RSA conditionné : le « travail forcé » version Macron

Publié le 1 fév. 2023
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RSA
Par les réformes successives de l’assurance chômage (plus particulièrement celle menée en 2021 et la prochaine prévue pour 2023), le gouvernement, main dans la main avec le patronat, s’attaque aux salarié.e.s privés d’emploi en réduisant considérablement leurs droits aux allocations chômage. Il cherche également par tous les moyens à réduire les droits des allocataires du Revenu de Solidarité Active (RSA). La mise en place de « France Travail » prévue pour 2023, viendra notamment affecter la gestion et l’indemnisation du RSA. Dans ce cadre, le gouvernement lance une expérimentation visant à conditionner le versement du RSA au travail des allocataires.   18 départements ou collectivités prétendument « candidats » sont ainsi concernés pour mettre en œuvre cette expérimentation, au sein desquels des ciblages de bassins d’emploi. Il s’agit de l’Aisne, l’Aveyron, les Bouches-du-Rhône, la Côte-d’Or, la Creuse, l’Eure, l’Ille et-Vilaine, la Loire-Atlantique, le Loiret, la Mayenne, la Métropole de Lyon, le Nord, les Pyrénées-Atlantiques, la Réunion, la Somme, les Vosges, l’Yonne, les Yvelines. Le conseil départemental de Seine-St-Denis a renoncé à être candidat, officiellement par désaccord avec l’Etat sur les conditions de l’expérimentation, en réalité sous la pression des travailleur-ses sociaux en lutte depuis la recentralisation dans le giron de l’Etat, sans leur assurer d’avenir professionnel.   De même, le département de l’Ardèche ne figure pas dans la liste, alors qu’une très forte mobilisation des travailleur-ses sociaux s’y était construite en amont des annonces.
Le dispositif devrait être généralisé à l’ensemble du territoire début 2024.
Malgré les nombreuses annonces du ministre du travail et la sélection des départements tests, l’expérimentation reste floue. Le gouvernement n’en a pas dressé précisément les contours. La présentation de l’expérimentation sera vraisemblablement exposée mi-janvier 2022.

La conditionnalité du versement à une activité :

Dans une logique « d’engagement et de devoirs », l’expérimentation consiste donc à conditionner le versement du RSA à la réalisation obligatoire de 15 à 20h d’activités hebdomadaires. En cas de non-respect de cette condition d’activité, les bénéficiaires pourront voir leurs allocations diminuer voire disparaitre. 

Les activités réalisées pourront être de « tout type », il est donc à craindre qu’elles ne se fassent uniquement au sein d’entreprises et de collectivités, sans offrir de réel accès à la formation pour les allocataires.

Plutôt donc que d’embaucher des agents territoriaux, les collectivités concernées pourront donc se reposer sur le travail gratuit des allocataires du RSA, ou pire encore, des entreprises pourraient profiter du financement public (par l’impôt) du RSA pour disposer de main d’œuvre gratuite.   

Le RSA repose sur le principe de solidarité, consacré par la Constitution, or la conditionnalité de ce dispositif au travail remet en cause ce principe de solidarité. Par ailleurs, le bénéfice du RSA est déjà nettement insuffisant pour vivre décemment. Ici donc le gouvernement permet l’instauration d’une nouvelle forme de travail obligatoire et rémunéré largement en dessous du SMIC. Bien qu’il s’en défende en prétendant l’encadrer, il existe un risque de travail forcé qui n’ouvre pas de droits à la retraite. Il n’ouvre pas non plus de droits à l’assurance chômage et ne permet pas de disposer de droits syndicaux. Des questions se posent aussi en matière de sécurité sociale et plus particulièrement d’arrêt maladie et d’accident du travail puisque le RSA n’ouvre pas droit aux indemnités journalières. 

 Le suivi des allocataires : 

 L’inscription à Pôle emploi sera systématique pour les participants à l’expérimentation.  Actuellement seules 40% des personnes au RSA y sont inscrites. La part restante représentant des personnes en situation de grande précarité (handicap, personnes âgées sans retraite, etc…).  Toutes et tous devront alors signer un contrat d’engagement précisant le contenu des 15 à 20h d’activités hebdomadaires et se verront désigner un conseiller référent. Seulement, le gouvernement ne s’est pas étendu sur le suivi des allocataires. Alors que les salariés de Pôle Emploi déplorent le manque de moyens humains et financiers il semble peu probable que ce dispositif permette un meilleur suivi…

 Par ailleurs, en janvier dernier, même la Cour des Comptes a pointé une défaillance majeure du dispositif du RSA en matière d’accompagnement des allocataires[1]. En vingt ans, les dépenses d’accompagnement des allocataires ont diminué de 20 % à 7 % du budget dédié. Le gouvernement ne semble pas prendre la mesure des alertes émises par la Cour des comptes à ce sujet et confond accompagnement et contrainte. 

 « France Travail » : toujours plus de contraintes pour les inscrit-es, cadeau pour le patronat  

Malgré le manque d’informations du gouvernement quant à son contenu, la création de « France Travail » début 2024 laisse entrevoir une évolution importante du rôle de Pôle Emploi. L’établissement serait transformé en « France Travail » qui deviendrait à la fois opérateur et coordinateur : la nouvelle entité serait une plateforme de « coordination » avec les missions locales pour l’emploi des jeunes, Cap Emploi, l’APEC (Association Pour l’Emploi des Cadres), les collectivités notamment chargées du RSA et pourrait même absorber « France Compétence », voire l’Unedic. 

