Mémo éco - 164 Milliards d'€ de déficit commercial en 2022: l'affaiblissement énergetique et industriel s'approfondit

Publié le 16 mar. 2023
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 Comme nous l’avions souligné dans un article de la Lettre éco de novembre/décembre 2022, le déficit commercial a battu chaque mois un nouveau record sur ces derniers mois. Ainsi, sans surprise, le solde commercial de l’année 2022 est, de loin, à son plus bas niveau historique. Quelques éléments d’analyse.

Les chiffres du solde commercial

En 2022, le solde commercial, c’est-à-dire la différence entre les exportations et les importations de biens (on ne parle pas ici des services), s’est élevé à 163,6 milliards d’euros de déficit[1]. Pour bien mesurer ce que cela représente, rappelons que le précédent record, qui datait de 2021, était de 85,5 milliards de déficit, soit près de 2 fois moins. Ce déficit commercial représente pas moins de 6 points de PIB.

Par rapport à 2021, les exportations ont progressé de 18,5%. C’est une progression très importante a priori. Mais elle est totalement balayée par l’augmentation de nos importations de 29,1%. La grande dégradation de notre solde commercial ne vient donc pas d’exportations en baisse mais plutôt d’une explosion de nos importations (+53,7% en 2 ans).

L’énergie : principale cause du creusement du déficit commercial

Sur ces +29,1 % d’exportations, 14,6 proviennent de l’augmentation des importations énergétiques, c’est-à-dire plus de la moitié de la hausse. Dans le détail, la France accuse un déficit de 81 milliards dans le secteur des hydrocarbures, 26,7 milliards avec le pétrole raffiné et 7,4 milliards de déficit concernant l’électricité

Evidemment, une partie de ce déficit s’explique assez simplement par le fait que la France n’a pas les ressources naturelles suffisantes pour être autonome en énergies carbonées. De plus, en 2022 la France, comme les autres pays de la Zone Euro, a subi de plein fouet les effets de la baisse de l’euro par rapport au dollar ce qui rend les importations de pétrole beaucoup plus couteuses puisque son prix est fixé en dollar sur les marchés internationaux.

S’en tenir à cette explication « fataliste » serait toutefois réducteur. En effet, en ce qui concerne l’électricité la France était encore exportatrice nette (de 2,6 milliards d’euros) en 2021. Le déficit de 2022 est donc bien le résultat des politiques menées et n’a rien de naturel. C’est le manque d’investissements dans la maintenance du parc nucléaire et dans le développement d’énergies renouvelables qui a expliqué cette dépendance aux exportations pour assumer notre consommation électrique en 2022.

Pour le reste, compte tenu du manque de ressources naturelles de la France, une planification aurait dû être menée pour réduire la dépendance énergétique au gaz et pétrole qui nous expose à la volatilité des marchés financiers, aux conflits géopolitiques, etc…

D’autre part, le déficit commercial de la France ne s’explique par seulement par l’énergie. Sur la production manufacturière, la France accuse tout de même un déficit de 78,5 milliards d’euros

Un déficit important sur la production manufacturière

Concernant la production manufacturière, le gouvernement actuel comme ceux qui l’ont précédé ont tout misé sur la « baisse des coûts ». Exonérations de cotisations sociales, baisse d’impôts, aides publiques sans conditions, voilà la recette appliquée pour soutenir l’industrie française… sans succès, et pour un coût exorbitant.[1]

Cette politique résulte du fait que les pouvoirs publics n’ont en tête que la compétitivité prix, c’est-à-dire la capacité à produire moins cher que ses concurrents, sans jamais se poser la question de la qualité de notre production, de la réponse aux besoins ou des enjeux stratégiques (hormis dans quelques secteurs comme l’aéronautique et les boissons qui sont les deux plus gros secteurs où nous sommes exportateurs nets).


[1] Plus de 200 Milliards € d’aides publiques aux entreprises en 2021. (Source : CLERSE)

La compétitivité à tout prix, une impasse pour les travailleur-se-s

Rechercher la compétitivité, ce n’est pas permettre plus ou moins d’emplois au niveau global, c’est simplement avoir la capacité de prendre les emplois de ses voisins. C’est accepter la compétition internationale imposée par le néolibéralisme.

En effet, la compétitivité visée par nos gouvernements actuels et passés n’est rien d’autre qu’une mise en concurrence de nos modèles sociaux et donc la mise en concurrence des travailleur-se-s entre eux-elles.

Au contraire, face aux défis globaux qui sont devant nous, comme le changement climatique, l’heure doit être à la coopération pour y faire face collectivement.

La vertu du principe de compétitivité ne tient que par le postulat que chacun agit pour son intérêt particulier et que la poursuite de ses intérêts individuels mènera à l’intérêt général. C’est un mythe. Nous avons plus que jamais besoin d’une industrie, et d’une production de manière générale, qui a l’intérêt général pour boussole.

La question de la réponse à nos besoins (notre boussole à la CGT) a été oubliée également. Le secteur automobile en est un exemple phare. Selon l’Insee, entre 2002 et 2022 la production en France de véhicules particuliers et utilitaires a été divisée par 2,5, passant de 3,5 millions de véhicules à 1,4 million.

