Memo Sécu n°31 : Quand le patronat dissimule le travail et ne paye pas les cotisations

Publié le 17 fév. 2025
Image

En décembre 2024, le Haut Conseil du Financement de la Protection sociale (HCFIPS) par suite de son rapport de juillet 2024, a publié les chiffres de l’impact du travail dissimulé sur les finances sociales.

Ce rapport indique en quelques lignes que le manque à gagner lié au travail dissimulé pour le champ des salariés du secteur privé non agricole s’élèverait entre 6 et 7,8 milliards d’euros par ans. Par ailleurs, il faudrait ajouter à cela un ensemble d’erreurs d’assiettes qui ne relèvent pas de la fraude à proprement parler mais qui pourrait porter ce manque entre 7,6 et 10,2 milliards d’euros par ans.

Pour ce qui est des micro-entrepreneurs et des travailleurs agricoles, le manque à gagner lié à l’absence de déclarations ou à des erreurs serait compris entre 1,3 et 1,7 milliards pour le premier et environ 345 millions d’euros pour le second.

L’ensemble de ces cotisations non perçues par la Sécurité sociale sont un manque important pour notre système de protection sociale dans une période d’attaques importantes sous couvert de déficit du système. Une vraie politique de contrôle, qui permet le payement des cotisations est une condition sine qua non à l’amélioration du système de protection sociale français et donc à la défense de la Sécurité sociale.

Les points importants à retenir

  • Les fraudes aux prestations familiales représentent 2 à 3% de la fraude aux cotisations sociales
  • Le manque à gagner dû au travail dissimulé est compris entre 6 et 7,8 milliards d’euros par an.
  • Le manque à gagner des cotisations non versées par les micro-entrepreneurs est estimé à 1,5 milliards d’euros.
  • Les problèmes de déclarations hors fraudes entrainent un manque à gagner de 1,7 à 2,3 milliards d’euros de cotisations sociales pour le secteur privé hors secteur agricole.
Un taux de fraude qui se maintient mais un manque à gagner très important

Le taux de fraude aux cotisations sociales reste quasiment stable depuis plus de 10 ans puisqu’il était évalué entre 1,5% et 1,9% en 2012 contre 1,5% à 2% aujourd’hui. Pour autant, ce taux porte sur une masse salariale qui évolue aboutissant bien une évolution en volume.

Au niveau sectoriel et régional, le taux de fraudes n’évolue pas sur la période. Des disparités importantes existent qui tiennent spécifiquement à la composition des tissus productifs locaux. Par exemple, les régions du sud et d’Île de France affichent des taux de fraude plus important du fait que les secteurs de l’hôtellerie/restauration et du commence de détail y soit surreprésentés, étant entendu qu’il s’agit des secteurs les plus fraudeurs. Les régions du sud-ouest et les Hauts de France ont des taux plus bas du fait de la sous-représentation de ces secteurs.

 Les taux de fraudes évalués par le HCFIPS ne prennent certainement que très peu en compte la dissimulation d’heures travaillées, dissimulation par définition complexe à évaluer. De fait, le niveau de la fraude réelle est sans doute bien plus élevé que l’estimation de ces évaluations.

Enfin, le HCFIPS rappelle qu’il s’agit bien du premier enjeu financier en termes de « fraude sociale » et de très loin. En effet, il indique dans les annexes au rapport[1] que les indus considérés comme frauduleux liés au versement des prestations par la branche famille s’élèveraient à moins de 3 milliards d’euros en 2020. Cette somme ne correspond à peine à la moitié des cotisations non payées évaluées ci-dessus et moins de 4% des prestations versées par la branche.

 

[1] Rapport HCFIPS juillet 2024 – Annexe Rapport Lutte contre la fraude sociale – p.74

Cotisations sociales et micro-entrepreneurs

Pour ce qui est des micro-entrepreneurs, la situation est différente du secteur privé en général puisque le niveau des anomalies de déclaration pour le payement des cotisations sociales est particulièrement élevé et compris entre 34,2% et 39,7% et le pourcentage de cotisations non payés serait compris entre 19,7% et 24,2% soit un manque à gagner d’environ 1,5 milliards d’euros par an.

C’est particulièrement le secteur de la livraison qui affiche le taux de cotisations non payées le plus élevés, compris entre 50 et 70% contre 27 à 45% en 2021. Pour une grande part utilisateurs des plateformes de livraison, l’HCFIPS indique que ces micro-entrepreneurs font majoritairement face à une méconnaissance de la législation entrainant ces problèmes de déclarations.

Si c’est un manque à gagner pour la Sécurité sociale, c’est aussi une perte importante pour ces travailleurs et travailleuses très souvent précaires, du fait de leur situation de micro-entrepreneurs, alors qu’ils sont plus largement exposés que l’ensemble des salariés aux accidents du travail notamment.

Néanmoins, à partir de 2026-2027, et c’est un paradoxe que la CGT dénonce aujourd’hui, les plateformes devront précompter les cotisations dues par les travailleur.ses en les soustrayant du chiffre d’affaires de ces travailleur.se.s. Une telle modification pourrait paradoxalement entrainer une hausse de la fraude du fait des très faibles revenus des travailleur.se.s des plateformes qui chercheront à limiter leur perte de revenus nets. Cette réforme est en plus parfaitement incohérent avec l’absence de reconnaissance de salariat de ces travailleur.se.s pourtant largement soumis aux contraintes d’un salariat classique sans pour autant en avoir les acquis et protections garanties.

Pour une extension du domaine de la cotisation sociale ?

Ces manques à gagner important pour la Sécurité sociale sont le signe d’un réel problème à la fois de contrôle des employeurs quant au versement pour le compte des salarié.e.s du bon niveau de cotisations sociales. L’ensemble des dispositifs d’exonérations et leur complexité étant sans doute en cause pour la partie qui ne comprend pas la fraude. Pour le reste, un renforcement du contrôle et des sanctions est sans doute nécessaire pour que chaque salarié.e soit assuré du payement de ses cotisations et de l’ouverture des droits associé.

En ce qui concerne les micro-entrepreneurs, le statut en lui-même est un problème. Largement utilisé pour remplacer des situations de salariat, il impose aux travailleurs et travailleuses concernés d’avoir une connaissance précise des règlementations.

Un dernier secteur d’activité n’est pas en reste quant à la sous déclaration des cotisations. La Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (CCMSA) considère que le taux de fraude du secteur agricole serait de 2,9%, supérieur au secteur privé donc, pour un manque à gagner de 345 millions d’euros par ans de cotisations sociales.

Cette fraude importante des employeurs est un enjeu pour la CGT qui défend le juste payement des salaires, les cotisations sociales en étant la part socialisée, et la pérennité de notre modèle sociale construit autour de la Sécurité sociale. Ce manque à gagner se rajoute au problème des exonérations de cotisations sociales qui s’élèvent aujourd’hui à 80 milliards d’euros et menace l’indépendance de la Sécurité sociale. Seule une modification du système actuel des recouvrements des cotisations sociales pourrait permettre de limiter ce manque à gagner. Il ne faut pas limiter la fraude uniquement par le contrôle, il faut créer les conditions de l’impossibilité de fraudes aux cotisations sociales.

 

Repère revendicatif