Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a annoncé dimanche 21 janvier que les prix de l’électricité augmenteraient bien d’environ 10% à partir du 1e février 2024, à la suite du rétablissement des taxes sur l’électricité pour sortir du bouclier tarifaire. Alors que les travailleuses et les travailleurs ont considérablement perdu en pouvoir d’achat depuis le début de la crise inflationniste, et qu’une personne sur cinq se trouve actuellement en situation de précarité énergétique[1] (soit 12 millions de personnes environ en 2023), cette décision du gouvernement de Gabriel Attal ne va qu’accentuer les difficultés rencontrées par les ménages français. En effet, cette hausse se traduira, en moyenne, par une augmentation de 130 euros de la facture annuelle d’électricité, soit 10,8 euros par mois et par ménage !
[1] La précarité énergétique est définie comme la difficulté, voire l’incapacité à pouvoir chauffer correctement son logement, et ceci à un coût raisonnable.
- Marché européen de l’électricité : comment se forment les prix ?
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Deux types de prix peuvent être distingués sur le marché européen de l’électricité. Les prix de gros, qui sont payés par les fournisseurs d’électricité aux producteurs, et les prix de détail, qui sont ceux payés par les consommateurs finaux d’électricité, à savoir les ménages et les entreprises.
Mais de quelle façon sont déterminés les prix de gros de l’électricité ? C’est simple : ils sont fixés par le principe de la dernière centrale appelée, en d’autres termes par la dernière centrale électrique nécessaire pour répondre à la demande en électricité.
Concrètement, on additionne les capacités de production électrique disponibles, en allant des centrales qui ont les coûts de production les plus faibles (renouvelables et nucléaires) vers les centrales dont les coûts sont les plus élevés (charbon et gaz). De ce fait, lorsque la demande en électricité est faible, les capacités de production électrique de l’éolien, du photovoltaïque et de l’hydro-électricité, voire du nucléaire, peuvent être suffisantes pour satisfaire la demande. Étant donné que les coûts de production des énergies renouvelables sont faibles, voire modérés pour le nucléaire, les prix de l’électricité le sont également.
En revanche, lorsque la demande en électricité est forte, il faut mobiliser les capacités de production des centrales électriques fonctionnant aux énergies fossiles, dont les coûts de production sont plus importants. Les prix de l’électricité sont alors plus élevés. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on considère habituellement que les prix de l’électricité sont corrélés au prix du gaz : lorsque les centrales électriques à gaz sont nécessaires pour satisfaire la demande en électricité, les centrales nucléaires sont obligées de s’aligner sur le prix de ces dernières, alors que leurs coûts de production sont bien plus faibles ! C’est ce qu’illustre le graphique ci-dessous.
En quoi ce fonctionnement du marché européen de l’électricité pénalise les ménages français ? Pour une raison évidente : l’énergie nucléaire représente une part importante de la production française d’électricité, avec plus de 60% en 2023. De ce fait, les ménages français pourraient bénéficier d’une électricité moins chère, mais le fonctionnement du marché européen de l’électricité impose aux producteurs d’énergie nucléaire de s’aligner sur les prix des centrales les plus chères !
- De quoi sont composés les prix payés par les consommateurs ?
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Les prix de détail qui, de nouveau, sont ceux payés par les consommateurs finaux d’électricité, notamment les ménages, ne dépendent pas seulement des prix de gros de l’électricité. Ils se décomposent de la façon suivante : (1) Le coût de la fourniture d’électricité (58% du prix TTC en 2023), qui contient notamment les prix de gros[1], mais aussi les frais commerciaux et la marge appliquée par le fournisseur ; (2) Le coût d’acheminement sur les réseaux électriques (24%) ; Les taxes et contributions (18%), qui comprennent la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), la contribution tarifaire d’acheminement (CTA) et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
[1] En France, il faut également tenir compte de l’Accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH) dans la fixation du prix de gros de l’électricité. En effet, jusqu’au 31 décembre 2025, EDF doit céder chaque année, à un tarif fixé (42 euros par mégawattheure (MWh)) par la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE), environ un quart de sa production, soit 100 TWh (térawattheure) par an.
