Sorte de pendant du taux de chômage, le taux d’emploi fait l’objet d’une attention politique importante et est souvent mobilisé pour des comparaisons, notamment avec l’Allemagne, censées illustrer un « problème » français. C’est ce que cherche par exemple à faire le graphique présenté ci-dessous. Or, à bien y regarder, la France est strictement dans la moyenne du taux d’emploi de la zone euro. Pour le dire simplement, quel que soit le sujet (chômage, retraite, croissance économique, etc.) les politiques ont la fâcheuse tendance de voir dans l’augmentation du taux d’emploi un remède miracle. Nous y voyons au contraire une tentative d’occulter le véritable enjeu : le partage du travail, à commencer par sa réduction.
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Pourquoi parle-t-on du taux d’emploi ?
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Par définition, le taux d’emploi rapporte le nombre de personnes en emploi au nombre de personnes en âge de travailler (15-64 ans). Contrairement au taux de chômage (qui rapporte le nombre de chômeurs au nombre d’actifs), il tient compte des personnes inactives, c’est-à-dire qui ne sont pas en emploi bien qu’en « âge de travailler » au sens statistique. On y retrouve donc les retraité-es, mais aussi les étudiant-es et les personnes « ni en emploi ni au chômage », soit une large partie de la frange la plus précaire de la société.
Lorsque nos politiques et le patronat parlent du taux d’emploi, ils pointent donc du doigt ceux qui « ne daignent » pas travailler, qui de ce fait ne contribueraient pas à la création de richesses et qu’il faudrait « forcer » à travailler. C’est cette croyance qui justifie les réformes durcissant les conditions d’accès aux indemnités chômage, ou rendant plus compliqué l’accès au minima sociaux[1].
À contre-pied, ce mémo est pensé comme une sorte « d’autodéfense intellectuelle », à activer lorsqu’on nous parlera de taux d’emploi.
[1] C’est ce que montre J. Freyssinet dans ses travaux sur l’utilisation du taux d’emploi au niveau européen (FREYSSINET Jacques, « Taux de chômage ou taux d'emploi, retour sur les objectifs européens », Travail, genre et sociétés, 2004/1 (N° 11), p. 109-120.)
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Le taux d’emploi est-il un indicateur pertinent ?
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Comme toujours, l’oubli de la qualité de l’emploi
D’abord, comme pour le taux de chômage, le taux d’emploi seul ne dit pas grand-chose de la qualité des emplois occupés, ni en termes de stabilité du contrat (intérim, CDD, auto-entreprise), de temps de travail (réduit via les temps partiels subis, éparpillé), ou de rémunération. Lorsqu’on contraint les gens à accepter des n’importe quel emploi, en diminuant les allocations chômage, en réduisant les minima sociaux, etc., on augmente certes le taux d’emploi, mais cette mise au travail forcée[1] conduit nécessairement à une hausse de la précarité[2]. C’est bien tout le problème. Quand le gouvernement se félicite d’une hausse du taux d’emploi, il applaudit en vérité la hausse de la précarité.
Les « 15-64 ans » est une catégorie qui n’a pas de sens
Ensuite, la population des 15-64 qui sert de référence pour le calcul de l’indicateur mélange des réalités et des moments de vie très différents, pour lesquels augmenter le taux d’emploi ne signifie pas du tout la même chose. Il faut donc regarder dans le détail :
- Sur la tranche des 15-24 ans, cela signifie mettre au travail une population en études, ou en âge d’étudier. Veut-on vraiment que nos jeunes soient obligés de travailler 20 voire 25 heures par semaine pour financer leurs études ? Avec quelles conséquences sur les taux de réussite, et donc sur la hausse globale des qualifications ? Le diplôme conditionne directement le niveau de salaire et de pénibilité.
- La tranche la plus âgée de 55-64 ans concentre déjà les personnes ni en emploi ni en retraite, bloqués dans un sas de précarité de plus en plus long dans le temps du fait des reculs successifs de l’âge de la retraite. Le faible taux d’emploi de cette catégorie est indissociable des pratiques des employeurs qui cherchent à se débarrasser des plus de 55 ans. Par ailleurs, augmenter le taux d’emploi des « seniors » a pour corollaire de rendre plus difficile l’insertion des nouveaux entrants sur le marché du travail. Est-ce vraiment un bon objectif ?
- Sur la tranche des 25-54 ans, qui compose le cœur de la population active, il n’y a pas de sujet dans le sens où la France n’a rien à envier aux autres pays européens, avec un taux d’emploi de 81,4 % contre 80,2 pour la moyenne européenne.
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L’Allemagne est-elle réellement un modèle à suivre ?
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Si on revient au graphique en introduction, on prend (comme souvent) l’Allemagne comme exemple. Certes, l’Allemagne affiche en 2019[1] un taux d’emploi de 9 points supérieur à son équivalent français (75,7% versus 66,4%). Mais veut-on vraiment un modèle de société à l’allemande, où les mini jobs sont monnaie courante ? L’Allemagne est ainsi un très bon exemple des conséquences d’une augmentation du taux d’emploi « coûte que coûte ». Elle compte deux fois plus de personnes à temps partiel (33,7% versus 18%), davantage de travailleurs pauvres (7,9% versus 7,4%), mais également une pauvreté monétaire des 65 ans et plus deux fois plus importante qu’en France (18% versus 9,7%).
[1] C’est-à-dire dépollué de tout effet covid.
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La « bonne » hausse du taux d’emploi, c’est la RTT
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En définitive, il y a bien deux blocs d’idées qui s’affrontent à travers la mobilisation de cet indicateur. D’un côté les partisans d’une augmentation du taux d’emploi grâce à la mise au travail forcée des jeunes et des seniors et l’augmentation de la précarité (des 25-54 ans notamment) et de l’autre, ceux qui pensent que le travail est un droit, qu’il doit permettre d’accéder à un revenu décent mais également qu’il doit s’exercer dans de bonnes conditions.
Pour nous à la CGT, les défenseurs de ce second objectif, trois conditions doivent être réunies :
- Le fait d’avoir des qualifications, donc de bénéficier de conditions favorables pour étudier et se former tout au long de la vie
- Le fait de disposer d’un droit à la retraite en bonne santé, donc de pouvoir partir en retraite à 60 ans
- Le fait d’augmenter « correctement » le taux d’emploi des 25-54 ans via une réduction organisée du temps de travail, grâce au passage aux 32h.
À l’opposé de la croyance que c’est la croissance seule qui crée de l’emploi, comme le martèlent politiques et patronat, l’histoire montre bien que le moyen le plus efficace de créer de l’emploi est de réduire durablement le temps de travail : la durée moyenne du travail a baissé de plus de 36% depuis 1949, tandis que l’emploi a augmenté de 46 %.
Derrière une notion a priori technique comme le taux d’emploi se cache en vérité, comme d’ordinaire, le conflit capital/ travail et des visions discordantes de l’économie.