Mémo Sécu n°29 : RSA-Quand le travail gratuit devient une réalité

Publié le 10 fév. 2025
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Le 1er janvier s’accompagne en général des changements substantiels dans les règles d’attributions et de versement des politiques sociales en France. Cette année, le mois de janvier est marqué par le déploiement du RSA dit « rénové » et notamment d’une obligation d’activité de 15h minimum par semaine pour les allocataires de cette prestation sociale. Cette conditionnalité n’est pas un projet du nouveau gouvernement Bayrou puisque ce dispositif est expérimenté depuis 2023 dans 18 départements puis dans 47 départements depuis le 1 mars 2024.

Ces expérimentations sont pourtant sans appel. Cette conditionnalité du versement à 15h minimum d’activité n’est pas efficace. Un rapport consacré à l’évaluation de ce dispositif a d’ailleurs montré que le retour à un emploi durable pour les allocataires était plutôt faible, que le manque de moyens pour le suivi des allocataires était très important. De plus, le référentiel pour les 15h minimum d’activité n’est pas clair et pose d’importants problèmes tant aux professionnelles de l’accompagnement qu’aux allocataires.

Le revenu de solidarité active (RSA), censé garantir un minimum vital, est loin d'assurer pleinement ce rôle. Il permet tout juste à ses bénéficiaires d’échapper à la très grande pauvreté, mais reste insuffisant pour leur permettre de s'insérer durablement dans le marché de l’emploi.

 

Les points importants à retenir

  • 1.85 million de foyers percevaient le RSA en 2023
  • Le montant forfait du RSA est de 635 euros pour un personne seule et sans enfant et 953 euros pour un couple sans enfant.
  • 97% des allocataires du RSA sont soumis aux « droits et devoirs », c’est-à-dire à une obligation de recherche d’emploi ou toute démarche liée.
  • Le rapport disponible relatif à l’effet des 15h d’activité obligatoire pour des allocataires du RSA indique la faible efficacité d’un tel dispositif.
Quel profil des allocataires du RSA ?

Comme l’indique la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DREES), 1,85 million de foyers bénéficiaient du RSA fin 2023 contre 1,89 million l’année précédente, soit plus de 3 ,5 millions de personnes si l’on prend en compte les conjointes et les enfants à charge. Plus de la moitié des foyers bénéficiaires sont des personnes seules et un tiers des foyers des familles monoparentales. Cela représente 5,5% de la population française et 19,4% dans le cas spécifique des départements Outre-mer.

L’accès au RSA est soumis à des conditions de ressources du foyer. L’ensemble des ressources de celui-ci sont prises en compte à l’exception des allocations d’aide au logement et de certaines prestations familiales. Le RSA peut être perçu à partir de 25 ans ou par les jeunes de moins de 25 ans ayant travaillé 2 années au cours des 3 dernières années.

Le RSA est une allocation différentielle (qui vient compléter les ressources du foyer) pour qu’elles atteignent un seuil spécifique. Au 1er avril 2024, le montant mensuel forfaitaire pour une personne seule et sans enfant était de 635 euros et de 953 euros pour un couple sans enfant.

Selon la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active (RSA), tout allocataire ou conjointe d’allocataire du RSA est soumis aux « droits et devoirs du bénéficiaire du RSA » s’il est sans emploi ou s’il a un revenu d’activité professionnelle inférieur à 500 euros par mois (en moyenne au cours des trois derniers mois). Les personnes soumises aux « droits et devoirs » sont tenues « de rechercher un emploi, d’entreprendre les démarches nécessaires à la création de leur propre activité ou d’entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle ». En 2022, 97% des allocations du RSA sont dans cette situation.

15h minimum de potentiel travail gratuit

Pour rappel, en 2023, la loi dite « Plein Emploi » prévoit l’obligation pour les allocataires du RSA de s’inscrire à France Travail et de signer un contrat qui les engage à effectuer 15h d’activité minimum par semaine, suivant un référentiel d’activité spécifié par décret. Sa généralisation au 1er janvier de cette année fait suite à une série d’expérimentations dans 47 départements français. Si les anciens gouvernements ne tarissaient pas d’éloges sur ces expérimentations, le cas de Marseille revenant régulièrement dans la bouche de Michel Barnier, il semble pourtant que les résultats des 15h de travail ne soient pas au rendez-vous.

Un bilan a bien été fait de ces expérimentations mais le rapport n’a pas été rendu public. Celui-ci indique plusieurs limites de cet accompagnement dit « rénové ».

En premier lieu, la reconnaissance des activités obligatoires rentrant dans le champ des 15h ne s’accompagne pas d’un référentiel clair. Aussi, les activités prises en compte ne sont parfois pas utiles aux allocataires. En plus, les conseilleres sont évaluées en fonction des 15h d’activités des allocataires qu’ils suivent. Résultat des comptes, ils et elles sont amenées à proposer des activités qui rentrent dans le décompte sans pour autant être utiles à ces allocataires.

Deuxièmement, les moyens. Cette obligation d’activité doit être liée à un accompagnement renforcé mais les moyens nécessaires à celui-ci ne suivent pas. Si lors de l’expérimentation, des financements spécifiques ont permis d’améliorer le suivi, la généralisation ne devrait pas être accompagnée de nouveaux financements. Avec la réforme, France Travail devra accompagner 1,2 million de personnes supplémentaires, sans financements supplémentaires.

