Parmi ses nombreuses velléités de démantèlement de notre modèle de protection sociale le gouvernement tente, en parallèle de la réforme de l’assurance chômage, d’étatiser son financement. Derrière ce projet en apparence très technique se cache une opération politique qui vise à éloigner encore plus les travailleurs.euses de la gestion de l’assurance chômage, d’autre part à encore contrôler et réduire les financements de cette dernière.
Le 28 septembre dernier, le Sénat a adopté en première lecture la proposition de loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale portée par le rapporteur général du PLFSS à l’Assemblée nationale Thomas Mesnier, déjà adoptée par l’Assemblée nationale.
Le texte adopté par le Sénat va au-delà de la proposition initiale. Dans son article 1, il acte l’extension du périmètre des lois de financement de la sécurité sociale au régime d’assurance chômage. Par ailleurs, dans l’article 2 de la proposition adoptée par le Sénat, il met en place « une règle d’or » inspirée du projet de la réforme Macron sur les retraites imposant que le solde prévisionnel cumulé des régimes obligatoires de sécurité sociale soit positif ou nul.
À l’initiative de ces amendements, le rapporteur, Jean-Marie Vanlerenberghe, qui considère que la part conséquente de CSG concourant au financement de l’assurance chômage implique cette intégration afin de permettre un contrôle par le parlement. Effectivement, le sénateur estime que le financement par la CSG implique une primauté en « droit et en fait » du gouvernement dans le pilotage du régime depuis la loi Avenir professionnel de 2018 (qui a permis le remplacement des cotisations sociales salariales par la CSG). Cependant, il est probable que cette extension soit remise en cause par les députés lorsqu’elle leur sera présentée. Effectivement, les sénateurs sont allés encore plus loin que la proposition initiale du gouvernement.
Le 19 juillet dernier les députés avaient déjà adopté la proposition de loi organique portée par le député Thomas Mesnier (LREM). Le texte visait à modifier les lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS), dans un premier temps en fournissant davantage d'informations aux parlementaires sur les comptes du régime d'assurance chômage ainsi que celui des retraites. Cette proposition se caractérisait par une étatisation accrue, marginalisant encore plus le rôle de la démocratie sociale dans la construction du PLFSS.
Cette proposition de loi, dans la lignée de la suppression des cotisations salariales remplacée par la hausse de la CSG, a pour but de renforcer les contraintes financières pour les régimes de retraite et d'assurance chômage. Aussi, les projets de loi d'approbation des comptes de la Sécurité sociale seront accompagnés d'annexes présentant les dépenses, recettes et le solde de ces régimes.
Alertée par la note du Conseil d'Analyse Economique[1] (CAE) en janvier dernier, la CGT a pu mesurer les ambitions gouvernementales à l'égard du régime d'assurance chômage. Effectivement, le CAE souhaiterait voir disparaitre l’Unedic au service d’un Haut Conseil à l’assurance chômage, il plaide donc pour une gestion étatique de l’assurance chômage permettant tout simplement une modulation à la baisse des allocations.
Après le remplacement des cotisations sociales par la CSG, faire entrer le régime d’assurance chômage dans la loi de financement de la sécurité sociale est un pas de plus vers son étatisation. L’illustration même de ce passage en force n’est autre que la réforme de l’assurance chômage elle-même que le gouvernement fait passer en force malgré l’opposition unanime des organisations syndicales.
Les enjeux de ces propositions sont multiples mais nous devons nous attarder sur les plus immédiats.
- Déjà, la demande d'informations au parlement concernant les régimes paritaires: depuis la loi de 2018 sur la liberté de choisir son avenir professionnel, le gouvernement est tenu d'informer le Parlement ainsi que les gestionnaires de l'Unedic de la situation financière de l'assurance chômage, nous sommes en 2021 et nous n'avons pas eu un seul rapport entre les mains. La CGT reste donc extrêmement vigilante quant au déroulé de la procédure législative.
- Sur la non compensation des exonérations. Depuis 2017 le gouvernement exonère de cotisations sociales à tout va [2](plus de 15% des recettes annuelles de l'Unedic soit 9 milliards d'euros en 2019). Ces exonérations pourraient alors conduire à des déficits importants si le gouvernement venait à décider de ne plus les compenser intégralement comme la loi organique sur les lois de financement de la Sécurité sociale l’y autorise. Effectivement, le gouvernement est revenu sur le principe de compensation intégrale des pertes de recettes de la Sécurité sociale, institué en 1994 par ce qu’on a l’habitude de baptiser la loi Veil, à travers le PLFSS de 2019, cela lui laisse donc la possibilité de ne plus compenser systématiquement les exonérations de cotisations sociales[3]. Le principe de compensation à l’euro près est de fait remis en cause, et il est presque impossible pour les organisations de contrôler la réalité de la compensation des exonérations par des recettes fiscales.
Mathématiquement, si les exonérations sont supérieures aux compensations, le régime est alors en déficit. Une aubaine si le régime d'assurance chômage venait à intégrer le PLFSS. Et donc contribuer à rendre le régime déficitaire, non pas à cause de la gestion des organisations syndicales et patronales mais à cause de décisions émanant du gouvernement uniquement. Cela permettrait au gouvernement de revendiquer une gestion étatique du régime, en accusant les gestionnaires du déficit.
La remise en cause de la gestion paritaire est alarmante. Si la CGT ne revendique pas au départ cette gestion paritaire (elle revendique la gestion par les représentants des assurés sociaux avec une majorité de représentants des salariés comme lors de la création de la Sécurité sociale), force est de constater que cette gestion vaut tout de même mieux que d'en remettre les clefs à tous les gouvernements néo-libéraux qui se succèdent. Par ailleurs, l'Unédic est un outil précieux en matière d'études et d'analyse (le seul à avoir effectué des études d'impact concernant la réforme d'assurance chômage!). Si le financement de l'assurance chômage venait à être intégré dans les lois de financement, il y a fort à parier que l'Unédic n'aurait plus de raison d'exister mais surtout le gouvernement lui-même aurait la mainmise sur la gestion de l'assurance chômage comme il l’a sur les branches du régime général malgré le maintien des Conseils d’administration.
A terme, les différentes réformes vont dans un sens de réduction des indemnités (temps court) mais aussi d'une refonte du système lui-même avec une gestion par l'exécutif (temps long). C'est à travers un certain nombre de mesures juxtaposées par les gouvernements successifs que la brèche s'ouvre pour exclure la démocratie sociale de la gestion de l'assurance chômage.
Nous devons rester attentifs à ces enjeux, et tout faire pour obtenir le retrait des dispositions introduites par le Sénat.
[1] S. Carcillo, P. Cahuc, C. Landais; note du CAE; Repenser l’assurance-chômage : règles et gouvernance, 12 janvier 2021
[2] Comme l’a démontré la CGT, les baisses de cotisations sociales, exonérations et autres exemptions de cotisation sociales représentent 75 Mds€. Elles ont plus que doublé depuis 2017 passant d’un peu moins de 40 Mds€ à 75 Mds€ aujourd'hui (données du rapport de septembre dernier de la Commission des comptes de la Sécurité sociale.
[3] https://www.cgt.fr/actualites/france/droits-sociaux/legislation/il-faut-revoir-les-exonerations-de-cotisations