Lors des « concertations », le schéma s’est dessiné au fur et à mesure, en attendant le rapport final fin janvier 2023. Pour résumer, « France Travail » semble un rêve technocratique et libéral qui prétend faire des miracles avec : 

  • Un accueil d’entrée entièrement numérisé, au détriment de la proximité et des publics les plus fragiles.
  • Une réforme sans moyen, sans doute même pour générer des économies, loin de lever les freins à la reprise d’emploi, pourtant identifiés (problèmes de gardes d’enfant, de coût du transport, etc…) et loin de lever les incertitudes sur les promesses « d’accompagnement ».
  • Une centralisation à Pôle Emploi transformé en « France Travail » qui contrôlerait la diffusion des données personnelles et numériques des usagers vers d’autres opérateurs (missions locales, APEC, Agefiph, diverses entreprises privées de service, etc.) et accentuerait leur mise en concurrence avec des opérateurs privés.
  • Un gros risque sur l’utilisation et la privatisation des données les plus sensibles, notamment de publics fragiles, par exemple en situation de handicap.
  • A l’encontre des allocataires du RSA poussés vers 15 à 20h hebdomadaires d’activités, le recours à des sanctions prises envers les chômeurs (obligatoires ? rémunérées ? au profit de qui ?).
  • Au passage une mise sur strapontin des organisations syndicales dans les instances en diluant encore plus la représentation des usagers derrière celle des « décideurs », Etat et collectivités, que ce soit au niveau national, encore plus au niveau local (menaces sur les CREFOP, Comité Régional de l’Emploi, de la Formation et de l’Orientation Professionnelles).

 Sous couvert de mutualisation des missions des acteurs de l’emploi et d’une gigantesque confusion apparente, « France Travail » s’inscrit dans la mise en œuvre d’une opération de privatisation des services publics de l’emploi. Effectivement le gouvernement revient sur le droit fondamental à l’emploi inscrit dans la Constitution de 1946 et glisse de plus en plus vers une obligation de travailler

La conditionnalité d’heures de travail pour percevoir le RSA ainsi que la création de viviers d’emplois vers lesquels orienter les privés d’emploi viennent non seulement installer un flou entre minima sociaux et allocation chômage, mais installent surtout le principe selon lequel l’emploi n’aurait qu’une visée « adéquationniste » en vue de pallier les difficultés immédiates de recrutement du patronat. 

 Cette expérimentation du RSA conditionné va donc de pair avec celle de l’assurance chômage, puisqu’en plus de pousser, avec menace de radiation, les chômeurs vers des emplois dégradés et soi-disant massivement « vacants », le versement du RSA sera, luiaussi conditionné à du travail que l’on pourrait raisonnablement qualifier de forcé, ce qui peut augurer de nombreux contentieux juridiques. 

Le RSA est censé assurer aux personnes sans ressources un niveau minimum de revenu selon le principe de la solidarité lorsqu’ils sont privés d’emploi. Il est financé par l’impôt. Ce revenu minimum -qui ne permet pas de vivre décemment- est un revenu à destination des plus précaires (de plus de 25 ans, et selon les conditions de ressources du foyer), sans ressources. Il n’a pas pour but de satisfaire les besoins à court terme des entreprises.  

 Pour bénéficier du RSA, il est nécessaire :

  • D’avoir plus de 25 ans ou d’avoir exercé une activité à temps plein pendant au moins 2 ans sur les 3 dernières années. 

Il est également possible de bénéficier du RSA sans condition d’âge, en cas de grossesse ou d’enfant à charge.

  • Habiter en France de façon stable (au moins 9 mois dans l’année).
  • Être français OU citoyen de l’Espace économique européen OU Suisse OU avoir un titre de séjour en cours de validité depuis 5 ans minimum. 
  • Avoir des ressources mensuelles qui ne dépassent pas les plafonds en vigueur (pour une personne vivant seule les ressources des 3 derniers mois cumulés doivent être en dessous 1.795,62 euros)
  • Faire d’abord valoir les droits à l’ensemble des autres prestations sociales (allocation chômage, retraite…) auxquelles il est possible de prétendre.

Le taux de non-recours au RSA est estimé à 34 % en moyenne par trimestre[2] en 2021, malgré cela, 1 718 570 personnes bénéficient du RSA en France. L’Insee estime qu’en prenant en compte les conjoints éventuels, les enfants et les autres personnes faisant partie du foyer de l'allocataire, cela représente 10,3% de la population française.

 On peut s’interroger sur les objectifs de l’exécutif : le RSA est-il une aubaine pour permettre aux entreprises ou collectivités d’avoir recours à des allocataires sans même avoir à les rémunérer ?  S’agit-il de contraindre les allocataires du RSA à accepter encore plus durement les offres du patronat, peu importe les conditions de travail et de rémunération ?  

Cette expérimentation va à l’encontre du principe de solidarité. Les allocataires du RSA ne vont pas sortir de la pauvreté et au contraire, être fragilisés un peu plus. Elle risque aussi d’affaiblir les rapports de force dans l’entreprise par l’utilisation de bénéficiaires du RSA à côté de salariés employés pour une même activité, avec pour conséquence la division et la précarisation du collectif de travail.  

 

 

 

 

[1] Rapport de la Cour des comptes sur le revenu de solidarité active (RSA) ; CRC Ile-De-France ; 13 janvier 2022

[2] Mesurer régulièrement le non-recours au RSA et à la prime d’activité : méthode et résultats ; DREES ; N° 92 • février 2022 ; Cyrine Hannafi, Rémi Le Gall (ERUDITE, université Paris-Est Créteil ; DREES), Laure Omalek et Céline Marc (DREES)

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