Troisièmement, les résultats quant au retour à l’emploi des allocataires sont très limités. Si 42% des bénéficiaires du RSA qui ont participé à l’expérimentation ont accès à un emploi dans les premiers mois suivant leur entrée dans le parcours, seul 16% ont accédé à un contrat dit durable (CDD de plus de 6 mois ou CDI, sans distinguo, malgré les demandes CGT). Si ces résultats sont supérieurs à la moyenne rien ne dit qu’il ne s’agit pas de l’arbre qui cache la forêt. Aussi, le rapport d’analyse des expérimentations indique que 82% des bénéficiaires du RSA présentent au moins un frein périphérique à l’emploi, comme la garde d’enfant par exemple. Dans ce cas, la conditionnalité des 15 h n’y fera rien si ce n’est aggraver la situation de ces personnes.

Malgré toutes ces difficultés, le gouvernement n’a pas prévu d’attendre les évaluations finales de ces expérimentations et généralise ce potentiel travail gratuit sans l’assurance d’obtenir un effet sur le retour à l’emploi. C’était déjà le cas avec la mise en place du RSA, comme le rappelle notamment l’économiste Anne Eydoux, le gouvernement de l’époque n’ayant pas attendu les résultats des évaluations finales avant la généralisation, alors que celles-ci ont montré par la suite l’absence d’impact sur le taux de retour à l’emploi. Aussi, il semblerait que certains départements ne sont pas prêts pour cette généralisation.

L’inscription obligatoire à France Travail et l’orientation.

Désormais, l’ensemble des privées d’emploi ainsi que les conjointes des bénéficiaires du RSA auront l’obligation de s’inscrire auprès de France travail. Cette inscription obligatoire implique plusieurs enjeux. L’inscription est systématique et automatique lors d’une demande de RSA auprès de la CAF.  France travail est un guichet numérique unique pour l’inscription. Les privées d’emploi sont ensuite redirigées pour leurs orientations vers les opérateurs (France travail, Cap emploi, missions locale…) par le biais d’un algorithme. Lors de l’inscription il sera donc très ardu, voire impossible d’avoir affaire à une conseillere.

L’instauration d’un opérateur unique, France travail, implique donc que les données sociales, de travail, de santé (notamment en cas d’accident du travail, de Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé, de prise en charge par la MDPH…) soient mises en commun au sein de cet opérateur géant. Soulignées par le Conseil Constitutionnel puis par la CNIL ces dispositions portent une atteinte manifeste à la sécurisation des données. D’autant que nombre de failles de sécurité ont été mises en lumière ces dernières années au sein de France travail (ex-Pôle emploi). Outre ces risques de piratage, une fois l’inscription faite, les départements ont compétence pour orienter les privées d’emploi vers l’opérateur de leur choix. Aussi, les données collectées pourront être transmises à des opérateurs privés de placement qui pourraient se servir dans les bases de données pour fournir de la main d’œuvre gratuite aux entreprises.

Culpabiliser l’individu et défendre l’armée de réserve du patronat

In fine, la mise en place de la contrainte des 15h d’activité par semaine pour les allocataires du RSA est dans la continuité du principe d’activation des politiques sociales. L’activation est un renversement de l’ordre des responsabilités. Là où l’on considérait majoritairement avant les années 1990 que le chômage est une conséquence du fonctionnement du système économique, la mise en œuvre de la conditionnalité des allocations à partir de cette période a marqué un changement de paradigme : dès lors, l’individu est considéré comme responsable de sa situation et se doit de prouver qu’il recherche un emploi, les allocations étant alors considérées comme une désincitation à travailler.

Ce principe s’inscrit dans une logique très « entrepreneuriale ». Les privées d’emplois qui reçoivent une allocation sont considérées par les pouvoirs publics comme les objets d’un investissement social. Et comme pour tout investissement, il faut un « retour sur investissement ». Celui-ci doit être efficace, et pour cela, les privées d’emplois doivent justifier toujours et tout le temps d’un « comportement actif » de recherche d’emploi ou de formation.

D’ailleurs, les allocataires contraints d’effectuer ces 15h minimum d’activité peuvent donc fournir un travail, non rémunéré mais surtout, non encadré. Car ces activités sont encadrées uniquement par le contrat d’engagement avec France travail et non par un contrat de travail. Les droits associés à un contrat de travail classique ne leur sont alors pas garantis. Ni l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur, l’exercice du droit syndical, la rémunération… L’employeur n’est donc aucunement responsable dans le cadre de l’activité prévue par ce contrat d’engagement.

Pour la CGT, les 15h d’activité qui conditionnent le versement du RSA sont parfaitement dans la lignée de cette politique. Et c’est cette logique générale à laquelle il faut mettre fin. La privation d’emploi est un problème central pour l’ensemble des actifs qui se retrouvent mis au ban de la société, sans ressources suffisantes pour survivre et peuvent glisser au fil des mois dans la pauvreté et la grande pauvreté. Si un peu moins d’un allocataire sur cinq du RSA a un emploi, ce sont très souvent des emplois précaires, à temps partiel et très peu rémunérés. Aussi, plus de 60% des bénéficiaires perçoivent le RSA depuis 2 ans ou plus. Dans une telle situation, seul un réel droit à l’emploi (Fiche revendicative CGT n°5) pourrait permettre de régler ces situations trop souvent dramatiques pour l’ensemble des privées d’emplois.

 

Repère revendicatif