque de ne pas utiliser l’entièreté des fonds qui sont attribués en début d’année, car ils sont fléchés sur des politiques sans rapports avec les besoins locaux, alors même que de nombreux autres besoins ne sont plus couverts.
Le rapport de la Cour des comptes s’intéresse aussi aux commissions des aides individuelles et préconise de les faire disparaitre au motif de coûts de gestion qu’elles engendreraient ! C’est pourtant de plus de moyens dont les CAF ont besoin au regard du non-recours excessif aux prestations qui devient presque organisé par le manque de personnel. Pour exemple, le 25 mars dernier une commission d’action sociale extraordinaire de la CNAF votait à l’unanimité une enveloppe budgétaire de 50 Millions d’€ d’aides financières individuelles d’urgence pour les allocataires. Or, ceux-ci ne sont plus à même de solliciter une aide en raison de l’insuffisance des moyens humains de l’action sociale. En somme, c’est donc une gestion technocratique qui s’installe progressivement et seuls 34% des fonds d’urgence étaient mobilisés début décembre 2020 alors que la crise sociale continuait de faire rage.
Cette politique est dramatique pour les territoires car la centaine de caisses locales sont à la base de la démocratie sociale et locale ! Elles devraient pouvoir être de formidables terrains d’expérimentation pour les politiques sociales. Chaque caisse ayant des spécificités territoriales qui justifient des règlements différents, plus en phase avec les besoins locaux. Les administrateurs de ces caisses locales, représentants locaux des usagers, ont une connaissance précise et concrète de leur territoire, de la vie en tant que salariés, du tissu associatif, des élus, et des populations. C’est ce qui leur permet de proposer des évolutions des règlements locaux d’action sociale qui peuvent aussi être repris au niveau national.
La situation sanitaire que nous vivons aujourd’hui vient encore aggraver ce déficit démocratique. Nous sommes dans une situation atypique, mais la direction des caisses en profite pour nier toujours plus la démocratie sociale en imposant un caractère dérogatoire à un certain nombre de mesures présentées et votées dans la hâte. Au niveau local de nombreuses délégations aux directeurs ont été votées dans l’urgence en total mépris des instances démocratiques.
- La sortie des gestions directes pour plus de privatisation
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Le retrait de la gestion directe est un autre exemple dramatique, à la fois pour la démocratie, et pour la réponse aux besoins. La gestion directe, c’est quand les CA des CAF gèrent directement des services aux familles. Le rapport de la Cour des Comptes 2020 invite les CAF à sortir au plus vite de la gestion directe notamment pour les centres sociaux, les centre de vacances ou les crèches. C’est également un engagement pris par la CNAF dans la COG 2018-2022.
Or, se retirer, c’est financer d’autres organisations pour réaliser ces services et leurs imposer nos contraintes budgétaires en se dégageant de la responsabilité au risque d’une baisse de qualité, voire de la fin de tout un ensemble de services aux familles.
Le résultat est désastreux en matière de départs en vacances des familles et des enfants. De même la fracture sociale s’élargit dans les quartiers populaires où les centres sociaux cédés par les CAF ont bien du mal à retrouver preneurs. Ces gestions directes permettaient aussi aux CAF de donner l’exemple de gestion innovante et efficace socialement.
En lien avec la délégation de service évoquée, on assiste ces dernières années à un glissement important : le remplacement progressif du travail de débat démocratique par le travail de lobbying privé.
C’est vrai dans le domaine de la santé avec la privatisation des hôpitaux ou de la couverture de soins ou encore dans le domaine de la vieillesse devenus un marché surnommé « l’or gris », mais nous le constatons également dans les politiques familiales dans le domaine de la petite enfance.
Alors que ce secteur n’est pas un marché solvable, les entreprises de crèches privées lucratives, viennent capter des subventions publiques et les détournent de leur objet pour rémunérer des intérêts privés, et financer des bénéfices.
Ces entreprises déstabilisent la répartition des services petite enfance sur les territoires en se préoccupant essentiellement de la « profitabilité » de leurs activités.
Or, ces entreprises privées de crèche disposent aujourd’hui d’une représentation es-qualité au sein du CA de la CNAF. Quand des CA réagissent devant cette situation en bloquant ces implantations inappropriées, des pressions sont exercées au niveau national pour tenter de passer outre. On assiste à la même dérive en ce qui concerne l’aide à domicile, l’aide aux devoirs, la parentalité….
Par ce biais, la Sécurité sociale a tendance à répondre de plus en plus aux besoins des entreprises privées lucratives au détriment de la réponse aux besoins sociaux des usagers ! C’est un dévoiement total du sens de la Sécurité sociale.
Cela pose question : la Sécurité sociale a-t-elle aujourd’hui pour objet la profitabilité d’entreprises cotée en bourse ? À la CGT, nous ne le pensons pas.
Les Conseils d’administration sont donc des scènes d’expressions trop souvent négligées par le gouvernement comme par le Parlement, trop indifférents aux avis et positions arrêtés dans ces instances, même si la majorité émet un vote défavorable. Pour une vraie gouvernance par et pour les salariés et leurs proches, il faut donc refonder la démocratie sociale.
Tous ces exemples illustrent, le plus clairement possible, le glissement de la Gouvernance de nos caisses de Sécurité sociale vers une vision centralisée et de plus en plus Étatisée bien loin des principes créateurs de la Sécurité sociale pensée par le Conseil National de la Résistance, et surtout bien loin de la réponse aux besoins sociaux des usagers.
- Pour que la démocratie sociale vive, les propositions de la CGT
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Pour la CGT, pour que la démocratie sociale revive, il faut rétablir les élections des représentants des travailleurs pour que partout le débat sur la politique de Sécurité sociale vive.
Il s’agit ensuite de rétablir une vraie gestion par les administrateurs sans soumissions aux gouvernements. Pour la CGT il faut le rétablissement des CA de plein exercice, c'est à dire décisionnels en matière de budget, d'emplois et des politiques en matière de santé, de famille, de vieillesse et d’accident du travail.
Immédiatement et très concrètement, il faut aussi organiser des Conseils d’administration publics, voire télétransmis puisque les moyens techniques nous le permettent désormais. Il faut aussi trouver des modes de communication qui permettent une connaissance large au grand public des prérogatives des CA, et là peut être retrouverons-nous la fonction d’éducation à la solidarité qui existait dans le texte fondateur de la Sécurité Sociale.
On peut aussi se poser la question du statut et des moyens pour les administrateurs :
Quid de l’indemnité non revalorisée depuis au moins deux décennies de 30€, versée aux administrateurs pour une réunion d’une demi-journée nécessitant un temps de préparation et de compte rendu au moins égal, sans compter le temps du déplacement.
Quid du respect qui devrait leur être dû dans les protocoles de soumission des textes. Le travail demandé pour un mandat d’administrateur, même s’il est plus qu’enrichissant, exige une activité et une implication importante qui de fait se réalise sur le temps personnel de l’administrateur.
Pour la CGT, les préoccupations démocratiques doivent primer sur les préoccupations comptables.
Il n’y a pas de problème de coûts de la démocratie, mais un problème de financement. Aujourd’hui, les ressources affectées à la Sécurité sociale sont insuffisantes pour répondre aux besoins sociaux et aux progrès sociaux que la CGT revendique. Ce manque de financement est un choix politique : en gelant les cotisations sociales et en multipliant les exonérations, les exemptions, et multipliant les politiques de mise en précarité des salariés, les gouvernements diminuent les recettes et mettent en danger la Sécurité sociale. Les choix politiques à faire portent sur la répartition des richesses créées entre rémunération du Capital et valorisation du facteur Travail !