Mémo Sécu n°25 : La médecine libéral contre l'accès aux soins? Retour sur le conventionnement médical

Publié le 28 aoû. 2024
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Le tarif d’une consultation chez un médecin est le résultat d’une négociation entre ceux qui exercent la médecine et l’institution en charge de financer l’accès aux soins : la Sécurité sociale et sa branche maladie. Cette négociation se traduit concrètement par la signature d’un contrat particulier entre les syndicats de médecins et l’assurance maladie : la convention médicale. Le débat autour du prix de la consultation dans l’espace médiatique et politique est réapparu il y’a quelques mois durant la négociation sur la nouvelle convention médicale pour 2023-2027.

Depuis quelques mois, certains médecins libéraux (Association Médecins pour Demain, ou l’UFML-Syndicat) revendiquaient le passage du tarif de la consultation de 25€ à 50€ pour les médecins généralistes. La Sécurité sociale à travers sa branche maladie s’y opposait en proposant une revalorisation à 26,5€. La négociation autour de cette convention n’ayant pas abouti, c’est une procédure de règlement arbitral qui a été activée et qui fixe depuis l’automne 2023 le prix de la consultation de médecine générale à 26,5 euros. La consultation par le médecin (spécialiste adressé par le généraliste) réalisée dans le cadre du parcours de soins, avec retour d'information vers le médecin traitant sera portée à 31,50 euros.

Le 17 mai 2024, la CNAM a proposé une nouvelle convention augmentant les tarifs de consultation des généralistes à 30 euros dès mi-décembre 2024 et à 60 euros une expertise spécialisée (APC). Les syndicats de médecins généralistes et spécialistes ont d’ores et déjà ratifié cette convention pour les 5 ans à venir. Ces nouveaux tarifs entreront donc en vigueur en décembre 2024.

Cette confrontation est révélatrice à la fois de l’opposition d’une partie du corps médical aux contraintes tarifaires de la Sécurité sociale, au conventionnement lui-même pour certains, et de la dépendance forte du fonctionnement de notre système de santé à la médecine libérale.

L’objectif de ce nouveau Mémo Sécu est de présenter la médecine libérale et les enjeux qu’elle porte au travers d’un dispositif auquel nous sommes confrontés à chaque fois que nous devons consulter un médecin, le conventionnement médical.

Conventionné secteur 1, conventionné secteur 2, OPTAM (Option de Pratique Tarifaire Maîtrisée) ou non, ces dispositifs complexes ne doivent pas cacher l’enjeu principal : la médecine libérale et l’Etat contrôlent en grand partie l’accès aux soins en France et s’opposent au projet originel d’une Sécurité sociale pour toutes et tous, de chacun∙e selon ses moyens et à chacun∙e selon ses besoins.

Les points importants à retenir

  • La médecine libérale repose sur plusieurs grands principes : la liberté d’installation, la liberté tarifaire, la liberté de la pratique médicale ;
  • Le conventionnement médical est une conséquence de la médecine libérale : c’est un outil de contrôle de la médecine libérale mais aussi un outil de sa validation par la puissance publique ;
  • En acceptant la médecine libérale, la puissance publique refuse un réel contrôle sur l’installation des médecins et une réelle réponse aux besoins au plus près des territoires.
  • Les centres santé défendus par la CGT s’opposent aux fonctionnements de la médecine libérale et s’inscrivent dans le projet de Sécurité sociale intégrale.
  • A partir de septembre 2024, la consultation de médecine générale sera facturée 30 euros et 60 euros pour les spécialistes

 

La médecine libérale au cœur du système de santé

Qu’est-ce que la médecine libérale ? Historiquement, le corps des médecins s’est auto organisé en revendiquant différents droits spécifiques comme le monopole sur l’exercice de la médecine et en défendant la relation directe entre soignant∙e et patient∙e. Cet exercice de la médecine, dite libérale, s’est ainsi organisé autour de la liberté tarifaire, la liberté d’installation, la liberté de prescription et l’entente direct entre médecin et patient.

L’exercice libéral s’effectue en France dans le cadre d’un contrat national. Ce mécanisme de « conventionnement » des professions médicales, détermine les rémunérations associées à chaque activité des médecins et les conditions d’exercice de ces activités.

Sur les plus de 228 000 médecins exerçant sur le territoire Français au 1er janvier 2022, 100 099 exercent en pratique libérale c’est-à-dire en tant qu’indépendants, plus de 100 000 sont salariés et plus de 27 000 exercent en pratique mixte.

A l’origine, la médecine libérale a été très fortement opposée au conventionnement médical. Elle y voyait une perte d’autonomie trop importante et un contrôle de l’Etat qui contrevenait à son fondement même, l’entente directe entre patient et médecin.

A partir de 1971, la première convention médicale nationale est signée entre les syndicats médicaux représentatifs et la Sécurité sociale : le système de santé français produit pour la première fois un tarif opposable, comme base de remboursement par la Sécurité sociale, uniforme sur l’ensemble du territoire. La signature de cette convention fait suite à près de 30 ans de refus du conventionnement depuis la création du régime général de Sécurité sociale.

