Pourquoi tant de fables sur le niveau de vie des retraités ?
Il est commun d’entendre que les retraités français ont un niveau de vie très élevé, supérieur à celui de l’ensemble de la population. Certes, la situation des retraités français est meilleure que celle des retraités des pays voisins, si on prend l’ensemble des retraités. Mais cette moyenne ne donne pas une bonne image de la situation. On notera trois choses :
1. D’abord, que les retraités ne sont pas des privilégiés.
2. Ensuite, que les retraités rencontrent des difficultés spécifiques.
3. Enfin, qu’on se dirige vers un net décrochage du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs.
- 1. Les retraités sont-ils des privilégiés?
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Commençons par une précision de méthode. Quand on parle niveau de vie, on ne parle pas seulement de revenus, mais on prend également en compte la composition du ménage.[1] Ainsi quand on lira dans le tableau que le niveau de vie des retraités est similaire à celui des actifs, c’est en prenant en compte notamment le fait que les retraités n’ont généralement plus d’enfant à charge.
Le constat est clair peu importe le « décile » (où on se situe par tranche de 10%, D1 étant les niveaux de vie les plus faibles, D9 les plus élevés), le niveau de vie des retraités est soit comparable à celui des actifs, soit légèrement inférieur.
On notera toutefois que les 10% de retraités les plus modestes ont un niveau de vie légèrement supérieur aux 10% des actifs les plus modestes. Cela s’explique par le fait que les 10% les moins aisés sont souvent au chômage et/ou survivent de prestations très faibles comme le RSA. Passé ce décile on voit que les retraités ont un niveau de vie inférieur aux actifs.
Cela serait encore plus flagrant et juste si on comparait aux actifs en emploi (sans prendre en compte les chômeurs), mais on ne dispose pas de données avec ce niveau de précision.
Les retraités, un groupe hétérogène
On parle souvent des retraités de façon générale. Mais comme pour les actifs, il existe des différences nettes ; la fin de carrière et le passage à la retraite ne font pas disparaître les classes sociales.
On constate de grandes disparités non seulement sur les montants, mais aussi sur les types de revenus.
Pensions d’un côté, revenus du capital de l’autre
Sans surprise, les retraités au niveau de vie le plus élevé ont une part plus importante de leurs revenus qui proviennent du capital. Cela a bien sûr des conséquences sur le niveau de vie moyen des retraités ; les revenus capitalistes ont progressé bien plus que les pensions de retraites. Selon le COR, les revenus du patrimoine représentent 13% des revenus totaux des retraités, contre 6% pour les actifs. La plupart de ces revenus proviennent du patrimoine financier, et on sait qu’il s’agit du patrimoine le plus inégalement réparti[2][3].
Un patrimoine élevé ?
Il est souvent mis en avant que les retraités ont un patrimoine supérieur au reste de la population. Effectivement, les retraités ont un patrimoine supérieur à la moyenne, mais il est inférieur aux actifs de 50 à 59 ans. De façon générale, on observe une augmentation du patrimoine tout au long de la vie active et une baisse lors de la retraite. Cela montre que l’épargne accumulée (quand elle existe !) est utilisée pour maintenir le niveau de vie des retraités car les revenus ne suffisent pas.
Un patrimoine essentiellement d’immobilier d’usage
Pour la plupart des retraités, le patrimoine est essentiellement constitué de la résidence principale dont ils sont propriétaires. Il ne s’agit donc pas de patrimoine lucratif, qui apporte des compléments de revenus.
Par ailleurs, ce patrimoine est artificiellement gonflé par l’augmentation des prix de l’immobilier. En effet, savoir que la valeur de votre appartement a pris 30% ne vous rend absolument pas plus riche et ne règle aucun problème de fin de mois ! La plupart des retraités ne revendent jamais leur logement.
Devenir retraité, niveau de vie dégradé
Selon l’Insee[4], pour les personnes parties en retraite en 2013, leur niveau de vie 1 ans après le départ en retraite était inférieur de 3% par rapport à un an avant le départ en retraite. 3 ans après le départ, la baisse du niveau de vie est même de près de 6% par rapport à un an avant la retraite !
