A propos du premier comité de pilotage interministériel contre l’endométriose
Temps de lecture : 4 min
L’endométriose en France
L’endométriose est une maladie gynécologique chronique touchant aujourd’hui, en France, 1,5 à 2,5 millions de femmes (soit à près 10% des femmes en âge de procréer). L’endométriose, par son manque de reconnaissance, souffre d’un délai d’en moyenne 7 ans d’errance médicale. A ce jour, il n’existe aucun traitement curatif pour guérir de l’endométriose, seulement des options thérapeutiques pour prendre en charge -et de manière limité- les différentes douleurs induites.
« Douleurs durant les règles, douleurs pendant les rapports sexuels (dyspareunie), douleurs pelviennes fréquentes… Autant de symptômes qui ne sont pas normaux chez les femmes et peuvent traduire les signes d’une pathologie encore mal connue : l’endométriose. »
Source : https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/endometriose
L’endométriose est une maladie grandement incapacitante, que ce soit physiquement, moralement, socialement, intimement etc. Par les stigmates qui lui sont appropriés et par les différentes discriminations que peuvent subir les femmes, l’endométriose peut être un véritable handicap pour la travailleuse, notamment dans le milieu de l’entreprise.
L'impact de l’endométriose ne se limite pas au milieu du travail : la maladie représente un reste à charge de 149,61 euros par mois en moyenne (du fait du mauvais remboursement des traitements) et 1 malade sur 2 a du renoncer à ses soins pour des raisons économiques (Source : Enquête nationale HEROIC santé auprès de 2022 malades d’endométriose, FEVRIER 2022).
Si ces chiffres sont déjà accablants, ils ne sont rien comparés à l’étude internationale menée par le réseau Endometriosis Crisis Connection. Sur 800 répondants, 84,9% ont eu des idées suicidaires à cause de l’endométriose, 49,3% ont vu des médecins qui pensaient qu’iels étaient à la recherche de drogue, 74,5% ont consulté un médecin qui leur a affirmé que leur niveau de douleur n’était pas réel, 55% ont quitté ou été licencié d’au moins un emploi, 13,4% disent rester célibataires à cause de la maladie et 32,9% disent que leur endométriose impacte leur relation intime de façon quotidienne.
Le 14 février dernier s’est ainsi déroulé le premier comité interministériel de lutte contre l’endométriose, à la suite d’un rapport transmis à Olivier Véran pour déterminer le « plan de bataille » contre la maladie, à l’échelle nationale. Plusieurs points nous interpellent ici, concernant la consultation interministérielle pilotée par le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran.
Ces points développés ci-dessous attirent particulièrement notre vigilance par ce qu’ils nous laissent à penser du possible futur traitement politique des maladies chroniques, du handicap et de la santé au travail en générale.
-
La rhétorique entrepreneuriale
-
Une méfiance doit se faire concernant l’approche de l’endométriose qui est actuellement promue par les instances gouvernementales et certaines associations.
L’endométriose est une maladie impactant l’ensemble de la vie des patientes : moralement, psychiquement, socialement, intimement, professionnellement, sexuellement etc. Il est cependant regrettable de voir trôner dans ce tableau, au même titre que le reste, l’impact économique de la patiente pour l’employeur … De même, au vu du nombre de patiente concernée par la maladie (plus d’une femme sur 10, entre 1.5 et 2.5 millions de françaises), était-il nécessaire de déployer l’argumentaire économique, en termes de coûts/dépenses/pertes ?
Un argumentaire qui n’est pas propre à ce rapport, puisqu’on le retrouve également chez certaines associations importantes de malades de l’endométriose.
-
La gestion du handicap et de la maladie chronique par le télétravail ?
-
L’inquiétude qui est présentée ici est la suivante : la normalisation de la « gestion » des travailleurs handicapé.e.s par le télétravail. Au vu de la proximité d’idée entre certaines associations de patientes d’endométriose et le gouvernement actuel sur ces idées, tout porte à croire que ce point sera un des projets récurrents du comité de pilotage stratégique nationale.
En effet, que ce soit par certaines associations de malades ou par le rapport délivré ce 11 janvier, le télétravail apparait comme l’aménagement propice aux patientes de l’endométriose :
Le sujet étant délicat, il semble important de faire un point ici :
Oui, les symptômes chroniques liés à l’endométriose peuvent être grandement douloureux et incapacitant, autant physiquement que moralement. Il est donc facile d’imaginer un aménagement où la patiente pourrait télétravailler tout en adaptant son rythme professionnel (horaires décalées, pauses, confort domestique etc.).