Comme nous l’avons signalé plus tôt, la France exporte de plus en plus mais ce qui lui fait défaut c’est l’augmentation bien plus importante de ses importations. Très concrètement, cela signifie que la production française permet de moins en moins de subvenir aux besoins de sa population qui est donc de plus en plus dépendante des productions étrangères.

Un Etat passif face aux déséquilibres internationaux

Avoir une balance commerciale déficitaire signifie que l’on consomme davantage que ce que l’on produit. Le déficit commercial français sur les biens et en partie compensé par un excédent commercial concernant les services. La France exporte davantage de services qu’elle n’en importe. C’est un des effets de la division internationale du travail pilotée par le patronat ; la France devient alors un « pays de services », notamment de services touristiques. Cette spécialisation de notre économie la fragilise en la rendant fortement dépendante des autres pour ce qui concerne la production de biens.

De plus, il en demeure tout de même un déficit commercial global de plus de plus 2 points de PIB soit plus de 50 milliards d’euros en 2022.

Le déficit commercial sur les biens est structurel en France. Il se creuse d’année en année depuis 2003. C’est la répétition de ces déficits qui pose problème : en dehors des Etats-Unis et des spécificités du dollar, aucun pays ne peut se permettre un déficit récurrent sur le long terme.

Ces déficits sont le résultat de l’abandon de notre industrie par l’Etat et le patronat. La liberté de circulation des capitaux a laissé la porte ouverte aux délocalisations, avec l’appui bienveillant du politique. La baisse de prix « permise » par la délocalisation est censée être un « progrès » qui bénéficie au « consommateur », sans jamais rappeler la perte subie en tant que « producteur », désormais au chômage, et sans jamais rappeler non plus la violence sociale exercée dans les pays à « bas coût ».

Pire encore, l’Etat a accompagné ce mouvement en fragilisant les monopoles publics via l’ouverture à la concurrence (SNCF, EDF, France Télécom, etc…).

Aujourd’hui, on assiste chaque année à une véritable parade nuptiale du Président Macron au Château de Versailles, appelée « Choose France », pour attirer des « investissements directs à l’étranger ». Ce n’est généralement rien d’autre qu’une vente de nos outils industriels comme à General Electric ou alors l’implantation de multinationales étrangères qui dictent leurs lois au gouvernement comme Amazon.

On est donc loin du rôle d’une vision stratégique et planificatrice qui aurait pour objectif de répondre aux besoins des populations. La politique industrielle actuelle consiste uniquement à promettre une myriade d’aides publiques aux entreprises qui s’implantent pour leur assurer que c’est en France que leur capital trouvera la meilleure rentabilité.

Le déficit commercial est aussi un problème écologique

La question de nos importations est un enjeu écologique majeur. En effet, près de la moitié de l’empreinte écologique de la France provient des importations[1]. Relocaliser la production serait bénéfique à différents égards. Tout d’abord, produire au plus près des consommateur-rice-s permet de réduire les émissions liées au transport.

La relocalisation de certaines productions pourrait également se traduire par une montée en gamme et un modèle économique qui repose davantage sur la qualité et la robustesse que sur le coût. On peut prendre pour exemple le secteur du textile. Plutôt que la « fast-fashion » qui mise sur des prix très faibles et des vêtements renouvelés en permanence, on pourrait avoir moins de produits mais plus durables, ce qui serait bénéfique pour l’emploi en France et pour l’environnement.

Enfin, le dernier élément, qui n’est pas des moindre, concerne les conditions de production. La mise en place, notamment dans l’Union Européenne, de réglementations environnementales sur les conditions de production s’est traduite par du dumping environnemental. Cela signifie que des entreprises ont délocalisé leur production pour échapper aux normes françaises et européennes. De manière totalement hypocrite, la production est donc fabriquée dans des pays aux réglementations plus « souples » puis importée en France.

Face au défi climatique, les normes environnementales ne peuvent faire l’objet d’une compétition entre Etats pour être les moins contraignants possibles et attirer la production sur ce critère. Le respect de normes sociales et environnementales ambitieuses doit être un préalable indispensable à tout échange commercial

Changer de politique industrielle

Comme nous l’avons évoqué précédemment, la politique industrielle se concentre sur « l’attractivité » du pays avec une vision de l’attractivité qui se résume à la question des coûts et omet totalement les questions comme les infrastructures de transport, de télécommunication, électriques, etc… mais aussi les questions de formation essentielles pour une production de qualité.

De plus, le gouvernement préfère aider les entreprises exportatrices plutôt qu’œuvrer pour la relocalisation pour diminuer les importations. C’est donc une volonté d’hyperspécialisation qui ne répond pas aux besoins de la population et qui maintient une interdépendance entre les pays qui nous rend vulnérables en cas de crise comme l’a montré le Covid.

Plutôt que de chercher à réduire l’ensemble des coûts des entreprises pour qu’elles puissent exporter ou bien pour offrir un taux de marge alléchant pour les « investisseurs », la puissance publique doit passer d’un interventionnisme passif à un interventionnisme actif.

Cela signifie une véritable reprise en main des secteurs stratégiques comme la renationalisation d’EDF à 100% mais qui doit s’étendre à d’autres secteurs dans les transports, la santé, les télécommunications. C’est la raison pour laquelle nous portons des pôles publics dans la plupart des grands secteurs. L’aiguillon du profit, et le régime économique qui l’a érigé en totem, restent des impasses sociales, environnementales et économiques.

Repère revendicatif