Largement mobilisé dans le débat public, la notion d’espérance de vie en bonne santé n’est pourtant pas évidente à comprendre précisément. De quoi parle-t-on lorsque l’on parle de bonne santé ? Pour être rigoureux, il faut privilégier les notions d’espérance de vie sans incapacité et d’espérance de vie sans incapacité forte qui renvoient à des données et des méthodes de mesure bien précises.
Les débats sur la fin de vie ne doivent pas occulter que l’enjeu central est aussi l’amélioration de la santé des travailleur.ses et surtout la possibilité pour toutes et tous de vivre et de vieillir en bonne santé. Aujourd’hui, la classe sociale détermine largement l’espérance de vie, sans incapacité ou non. Il ne faudrait pas que les modifications de la prise en charge de l’aide à mourir pour les personnes qui en font la demande soit un outil pour fuir des situations de souffrances issues d’une mauvaise prise en charge, de conditions de travail et de vie qui auraient pu être évitées par des politiques de santé publiques plus égalitaires et centrées sur les besoins.
Pour évaluer l’espérance de vie, il existe différents types d’indicateurs permettant de la mesurer sur la base de plusieurs références temporelles. On peut par exemple calculer l’espérance de vie à la naissance, l’espérance de vie à 35 ans ou l’espérance de vie à 65 ans sur des bases très distinctes donc.
La Directions de la Recherches des Etudes et de l’Evaluation Statistique (DREES) a chiffré en décembre 2023 les dernières évolutions de ces indicateurs. Fait marquant, entre 2021 et 2022, l’espérance de vie sans incapacité à partir de 65 ans baisse et revient au niveau de 2020 sans pour autant que l’on puisse faire le constat d’un renversement de tendance.
Les points importants à retenir |
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Dans sa publication, la DREES précise que la dynamique observée sur les espérances de vie n’est peut-être pas simplement transitoire. Néanmoins il faut l’analyser avec précautions et cela pour plusieurs raisons.
Le changement de méthode de collecte a probablement eu un impact sur les données produites. Durant la période COVID, les réponses au questionnaire permettant de mesurer le niveau de l’espérance de vie sans incapacité ont été collecté par téléphone et non en face à face.
De fait, l’augmentation de l’espérance de vie sans incapacité en 2021 est sans doute à la difficulté à contacter les personnes avec incapacité par téléphone ainsi qu’au sentiment général de contrainte sur la population. La DREES estime que les personnes en incapacité avaient sans doute moins le sentiment d’être dans cette situation étant donné qu’une grande part de la population était contrainte sur une grande part des activités de la vie quotidienne. Cela doit toutes et tous nous rappeler que le handicap est bien souvent une situation vécue et non une condition immuable des personnes.
Aujourd’hui, on peut donc dire que ces espérances de vie ont été largement impactées par la crise COVID, ce qui en dit long sur l’incapacité des pouvoirs publics à gérer des périodes de crises qui devraient pourtant se multiplier durant les prochaines années.
Par ailleurs, il faudrait faire compléter ces données pas une analyse plus précises centrée sur les classes sociales notamment parce l’espérance de vie sans incapacité dépend fortement de la catégorie socio professionnelle.
L’observatoire des inégalités indique qu’à 35 ans, un cadre et un ouvrier ont une espérance de vie de respectivement 49 et 42,6 ans soit 6,4 ans de différences ! Cette différence est 2 fois moins importante pour les femmes même si elle reste significative.
Enfin, l’Institut National d’études démographie indiquait dans un travail de 2019 que l’espérance de vie augmente moins vite en France depuis quelques années. Les explications sont multiples et tiennent certainement à la fin :
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Des gains issus des progrès de le médecine cardiovasculaire,
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De la prise en charge des maladies infectieuses et respiratoire,
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Et à la faiblesse des gains liés à la lutte contre le cancer même si celle-ci est non négligeable.
Le système sanitaire français est plus protecteur et égalitaire que dans d’autres pays ce qui a contribué à empêcher la baisse ou la stagnation de l’espérance de vie observé dans certains pays occidentaux.
