Mémo Sécu n°30 : Contributivité ou comment détruire la Sécurité sociale

Publié le 17 fév. 2025
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Généralement, les débats sur la protection sociale tournent autour du versement des prestations, leur niveau, leur modification. La question du financement reste plutôt dans la main de techniciens ou autres experts à qui il est laissé la liberté d’identifier les meilleurs prélèvements pour financer le système de protections sociale.

C’est dans ce contexte, particulièrement à partir des années 1980-1990, que les concepts de contributivité et non contributivité commencent à s’imposer pour analyser l’architecture du système de protection sociale.

Les prestations dites contributives correspondraient ainsi à l’ensemble des prestations financées par les cotisations sociales ou plus généralement par les revenus du travail. Elles correspondent à l’ensemble de ces prestations dont le niveau est défini par la contribution individuelle. Elles renvoient au principe des assurances sociales selon lesquels les droits sont destinés aux travailleurs et travailleuses qui cotisent ou ont cotisés, même si ce droit s’est largement élargi aux ayant droits, les enfants et les femmes du fait de la structure du rapport salarial durant la deuxième moitié du XXème siècle. Dans le cas du système français, les prestations contributives correspondent aux droits à la retraites, aux indemnités journalières d’arrêts maladie ou d’accidents du travail.

A côté, les prestations non contributives renverraient à un autre type de modèle canonique, une autre manière de faire de la protection sociale, celle qui renvoie aux assurances sociales du début du siècle dernier ou à la solidarité étatique. En France, ces prestations non contributives sont donc financées par la puissance publique via des recettes fiscales (impôts, CSG…) et versées à l’ensemble de la population, sans qu’il s’agisse de travailleurs. Il s’agit par exemple des remboursements de consultations de médecines, des allocations versées par les CAF ou par France Travail dans le cadre d’une privation d’emploi

Cette idéologie quant à ce que devrait être un système de protection sociale est en parfaite opposition avec les fondements même de la Sécurité sociale.

Les points importants à retenir

  • La contributivité renverrait aux prestations financées par la cotisation sociale, fondée sur le principe de ressources affectée au risque couvert, et sur un niveau déterminé par la contribution individuelle
  • La non contributivité reverrait aux prestations financées par des recettes fiscales et renvoyant au principe de solidarité supporté par l’état
  • La distinction entre contributif et non contributif construit une opposition entre assurance et solidarité qui relève d’un choix purement politique
Distinguer contributivité et non contributivité...

Largement mobilisée dans le champ de la recherche en sciences sociales depuis les années 1980-1990, l’utilisation des concepts de contributivité et non contributivité se généralise aujourd’hui dans le débat public. Ces deux notions proposent de séparer les prestations de protection sociale en faisant la distinction entre celles dont les montants versés dépendent des contributions individuelles et celles qui fonctionnent sur un principe « universel ».

Ces notions sont régulièrement utilisées pour justifier des propositions de réforme de la protection sociale et particulièrement de la Sécurité sociale et de son financement. Elles défendent une vision qui considère comme légitime de faire cette distinction pour justifier que seules les prestations contributives devraient être financées par les cotisations sociales, comme la retraite ou les indemnités journalières.

Cette distinction, héritée d’une grille d’analyse de l’économie de l’assurance, met en scène une opposition entre « l’assurance » et la « solidarité ». Dans ce cadre, l’assurance serait l’apanage de la Sécurité sociale dont le périmètre ne devrait plus recouper que les prestations dites contributives et l’état serait là pour garantir la solidarité et donc verser et financer l’ensemble des prestations dites non contributives.

Pour opposer solidarité et assurance sociale...

Cette distinction entre contributivité et non contributivité nie de fait les principes même de la Sécurité sociale. Celle-ci s’est construite dès 1945 comme un modèle assurantiel mais généralisé à l’ensemble de la population du fait de son extension aux ayant droits des travailleur.ses ou anciens travailleur.ses.