La principale raison de cette dégradation est l’indexation, avec retard, des retraites de base sur l’inflation[5] et non sur le salaire moyen par tête (SMPT) qui évolue plus rapidement en règle générale. Pour ce qui est des retraites complémentaires elles ne sont souvent même pas revalorisées au niveau de l’inflation[6].
La Drees a montré qu’un salarié non-cadre né en 1938 avait vu sa pension brute s’éroder de 10% par rapport au salaire moyen par tête au cours de ses 20 premières années de retraite.
Même au-delà de la perte de pouvoir d’achat (au sens statistique) le décrochage par rapport au reste de la population est une dégradation du niveau de vie. Nos besoins évoluent, que l’on soit salarié ou retraité, et les retraités n’ont pas des besoins inférieurs aux salariés.
Illustration : comment le niveau de vie des retraites décroche dans le temps
Dans le graphique ci-dessus on fait l’hypothèse que le salaire moyen par tête augmente d’1,8% par an en moyenne tandis que les retraites de base évoluent elles de seulement 1% du fait de l’inflation mesurée. Cela correspond peu ou prou à la situation observée ces dernières années.
Ce graphique permet de mettre en lumière l’impact d’un faible écart annuel (0,8%) lorsqu’il est répété et s’accumule sur plusieurs années. Ainsi, au bout de 10 ans dans ces conditions, les retraites de base ont perdu 7,6% par rapport au salaire moyen par tête. Au bout de 25 ans, qui est la durée moyenne d’une retraite, la perte s’élève à 18% alors que l’on ne prend même pas en compte la sous-indexation des retraites complémentaires.
Du fait des règles de revalorisation des retraites, il y a donc un décrochage clair du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs tout au long de la retraite.
Les conséquences de la hausse de la CSG
Le pouvoir d’achat des retraités a également été impacté fortement par la hausse récente de la CSG (+1,7 point).
Pour un salarié non-cadre ayant liquidé sa retraite en 1994, sa pension nette de prélèvement sociaux a perdu près de 10% en 2019 par rapport à l’inflation. Pour un salarié cadre, la perte s’élève même à 12%.
Il est donc faux de dire que la situation des retraités est « bien meilleure » que celle des actifs. L’erreur consiste à opposer actifs à retraités, alors que l’affrontement est bien celui du capital contre le travail (avant comme après la retraite).
Cela ne doit pas conduire à l’inverse à minimiser la spécificité et les difficultés particulières des retraités.
[1] Les « unités de consommation » ; voir fiche inflation n°2
[2] https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2021-12/Doc.03_Patrimoine_retrait%C3%A9s.pdf
[3] Indice de Gini[3] de 0,78 pour les retraités L'indice (ou coefficient) de Gini est un indicateur synthétique permettant de rendre compte du niveau d'inégalité. Il varie entre 0 (égalité parfaite) et 1 (inégalité extrême). En 2015, l’indice de Gini des inégalités de patrimoine brut était de 0,65. (Insee)
[4] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4308750
[6] Pour aller plus loin : Pensions – Niveau maintenu : un gros mensonge de l’UCR CGT
- 2. Les difficultés spécifiques des retraités
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Lorsque l’on parle de pouvoir d’achat, on délaisse souvent la question des besoins. Or il s’agit d’une question primordiale, particulièrement pour les retraités.
Des dépenses de santé deux fois plus importantes que la moyenne
Avec l’avancement dans l’âge, ce que nous consommons évolue avec les besoins. L’exemple le plus marquant est celui des dépenses de santé, qui augmentent logiquement. Le graphique ci-dessous est éloquent.
Selon la Drees[1], en 2012, les ménages de retraités de 66 ans et plus dépensaient en moyenne 2 000€ pour payer leur assurance maladie complémentaire et le reste à charge. Cela représentait un taux d’effort d’environ 6,5% ; soit concrètement, des dépenses supplémentaires pour la santé deux fois plus importantes que la moyenne. Il dépassait même 10% chez les retraités les plus modestes ! Voilà bien une « dépense contrainte » spécifique aux retraités.