La destruction de système de santé et de la Sécurité sociale que nous dénonçons depuis de nombreuses années pourrait inverser la tendance. Le report de l’âge légal de la retraite, l’intensification du travail et les conditions de travail qui se dégradent auront des impacts sur l’espérance de vie sans incapacité. Plus longtemps exposés à une pénibilité croissante du travail, les travailleur.ses les plus modestes en seront surement les premier.ères victimes
- Espérance de vie, Espérance de vie sans incapacité forte ou non : qu’est-ce que c’est ?
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Comme nous l’indiquons plus haut, il existe différentes manières de calculer l’espérance de vie d’une population. La plus désignée dans les médias et l’espérance de vie à la naissance.
L’espérance de vie à la naissance est calculée pour une génération fictive. Il s’agit du nombre d’année que cette génération pourrait espérer vivre si on lui applique à chaque âge les niveaux de mortalité d’une année donnée. En somme, pour une personne naît en 2024, son espérance de vie à la naissance sera calculée en appliquant à sa génération et pour chaque âge les niveaux de mortalité de l’année 2024 à chaque âge.
L’espérance de vie à 35 ou 65 ans est calculé de la même manière en partant non plus de la naissance mais de la génération qui a 35 ou 65 ans à date donnée et en lui appliquant les niveaux de mortalité de l’année et pour chaque âge.
Ces différents indicateurs sont quantitatifs puisqu’ils permettent d’avoir un aperçu du nombre d’années moyennes à vivre. Pour marier une analyse quantitative et qualitative, il est possible de construire d’autres indicateurs : l’espérance de vie sans incapacité ou l’espérance de vie sans incapacité forte.
L’espérance de vie sans incapacité ou sans incapacité forte sont mesurées à partir des réponses à la question posée dans le dispositif européen European Union Statistics on Income and Living Conditions (EU-SILC) « Êtes-vous limité(e), depuis au moins six mois, à cause d’un problème de santé, dans les activités que les gens font habituellement ? ». Les personnes répondant « Oui, fortement » ou « Oui, mais pas fortement » sont alors considérées comme souffrant d’incapacité(s).
- Les espérances de vie : quelles évolutions ?
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Depuis 2008, les espérances de vie augmentent en tendance même si en 2022 celles-ci n’ont pas retrouvé leur niveau de 2019.
Selon l’INSEE, l’espérance de vie à la naissance a baissée entre 2019 et 2022. En 2023, elle retrouve les niveaux de 2019 avec 85.7 ans pour les femmes et 80 ans pour les hommes. L’impact du COVID a été transitoire et semble amorti en 2023.
Selon la DREES, en 2022, l’espérance de vie à 65 ans sans incapacité était de 11,8 ans pour les femmes et de 10,2 ans pour les hommes.
Parallèlement, l’espérance de vie sans incapacité forte à 65 ans était de 18,3 ans pour les femmes et de 15,5 ans pour les hommes.
Sur la période 2008 à 2022, l’espérance de vie sans incapacité à 65 ans a augmentée de 1 an et 9 mois pour les hommes et 1 an et 6 mois pour les femmes. L’espérance sans incapacité forte à 65 ans a augmentée sur la même période de 1 an et 8 mois pour les femmes et de 1 an et 5 mois pour les hommes.
En 2022, pour les femmes, la part d’années sans incapacité dans l’espérance de vie à 65 ans est passée de 44,7 % en 2008 à 51,0 % en 2022.
Pour les hommes, les années sans incapacité représentaient 53,0 % des années restant à vivre en 2022 à 65 ans, contre 47,7 % en 2008.
Depuis la période COVID, les espérances de vie ont baissées pour retrouver le niveau qu’elles avaient atteint en 2020. S’agit-il d’un renversement de tendance qui devrait se prolonger ou d’un phénomène purement transitoire ?
- Des évolutions à prendre avec des pincettes : l’espérance de vie sans incapacité ou l’espérance de vie sans incapacité forte baissent elles en 2022 ?