Historiquement financée par les cotisations sociales, la Sécurité sociale a donc longtemps été financée exclusivement par les revenus du travail. Il s’agissait ainsi à la fois de reconnaître le travail comme la seule source de la valeur produite, de construire une solidarité de classe, celle des travailleur.ses, pour permettre à toutes et tous de sortir de la peur du lendemain et pour répondre aux besoins de santé et de protection sociale de l’ensemble de la population.

Concrètement, un système bâti sur la solidarité professionnelle, ce qui fut explicitement le projet de Sécurité sociale à partir de 1945, peut tout à fait viser la généralisation au-delà des seules personnes en emploi. La Sécurité sociale actuelle opère d’ailleurs encore une telle généralisation.

Pour exemple, et comme l’indique Antoine Math, chercheur à l’IRES, il est tout à fait possible de contester ou de relativiser certains récits qui voudraient notamment que les allocations sociales versées « trouveraient leur origine à la conjonction d’un souci de justice sociale de certains employeurs privés et de préoccupations familialistes et natalistes. En vérité, le fondement du système est avant tout salarial… »

Finalement, l’opposition entre contributivité et non contributivité alignée sur la distinction entre « assurance » et « solidarité » relève davantage d’un discours politique que d’une distinction rigoureuse fondée en droit. C’est un choix des pouvoirs publics, d’acteurs politiques et d’une part des chercheurs en sciences sociales qui réfute de fait une réalité pourtant concrète, celle du fondement éminemment solidaire de la Sécurité sociale.

Et remettre en cause la Sécurité sociale...

Très récemment, le rapport piloté par Antoine Bozio et Etienne Wasmer relatif aux exonérations de cotisations sociales et à la smicardisation de l’économie, que la CGT a largement critiqué, a proposé des évolutions de l’architecture de la Sécurité sociale qui vont dans le sens de cette séparation et de cette destruction de la Sécurité sociale. Ils suggèrent de reconstruire le système de protection sociale français autour de 3 blocs pensés à partir d’une conception particulière de leur financement :

  • Des cotisations sociales finançant des droits contributifs : ces cotisations sociales ne devraient pas faire l’objet de réductions de cotisations, car elles représentent une part des salaires. Pour rendre ces droits plus lisibles pour les salariés, ces cotisations sociales devraient apparaître entièrement comme des cotisations salariales, incluses dans un « nouveau salaire brut ».
  • Un prélèvement fiscal finançant l’ensemble de la protection sociale universelle et non-contributive Ce prélèvement fiscal pourrait être affecté à la protection sociale comme la CSG actuellement. Il reprendrait la progressivité actuellement incluse dans les dispositifs de réduction de cotisation employeur. Les exonérations de cotisations sont ainsi remplacées par une autre forme d’exonération.
  • Des « contributions employeur » pour financer les coûts sociaux de l’activité économique. Cette catégorie comprend en particulier les dispositifs d’assurance contre les accidents du travail AT-MP modulés suivant la sinistralité ou le bonus-malus sur les cotisations d’assurance-chômage.

 

Cette nouvelle architecture viendrait, sous couvert d’augmenter le salaire brut artificiellement, remettre en cause les principes de la Sécurité sociale précisés ci-dessus, valider définitivement la place de l’Etat dans le modèle de protection sociale français et consolider la séparation entre cotisations salariales et patronales, ces dernières étant associées dans ce modèle à la prise en charge du financement des AT-MP et de l’assurance chômage. Dans ce modèle, l’organisation du travail et la gestion financière de la compensation de la privation d’emploi seront entièrement l’apanage du patronat.

Cette distinction entre contributivité et non contributivité est donc avant toute chose un choix politique : celui de remettre en cause la Sécurité sociale et de renforcer l’étatisation de la protection sociale, sous couvert d’une distinction entre assurance et solidarité, distinction qui n’a pas lieu d’être pour la CGT qui revendique une Sécurité sociale intégrale, fondée sur les principes de solidarité de classes, fonctionnant comme une assurance sociale, financée par les revenus du travail et défendant la réponse aux besoins des assurés sociaux.

 

 

Repère revendicatif