- Hausse des tarifs en 2024 : une sortie du bouclier tarifaire
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Après des hausses de 15% en février 2023 et de 10% en août 2023, les tarifs de l’électricité augmenteront de nouveau de 10% en février 2024. Plus précisément, la hausse sera de 9,8% pour les ménages ayant souscrit un contrat heures pleines/heures creuses et de 8,6% pour ceux au tarif de base. En moyenne, cela représente une augmentation de 130 euros de la facture annuelle d’électricité, soit 10,8 euros par mois et par ménage. Pire, d’après les projections du ministère de l’Économie et des Finances, pour une famille de quatre personnes dont la maison est chauffée à l’électricité, la facture monte à 216 euros par an, soit 18 euros par mois !
Cette hausse s’explique par la sortie du bouclier tarifaire mis en place en 2022 pour contenir la flambée des prix de l’énergie. Le gouvernement avait alors limité la hausse des tarifs de l’électricité à 4% en février 2022. Deux leviers avaient été actionnés : une hausse du plafond de l’ARENH[1], mais surtout une baisse de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) au plus bas niveau autorisé par la Commission européenne, à savoir 1 euro par MWh contre 32 euros par MWh habituellement, pour compenser la hausse des prix de l’électricité sur les marchés de gros.
Selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE), avant la prise en compte de la fiscalité, les tarifs de l’électricité baissent de 0.35% en février 2024. Si les taxes et en particulier la TICFE étaient maintenues au niveau actuel, les prix de l’électricité resteraient donc stables en 2024. En d’autres termes, cela signifie que la hausse des factures n’est pas la conséquence d’une hausse des prix sur les marchés de gros, mais qu’elle dépend entièrement de la décision du gouvernement de rétablir une partie des taxes sur l’électricité. Comme le bouclier tarifaire entraine une perte de 9 milliards d’euros de recettes fiscales pour les finances publiques, le gouvernement souhaite mettre fin au plus vite à la politique du « quoiqu’il en coûte » et a donc fait le choix de passer la TICFE de 1 à 21 euros par MWh, avec l’objectif de revenir à 32 euros par MWh d’ici janvier 2025. Alors qu’il aurait pu choisir de taxer les grandes entreprises de l’énergie qui accumulent les surprofits depuis le début de la crise inflationniste, il a une nouvelle fois fait le choix de baisser le pouvoir d’achat des ménages, notamment des plus précaires qui souffrent toujours de l’explosion des prix dans l’alimentaire. De ce fait, les ménages français subissent une double injustice : un prix trop élevé de l’électricité qui est la conséquence du fonctionnement du marché européen de l’électricité ; une hausse des taxes qui vise à faire payer par les ménages le coût du bouclier tarifaire.
D’ailleurs, la FNME-CGT qui est pour un grand service public de l'énergie, a calculé que le juste prix de l’électricité pour toutes et tous serait de 0,1948 euro par kilowattheure (kWh), contre 0,25 euro par kWh à la suite de la hausse de février 2024, soit un surcoût de l’électricité de 28% pour les ménages français !
[1] EDF a dû céder une part plus importante de sa production (120 TWh) afin que les fournisseurs puissent acheter une plus grande quantité d’électricité à un prix plus faible, puisque le tarif fixé par la CRE est inférieur à celui déterminé par les marchés de gros.
- À retenir :
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- À la suite de la décision du gouvernement de rétablir une partie des taxes sur l’électricité pour sortir du bouclier tarifaire, les prix de l’électricité augmenteront de 10% à partir du 1e février 2024. En moyenne, cela représentera une hausse de 130 euros de la facture annuelle d’électricité, soit 10,8 euros par mois et par ménage.
- La politique énergétique doit garantir à toutes et tous un droit à l’accès aux besoins fondamentaux. L’énergie étant un produit de première nécessité, son accès doit être garanti sur l’ensemble du territoire pour répondre aux besoins des populations et de la production, les tarifs doivent être adaptés aux moyens des usager∙es et un accès minimum doit être garanti et financé par la solidarité.
- La mise en place d'un pôle public de l'énergie. Le droit d’accès à l’énergie doit être inscrit dans les droits fondamentaux garantis de la constitution française, que des tarifs régulés soit instaurés pour toutes les énergies et que la TVA soit abaissée à 5,5% contre 20% actuellement afin que l’énergie soit considérée comme un bien de première nécessité et non comme un bien de luxe.