Si ce conventionnement est une avancée indiscutable pour les patient∙es car il permet la prise en charge d’une partie de leurs dépenses de santé, il valide par ailleurs politiquement la médecine libérale plutôt qu’une autre forme de pratique, la médecine de ville salarié∙e par exemple. En effet, le choix de recourir au mécanisme du conventionnement reconnait le fait que la production des soins est réalisée par la médecine libérale c’est-à-dire une médecine organisée sur des bases corporatistes très fortes et non une médecine salariée organisée prioritairement en fonction de la réponse aux besoins des patient∙es/assuré∙es sociaux où le conventionnement n’aurait pas lieu d’être.  Les médecins exerçant dans ces conditions sont ainsi confirmés dans leur liberté d’installation et de prescription, et ce même quand cela se fait au détriment de l’intérêt des patient∙es.

Il y a quelques mois, certains syndicats de médecins libéraux revendiquaient une augmentation de la consultation de médecine générale de 25 à 50 euros. Le pouvoir en place s’y est opposé pour des raisons budgétaires en ne proposant qu’une revalorisation de 1,5€ par consultation. Néanmoins, le gouvernement s’est refusé à remettre en cause ce mécanisme même si les déserts médicaux sont de plus en plus nombreux et l’accès aux soins en général de plus en plus difficile pour les populations les plus précaires. En effet, l’une des causes de la désertification médicale est bien cette pratique libérale de la médecine.

Le conventionnement médical : une question technique mais centrale pour l’accès aux soins

La convention médicale permet de garantir au niveau national un prix harmonisé pour l’ensemble des médecins d’une même catégorie (généralistes ou spécialistes) et pour les différents actes qu’ils sont amenés à pratiquer notamment le plus courant : celui de la consultation payée par les patient∙es. Ce prix est appelé « tarif opposable » ou plus généralement « tarif de Sécurité sociale » puisqu’il sert au calcul de la part remboursée par la Sécurité sociale.

La convention détermine également toutes les autres formes de rémunérations versées par l’assurance maladie aux médecins ainsi que tout une série d’obligations et d’incitations pour que les médecins réalisent certaines activités, par exemple de la prévention.

 

En France, un médecin peut être :

Conventionné secteur 1 : Le médecin est alors tenu de pratiquer les tarifs de la Sécurité sociale et vous serez remboursé par la Sécurité sociale à hauteur de 70% de ces mêmes tarifs. Chez le généraliste, pour une consultation à 25€ pour être remboursé par la Sécurité sociale à hauteur de 16,55€. Le reste correspond à ce que l’on nomme le ticket modérateur, il est à la charge des patient∙es : 2€ correspondent à une participation forfaitaire non prise en charge et 5,95€ soit 30% du reste peuvent être pris en charge dans le cadre d’une mutuelle. L’évolution du tarif ne change pas les pourcentages pris en charge.

Conventionné secteur 2 : Deux options s’offrent alors au médecin. Il peut :

  • Adhérer à l’OPTAM (Option pratique tarifaire maitrisée) : dans ce cas le dépassement d’honoraire doit être « maitrisé » c’est-à-dire 100% max et un nombre d’actes au tarif de la Sécurité sociale. Dans tous les cas, la Sécurité sociale ne rembourse que sur la base de ces tarifs fixés pour le secteur 1 soit 16,5€ pour une consultation chez le généraliste. Le reste est à la charge des patient∙es.
  • Ne pas adhérer : le dépassement d’honoraires est illimité. La Sécurité sociale ne rembourse que sur la base de ces tarifs fixés pour le secteur 2. Pour une consultation chez un généraliste, la Sécurité sociale remboursement à 70% sur la base de 23€ soit 15,10€.

Non conventionné, dit secteur 3 : Il a toute liberté tarifaire, mais quel que soit le montant de la consultation chez ce médecin, vous serez remboursé à un tarif dit d’autorité de 0,61 € (1,22 € chez un spécialiste).

Alors que retenir du conventionnement médical ?

Le conventionnement médical est tout de même une victoire sur l’exercice libérale de la médecine puisqu’il permet l’instauration d’un tarif opposable pris en charge par la Sécurité sociale. C’est le moyen de garantir à toutes et tous d’avoir accès à un médecin et d’être prise en charge pour une consultation.

Pourtant c’est aussi une défaite face à l’exercice de la médecine libérale et en défaveur de l’accès aux soins. La création des différents types de conventionnement entraine dès son origine des difficultés d’accès aux soins et une segmentation de l’offre de soin : celles et ceux qui ont des revenus plus importants ont plus de facilité à avoir un rendez-vous ou à avoir accès à certains actes médicaux.

Enfin, sous couvert de contrôler la pratique et les tarifs, ce conventionnement laisse toute liberté d’installation aux médecins, une liberté tarifaire relativement large et ne répond pas aux besoins des territoires soumis à la désertification.

La CGT revendique
  • Le développement d’une autre organisation du système de santé porté par une approche globale dans la réponse aux besoins des populations ;
  • La préservation et le développement des centres de santé. Ils sont un moyen de lutte contre la désertification médicale et de permettre l’accès aux soins de tous, notamment en pratiquant le tiers payant social.

 

Repère revendicatif