Des logements anciens et peu adaptés
La proportion de propriétaires parmi les retraités est souvent mise en avant pour appuyer l’idée que les retraités ont moins de dépenses que les actifs. Il est vrai que 70% des retraités détiennent leur résidence principale contre (tout de même) 54% pour les actifs[2].
Être propriétaire de sa résidence principale ne signifie pas pour autant absence de charges. Les logements des retraités ont pour la plupart été acquis longtemps avant leur retraite et nécessitent souvent un entretien important. Un rapport du COR souligne d’ailleurs que la vétusté des logements et donc leur dévalorisation sur le marché immobilier est un facteur explicatif du maintien des retraités dans leur logement. On parle donc de retraités qui n’ont pas les ressources suffisantes pour maintenir en l’état leur lieu de vie. La propriété du logement, souvent peu adapté aux contraintes liées à l’âge, est donc plutôt une charge pour les retraités eux-mêmes.
De plus, puisque les retraités vivent généralement dans des logements acquis longtemps avant leur retraite, ces logements ne répondent pas forcément à leurs besoins spécifiques. Ainsi, en 2013, les personnes de 65 ans et plus vivaient dans un logement de 95,3m2 en moyenne, soit la même surface que les personnes de 40 à 49 ans. Or les personnes de 65 ans et plus appartenaient en moyenne à un ménage 2 fois moins grand (1,6 personnes contre 3,1). On a donc des logements de même taille mais avec moins d’occupants et des capacités physiques moins importantes, ce qui implique souvent le besoin de faire appel à des aides extérieures.
L’accès aux services publics
La difficulté d’accès aux services publics ne se traduit pas directement dans les chiffres du pouvoir d’achat. Pourtant, cela implique bien des besoins et des dépenses supplémentaires si, par exemple, le bureau de poste le plus proche est à 20 km au lieu de 10. Les pouvoirs publics misent tout sur le numérique, au détriment de l’accueil physique des usagers. Or le tout numérique est un véritable obstacle à l’accès aux services publics pour de nombreux retraités, sans l’accompagnement adéquat.
Seulement 46,8% des personnes de 75 ans et plus avaient internet à leur domicile en 2019. Ainsi seuls 20,5% des 75 ans et plus ont eu recours à internet pour contacter une administration ou un service public en 2019 contre 85,8% des 30-44 ans[3].
Récupération sur succession d’un côté, transmission sans impôt de l’autre
Comme d’autres prestations sociales, l’ASPA (Allocation de Solidarité aux Personnes Âgées) aussi appelé « minimum vieillesse », peut faire l’objet d’une récupération sur succession.
Concrètement, lorsqu’un retraité bénéficiaire de l’ASPA décède, l’administration qui a versé l’aide s’intéresse au patrimoine net du défunt (c’est-à-dire ce qu’il possède moins ses dettes) ; s’il est supérieur à 46 000€, alors l’administration récupère les sommes versées au titre de l’ASPA dans la limite de 7 435€ par an pour une personne seule ou 9 947€ par an pour un couple.
Pour rappel, le montant de l’ASPA est de 917€ par mois[4] pour une personne seule et 1423€ pour un couple soit bien dessous du seuil de pauvreté (1063€ par mois pour une personne seule).
Cette traque aux pauvres est « une cause majeure de non-recours » selon un rapport parlementaire[5] de 2016 qui pointe d’ailleurs que c’est « une des prestations les plus touchées par le non-recours ».
Cette situation est d’autant plus intolérable lorsque l’on sait que de l’autre côté de la barrière sociale, un couple avec deux enfants peut aisément transmettre deux millions d’euros de patrimoine sans avoir à acquitter un seul centime d’impôt[6].
Actif comme retraités, c’est faible avec les forts et forts avec les faibles.