Cependant, ce serait nier alors toutes les questions d’inégalités face au télétravail : manque d’équipements, d’espaces, de confort de vie, perte du lien social, isolement, trouble entre vie privée/vie professionnelle etc. De plus, tous les métiers sont difficilement convertibles au télétravail.
Ce serait normaliser le télétravail (quand il est possible) contre l’arrêt maladie, le repos et le soin.
Ainsi, on peut légitimement appréhender que les politiques de santé au travail mettent un pied dans une gestion du handicap et de la maladie chronique par le télétravail.
Encore une fois, cette solution vient renforcer une triste réalité : c’est toujours aux travailleurs et aux travailleuses, à n’importe quel prix, de s’adapter au travail, et non l’inverse.
-
Les autres revendications exclues du rapport
-
Le mois de janvier a vu la proposition de résolution de la député LFI Clémentine Autain adoptée à l’assemblée. Cette résolution ancre la demande de prise en compte de l’endométriose non pas en tant qu’ALD 31 (hors liste, nécessite un parcours de reconnaissance de la part du patient.e) mais en ALD 30 (prise en charge à 100% de la Sécurité Sociale, reconnaissance automatique de la maladie). Une proposition qui, bien qu’actée, attends encore le bon vouloir du gouvernement pour sa prise en compte[1].
Si l’on se réfère au rapport, il semble bien qu’il n’est pas question de passer à l’ALD 30 pour l’endométriose :
Une reconnaissance qui permettrait pourtant de faciliter l’obtention de la Reconnaissance en Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH) et ouvrirait donc la voie à de véritables aménagements et obligerait la prise en compte de la situation par l’employeur, sans isoler la patiente du collectif du travail par le biais du télétravail.
[1] « *Contrairement à une proposition de loi, un projet de résolution est d’ordre réglementaire : il n’a pas de valeur contraignante, mais marque l’expression d’un souhait ou d’une préoccupation de l’Assemblée nationale. C’est ensuite au gouvernement de le prendre en compte, s’il le décide. » https://www.capital.fr/economie-politique/clementine-autain-lendometriose-doit-etre-reconnue-comme-une-affection-de-longue-duree-1425341
-
Start-up « E » ?
-
Le dernier point d’attention relevé ici concerne les politiques de santé et de recherche en général. En effet, on peut voir se dessiner assez clairement une ambition de recherche en matière de santé de nouveau, ici, entrepreneuriale. Le rapport comporte un objectif Promouvoir l’innovation sur l’endométriose (objectif 15), portant le projet de créer la « Station E », un incubateur de projet pour start-up, entreprises privées et « Medtech ».
Si l’on peut se réjouir de voir enfin un plan de recherche se dessiner pour l’endométriose (reconnu médicalement tout de même depuis 1860 !), l’on peut également se désoler d’y voir encore une startupisation de la santé : « innovation », « incubateur », « numérique », « produits », « marché » etc :
-
REVENDICATIONS
-
Si l’on souhaite véritablement promouvoir l’aménagement du poste de travail aux exigences de la maladie, pourquoi alors répondre une fin de non-recevoir quant à la reconnaissance de la maladie en ALD 30 ? Une reconnaissance qui irait dans le sens de la résolution portée par Clémentine Autain et dans le sens d'une partie des associations. Une reconnaissance qui permettrait d’ouvrir à des droits et à des aménagements plutôt que d’inciter mécaniquement au télétravail.
La CGT s’inquiète d’un manque de clarté quant aux associations mandatées pour les formations et la pédagogie dans les territoires et les institutions, action clé pourtant de la lutte contre l’endométriose. La pluralité et la diversité associative doit être respectée, l’Etat n’a pas à trier les bonnes et les mauvaises associations selon ses propres commodités.
Entre 25 à 30 millions d'euros -sur 5 ans !- pour une maladie touchant plusieurs millions de malades et négligée depuis sa découverte, est-ce respecter le vécu et la dignité des patientes concernées ? La santé restera définitivement le parent pauvre du quinquennat Macron. Il faut mettre les moyens financiers nécessaire à l’ampleur de la maladie et à l’ampleur de ce qu’elle représente pour celles touchées par cette dernière.
La CGT s’engage, et appelle les associations de malades partenaires, à exiger des moyens à hauteur de l’ambition affichée et à ce que mérite les malades de l’endométriose, pour rendre justice à des décennies de combats sans relâche.
- Pour une reconnaissance des formes handicapantes de l’endométriose par l’ALD 30,
- Pour un financement de stratégie nationale qui porte l’ambition que mérite les malades,
- Pour la juste égalité entre les diverses associations, pour une gouvernance, un pilotage et une évaluation rendant justice aux travails de toutes les patientes.