« Le capitalisme est déréglé et la répartition des richesses est trop divergente par rapport à ce qui revient au capital » selon Éric Lombard, Directeur général de la Caisse des dépôts et consignations[1].
Nous n’avions pas attendu Éric Lombard pour partager ce constat ancien, mais il est intéressant d’entendre de tels propos de la part d’un des membres les plus influents sur la stratégie économique de l’Etat.
Ces propos sont pour nous l’occasion de revenir sur l’évolution du partage de la valeur ajoutée (VA).
[1] La Caisse des dépôts et consignations (CDC) est une institution financière publique, qui détient de nombreuses participations dans des entreprises françaises comme La Poste, Transdev. La CDC détient également 5% de BPI France.
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Qu’est-ce que la valeur ajoutée ?
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C’est la valeur de la production moins les consommations intermédiaires c’est-à-dire les éléments transformés ou consommés au cours du processus de production comme l’électricité, les matières premières, le loyer d’un local, les machines, … Autrement dit, c’est la richesse produite par le travail.
La valeur ajoutée se partage ensuite entre les salaires et le profit. Ce profit brut fait l’objet d’un impôt sur les sociétés. Enfin, le profit net se divise entre une partie distribuée aux actionnaires et une autre mis en réserve pour financer les investissements ou prévenir des éventuels coups durs.
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L’évolution du partage de la valeur ajoutée
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Source : Comptes nationaux – Base 2014, Insee
Comme on le voit sur ce graphique, la part des salaires dans la valeur ajoutée dans les sociétés non financières se situe à un niveau bien plus faible que le niveau auquel il était jusqu’au milieu des années 1985.
La part des salaires de 2014 à 2018 est surévaluée car le CICE était comptabilisé comme un crédit d’impôt selon la comptabilité nationale. Les cotisations étaient payées et rentraient dans la rémunération des salariés alors que les entreprises étaient en réalité remboursées de cette dépense. On peut évaluer l’effet à environ 1 point de valeur ajoutée qui est allée au capital plutôt qu’au travail par rapport aux données qui figurent dans ce graphique.
On voit d’ailleurs une nette baisse en 2019 du fait de la transformation du CICE en exonérations pérennes de cotisations.
La hausse de 2020 s’explique surtout par une baisse de la valeur ajoutée créée ce qui fait mécaniquement augmenter la part des salaires.
Pour comprendre l’effet de cette distorsion du partage de la valeur ajoutée, donnons quelques chiffres.
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Un effet majeur sur les salaires
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En 2019, la valeur ajoutée des sociétés non-financières était de 1274 milliards d’euros. 1% de la valeur ajoutée c’est donc 12,74 milliards d’euros. Augmenter d’1 point la part des salaires dans la valeur ajoutée en prenant sur la part revient donc à un surplus de salaires de 12,74 milliards d’euros par an. Si on divise ces 12,74 milliards par les 20 millions de salariés du privé, cela fait environ 650€ par salarié.
Autrement dit, à chaque fois que le capital parvient à augmenter sa part dans la valeur ajoutée d’1 point, ce sont 650€ bruts par an par salarié qui sont spoliés aux travailleur-se-s.
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Et si nous avions gardé le partage de la VA des années 1970 ?
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Depuis 2015, la part des salaires dans la valeur ajoutée brute des sociétés non-financières est en moyenne de 65,43%. Entre 1970 et 1979, elle était en moyenne de 70,94% soit 5,5 points de plus.
Si depuis 2015, la part des salaires avait été la même que dans les années 1970, la rémunération du travail aurait été supérieure de 62 milliards d’euros par an en moyenne. Cela représente pas moins de 3100€ par salarié du privé (cotisations salariales et « patronales » incluses) soit plus de 250€ par mois.
Une part des salaires de 70,94% n’a rien d’extravagant et n’est évidemment pas un plafond indépassable, c’est simplement une référence intéressante sur une période de 10 ans mais la part des salaires pourrait être bien plus importante.
Enfin, la part de la valeur ajoutée qui revient au travail dépend évidemment du rapport de force entre travail et capital. Le conflit autour de la répartition de la valeur ajoutée est un élément fondamental de la lutte des classes ; il se joue dans l’entreprise, mais aussi en dehors (via la lutte pour la hausse du SMIC par exemple).