[1] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-10/cs2019.pdf
[2] https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2021-12/Doc.03_Patrimoine_retrait%C3%A9s.pdf
[3] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4466247?sommaire=4466268
[4] Si le bénéficiaire touche 500€ de retraite par moi alors l’ASPA est de 417€ c’est-à-dire le montant nécessaire pour atteindre 917€ de revenus par mois au total.
[5] https://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i4158.asp
- 3. Un décrochage annoncé du niveau de vie
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Les retraités connaissent aujourd’hui un taux de pauvreté inférieur au reste de la population. En 2018, le taux de pauvreté des retraités était de 8,7% contre 14,8% pour l’ensemble de la population. Mais il est légèrement supérieur à celui des actifs en emploi (8,4%). La pauvreté concerne en effet d’abord les chômeurs, les indépendants ou encore les « inactifs ».
Pourtant, les prévisions du COR montrent que la situation risque de fortement se dégrader si le système est maintenu tel quel. Rappelons qu’à législation constante, l’âge de départ va continuer d’augmenter avec la réforme Touraine notamment. Ainsi, le COR prévoit que l’âge moyen de départ en retraite va passer de 62,4 ans en 2020 à 64 ans en 2035.
Le graphique ci-dessous montre les prévisions de niveau de vie des retraités par rapport à l'ensemble de la population ; le décrochage est net. Comment l’expliquer ?
Source : COR, observé jusque 2018, projections ensuite. Hypothèse : +1,3% de salaire par an, taux de chômage de 7%.
C’est le résultat logique de la volonté des derniers gouvernements de ne pas augmenter l’effort financier en faveur des retraites voire de le comprimer. En effet, les gouvernements refusent d’augmenter les taux de cotisations et ainsi les recettes du système de retraites. A recettes constantes ou en baisse, pour un nombre de retraités en hausse, cela fait nécessairement une part plus petite pour chacun des retraités. C’est également un effet de l’indexation des retraites sur l’inflation plutôt que sur le salaire moyen. La non-indexation de la valeur des points des retraites complémentaires sur le salaire moyen est également en partie responsable de cette baisse du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs.Il n’y a pas de fatalité en matière de retraites ; il y a des choix politiques.
Nous ne défendons en rien un statu quo concernant les retraites. Le système tel qu’il est aujourd’hui retrouvera naturellement un équilibre financier d’ici quelques années, aucune réforme de recul de l’âge légal ne saurait donc être justifiée, même par des considérations purement comptables.
Cependant, cet équilibre se fait au détriment du niveau de pension des retraités. Il faut donc renforcer le système de retraite pour assurer un niveau de vie décent à l’ensemble des retraités.
Selon l’économiste Henri Sterdyniak, pour maintenir le ratio retraite/salaire et l’âge départ au niveau d’aujourd’hui, il y a un besoin de financement de l’ordre de 3 points de PIB à l’horizon 2035. Cela pourrait être financé par une hausse des cotisations d’environ 6 points (et des salaires augmentant plus rapidement que les hausses de cotisations). Le besoin de financement représente moins de 0,5 point de cotisation supplémentaire par an d’ici 2035. Pour un salaire de 2000€ bruts, c’est donc l’équivalent de 10€ par mois.
Comme expliqué dans un article de la Lettre éco de février–mars 2022, le financement de nos revendications aurait couté 4,3 points de PIB en 2019 soit environ 100 milliards d’euros. Il est évident que le progrès social a un coût, à faire payer au capital, en allant gagner des hausses de salaires, de l’emploi.
- Conclusion
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Pour conclure, ce tour d’horizon amène à quelques conclusions simples :
- Le niveau de vie des retraités est comparable à celui des actifs.
- En plus des dépenses contraintes « classiques » (internet, assurances, etc.), les retraités ont des dépenses de santé bien plus importante, des difficultés spécifiques sur le logement, l’accès aux services publics, et une conditionnalité stricte sur l’ASPA.
- Le niveau de vie des retraités est amené à se dégrader par rapport aux actifs.
Pour les retraités, comme pour les actifs, l’enjeu du niveau de vie et du pouvoir d’achat est majeur. L’opposition actifs / retraités masque trop souvent notre réalité partagée : le conflit entre le capital et le travail.