Mémo Sécu n°39 : Financiarisation de la protection sociale

Publié le 23 juin. 2025
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La financiarisation du système de protection sociale a débuté il y a plus de 30 ans. Dès 1994, l’UNEDIC ouvre la voie avec la souscription d’un emprunt obligataire de 10 milliards de francs. En 1996, le régime général de Sécurité sociale suit le mouvement avec la création de la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (CADES) mise en place par le plan « Juppé » permettant l’émission de titres pour refinancer la dette de la Sécurité sociale. En 2000, les hôpitaux suivent le mouvement et l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité sociale (l’ACOSS) commence à emprunter pour ses dépenses courantes à partir de 2007.

Aujourd’hui, la financiarisation de la protection sociale est largement développée, exposant la Sécurité sociale à l’instabilité financière, à un contrôle renforcé d’investisseurs financiers et à l’affaiblissement toujours plus rapide de la logique de protection à l’avantage d’une logique purement financière. La gouvernance financière viendrait remplacer la démocratie sociale.

Les points importants à retenir

  • Depuis 1996, la CADES aurait versé 79 milliards d’euros d’intérêts et de commissions aux investisseurs financiers ;
  • 90% des investisseurs dans les obligations de la CADES sont des investisseurs étrangers ;
  • En 2023, le paiement des intérêts nets de la CADES a coûté 2,5 milliards d’euros à la Sécurité sociale ;
  • L’immense majorité des ressources mobilisées pour financer les charges liées aux emprunts de la CADES proviennent des prélèvements sur les salaires et les revenus de remplacements.
La CADES, le principal organisme emprunteur de la Sécurité sociale

Le fonctionnement de la CADES repose sur la captation des revenus du travail. Concrètement, la dette du régime général est transférée à la CADES et celle-ci emprunte pour la rembourser. Pour payer elle-même ses dettes, elle mobilise des recettes dédiées issues de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), ainsi que du Fonds de réserve pour les retraites (FRR), qui lui verse 2,1 milliards d’euros par an depuis 2011.

Comme l’indique Ana Carolina Cordilha, Maîtresse de conférences en économie à l’Université de Rennes 2, « La quasi-totalité des ressources pour financer ces charges provient des prélèvements sur les salaires et les revenus de remplacement (retraites, allocations chômage), tandis que ceux sur les revenus du capital représentent moins de 10 % des recettes ». Ces paiements aux investisseurs sont donc principalement (à 90%) financés par l’argent des travailleur·ses ou de l’argent issu de leurs droits de sécurité sociale et reposent donc sur des recettes qui bénéficiaient auparavant au régime général de la Sécurité sociale.

Comme l’indique la chercheuse, depuis sa création en 1996, la CADES aurait entrainé le transfert de 79 milliards d’euros au secteur financier en paiement d’intérêts et de commissions. La plus grande part de ces fonds ont été transférés à des investisseurs étrangers, 90% des créanciers de la CADES, tout cela au nom de la Sécurité sociale.

Financiariser la Sécu sous couvert d’un manque de recettes

Cette financiarisation s’est développée sous couvert d’une croissance de la dette de la Sécurité sociale qu’il faudrait refinancer facilement par des levées de fonds sur les marchés.

Seulement, ces besoins de financement pourraient être satisfaits d’une toute autre manière. Ce manque de recette est le fruit de choix politiques qui produisent un assèchement des financements par la stagnation du taux de cotisations de la part dite patronale face à l’évolution des besoins des populations.

Le mécanisme de contrainte de financement de la Sécu opère simultanément sous deux angles :

  • D’un côté, en dépenses, l’ouverture du financement de la Sécurité sociale aux marchés financiers permet aux gouvernements libéraux d’agiter la peur de la sanction de ces mêmes marchés si les politiques sociales devenaient trop « dépensières » ;
  • De l’autre, en recettes, ces mêmes gouvernements diminuent les recettes sous couverts du maintien de l’emploi et de la relance de l’activité par les exonérations de cotisations sociales, qu’elles compensent pour partie par des recettes fiscales, ce qui renforce la mainmise de l’Etat sur la Sécurité sociale.

 

Finalement, d’un côté la Sécurité sociale est de plus en plus dépendante des marchés pour se financer et doit mobiliser une part importante de ses ressources pour rembourser cette dette et les intérêts, de l’autre elle fait face à une baisse de ces recettes qui rajoutent une contrainte financière supplémentaire.

La financiarisation de la protection sociale française est l’outil d’une dépossession des travailleur.es aussi bien de leurs droits, que du principe démocratique et d’un financement assis sur le travail. Autrement dit, la financiarisation est l’outil de remise en cause des principes fondamentaux de la Sécurité sociale. En créant les bases d’un effondrement programmé des finances de la Sécurité sociale, que ce soit par l’exposition à l’instabilité financière, par le manque de recettes ou la captation d’une part de celles-ci par le secteur financier, les gouvernements successifs ont mené une politique néolibérale : mettre la puissance publique au service du marché, celui-ci étant considéré comme plus efficace que la logique de service public.

La reprise de contrôle des travailleur·ses sur la Sécurité sociale passera nécessairement par l’exclusion des marchés financiers de son financement. Il est nécessaire de revenir à un financement construit sur une meilleure répartition de la valeur produite, c’est-à-dire des cotisations sociales étendues. Remettre en cause le pouvoir des investisseurs sur le financement de la Sécurité sociale serait la première pierre d’une réinstauration de la démocratie sociale initialement au cœur du projet de régime général de Sécurité sociale.

 

 

Repère revendicatif