
En ce mois de mai 2025, les deux chambres du Parlement français, se sont saisies de la question de l’accès aux soins sur le territoire français. L’Assemblée nationale a proposé les premières pierres d’un contrôle de l’installation des médecins et le Sénat un renforcement des incitations dans les territoires sous dotés.
Ces deux projets de lois, qui devraient se confronter lors de la navette parlementaire, ne sont pour autant complètement contradictoires. Ils ouvrent la voie à une timide remise en cause de liberté d’installation des médecins libéraux et à un début de pilotage de l’offre de soin sur tout le territoire.
S’ils ne défendent pas le développement des centres de santé comme la CGT le revendique, certains éléments de ces textes pourrait marquer une avancée, limitée, mais utile pour atténuer les inégalités territoriales en termes d’accès au soin.
Les points importants à retenir |
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- Les enjeux d’une régulation de l’accès aux soins
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Aujourd’hui, le territoire français fait face à des disparités très importantes d’accès aux soins, particulièrement de premiers recours. Les professionnel⋅les de santé sont inégalement réparti⋅es, laissant certains territoires dans une situation plus que préoccupante pour les populations locales. Pour exemple, on observe une concentration très forte de médecins spécialistes dans la capitale lorsque des départements comme l’Eure, l’Ain ou les Deux Sèvres en sont quasiment dépourvus.
Pour ce qui est des médecins généralistes, bon nombre de départements sont largement en dessous de la moyenne française qui se situe à 147 pour 100 000 habitants. Aussi, certains départements font face à une baisse rapide de la densité médicale comme les Yvelines, la Seine Saint Denis, l’Eure et Loire ou l’Yonne, de près de 20% entre 2013 et 2023. Sur la France entière, la densité médicale des médecins généralistes a baissé de 5,3% sur la période.
Au-delà de la densité médicale, l’accès aux soins fait face à une concentration des praticiens dans les villes au détriment des zones rurales. En plus, sans pour autant qu’il faille critiquer ou non ces changements de comportement, la relation au travail des jeunes praticiens a changé. L’exercice isolé, les semaines à rallonge et les amplitudes horaires importantes ne sont plus souhaités par un bon nombre de jeunes médecins. Il faut donc faire face à la fois à un manque de médecins et à une transformation des pratiques qui mérite sans doute des réponses multiples ne se limitant pas à la régulation de l’installation.
- L’Assemblée nationale, un texte plus contraignant dépendant d’indicateurs à construire
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La proposition de loi Trans partisane visant à lutter contre les déserts médicaux, votée le 7 mai à l’Assemblée nationale défend notamment une limitation de la liberté d’installation, remise en cause au profit d’une autorisation préalable à l’installation. Sur les 6 articles composant ce texte, 3 sont particulièrement importants.
L’article 1 vient contraindre l’installation des médecins à une autorisation préalable du Directeur Général de l’ARS de référence sur le territoire après avis du conseil de l’ordre. Si l’autorisation est de droit dans les zones sous dotées et lors du départ d’un autre praticien, dans les autres zones, celle-ci pourrait ne pas être systématique. L’article 1 bis vient compléter le dispositif par la mise en place d’un indicateur territorial de l’offre de soins évaluant la densité de l’offre de soins médicaux et paramédicaux dans chaque commune et dans chaque territoire de santé. L’estimation de l’offre de soins prendrait notamment en compte le temps médical disponible par patient⋅e ainsi que la situation démographique, sanitaire et socio-économique du territoire. Cet indicateur devrait permettre de définir le niveau minimal d’offre de soins à atteindre sur le territoire. L’article 3 vient enfin renforcer l’offre de formation de première année du premier cycle en médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique en obligeant une offre dans chaque département.
S’il s’agit d’une première avancée dans la reconstruction d’une offre de soin sur tout le territoire, cette proposition ne vient pas limiter les installations dans les territoires surdotés mais plutôt les faire dépendre du bon vouloir des ARS. Néanmoins, cela pourrait limiter l’installation en zone à très forte densité au profit de zones moins bien dotées. Pour ce qui est de la formation, une telle proposition doit être financée si elle ne veut pas rester lettre morte. En plus, la faiblesse du nombre d’étudiant⋅es provenant de territoires ruraux en fac de médecine ne pourra être résolue seulement par un renforcement de l’accès en première année s’il s’agit pour la plupart d’une impossibilité de faire ce type d’études pour des raisons financières.
- Le Sénat, un texte défendant les incitations en refusant la planification
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Ce second texte soutenu par le gouvernement et déposé en procédure accélérée au Sénat est très différent bien que possiblement complémentaire au texte de l’Assemblée nationale.
Dans les grandes lignes, la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires instaure une autorisation préalable nécessaire pour l’installation en zone sur-dense. Cette autorisation serait conditionnée à l’exercice à temps partiel en zone sous dense. Parallèlement, ce projet de loi propose de renforcer le rôle des départements dans le pilotage de l’offre de soin, de simplifier l’exercice des médecins dans les cabinets secondaires en renforçant leur remplacement... C’est aussi la possibilité de création de centre de santé qui dérogerait aux codes du travail pour employer en CDD des médecins sur 3 ans. La proposition de loi comporte enfin des simplifications de l’exercice des praticiens diplômés hors UE et souhaite revenir sur l’obligation de délivrance des certificats médicaux comme pour l’obtention d’une licence sportive en vue de participer ou non à des compétitions sportives ou les arrêts enfants malades.
Cette dernière mesure pourrait permettre de dégager du temps par patient⋅e mais reste relativement anecdotique. C’est principalement l’autorisation préalable qui pourrait être une légère avancée, bien que celle-ci ne soit pas réellement contraignante. Elle n’empêchera pas les médecins de s’installer mais devrait plutôt valider une offre de soin à deux vitesses, à temps partiel dans les territoires sous dotés et très dense dans les grandes métropoles. Aussi, rien ne garantit qu’un médecin qui s’installe dans un territoire surdoté ait facilement accès à un territoire sous doté pour effectuer les interventions nécessaires.
Les enjeux d’un meilleur accès aux soins sur tout le territoire dépassent la simple régulation de l’installation. C’est aussi du côté de la pratique, de la formation et d’un pilotage précis de l’implantation des professionnel⋅les de santé qu’il faut légiférer.
La CGT revendique un modèle de centre de santé opposé au centre de santé privé lucratif.
Le développement de centres de santé revendiqué par la CGT pourrait permettre d’apporter une telle réponse mais il s’agit aussi d’une affaire d’aménagement du territoire, d’accès aux services publics égalitaire pour l’ensemble de la population et d’une revitalisation du tissu économique de bon nombre de territoires ruraux.