Cet article a été publié dans la Lettre éco d'octobre 2020.
Tant qu’on ne prendra pas de mesures coercitives et qu’on ne se posera pas les bonnes questions, la cause de l’égalité entre les femmes et les hommes au travail continuera de ne progresser qu’à très faible allure.
Une étude de la Confédération européenne des syndicats[1] montre que de 2010 à 2018, les écarts de salaires horaires entre femmes et hommes ont diminué de 1% au total, ce qui signifie que, au train où vont les choses, les femmes devront encore attendre au moins 84 ans pour parvenir à l’égalité des salaires. Selon cet indicateur (qui ne prend pas en compte l’effet du temps partiel), l’écart est passé en moyenne de 15,8% à 14,8%. Mais selon les pays, les délais peuvent être bien plus longs en l’absence de mesures coercitives :
- L’écart de rémunération entre les hommes et les femmes va même continuer à croître dans neuf États membres (notamment dans les pays de l’Est de l’Europe, ainsi qu’en Irlande et au Portugal) ;
- En Allemagne et en République tchèque, les femmes devront attendre jusqu’en 2121 pour l’égalité salariale tandis qu’en France l’écart se réduit tellement lentement (0,1% depuis 2010) qu’il faudra plus de 1000 ans pour y parvenir ;
- Dans neuf autres pays, les femmes devront patienter jusqu’à la seconde moitié de ce siècle ;
- L’écart de rémunération ne sera comblé au cours de cette décennie que dans trois pays : la Belgique, le Luxembourg et la Roumanie (où les salaires des femmes et des hommes sont inadmissiblement bas).
Or ,souligne la Secrétaire générale adjointe de la CES, Esther Lynch, l’annonce prévue par la Commission européenne de mettre en place des mesures contraignantes en faveur de l’égalité salariale, autour d’une directive sur la transparence salariale, a été reportée, non pas seulement pour un problème d’agenda de la Commission, mais « sous la pression de militants anti-femmes et anti-égalité ainsi que des préjugés profondément ancrés auxquels les femmes sont confrontées lorsqu’elles réclament l’égalité. » Et de conclure : « C’est maintenant qu’il faut établir la justice salariale pour toutes les femmes qui, durant la crise du Covid-19, ont œuvré en première ligne en occupant des emplois systématiquement sous-évalués, que ce soit dans le domaine des soins ou du nettoyage. »
[1] https://www.etuc.org/fr/pressrelease/lecart-salarial-hommes-femmes-en-europe-ne-disparaitra-pas-avant-2104
- En France, le nouvel index égalité loin de répondre à l’égalité salariale
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Au même moment, la ministre du travail a fait une déclaration au Parisien le 4 octobre 2020, pour rappeler que « la crise ne doit pas faire passer au second plan la lutte contre les inégalités salariales ». Elle a fait le point sur l’index égalité en soulignant que désormais 97% des entreprises de plus de 1000 salarié.e.s avaient leur index, mais seulement 52% des 50 à 250 salarié.e.s. Elle annonce ainsi que les services de l’inspection du travail vont contacter les 17 000 entreprises qui n’ont pas rempli cet engagement pour les y inciter.
Mais surtout elle est satisfaite du bilan global : il n’y a plus désormais que 4% des entreprises à avoir une note inférieure à 75/100 (au lieu de 17% un an auparavant). L’égalité est donc en marche ! Vraiment ?
Certes, quelques entreprises, qu’elle ose nommer, sont à la traîne comme De Richebourg Propreté (62 / 100), Socotec Equipements (65 / 100) ou encore Securitas France (69 / 100). C’est un bon point que l’index soit l’occasion de dénoncer ces entreprises « non vertueuses » - ou en tout cas celles qui n’ont pas obtenu une note satisfaisante. Car ne nous leurrons pas : l’index est créé par les services RH de ces entreprises et n’est pas l’objet d’une évaluation extérieure : avec tous les biais existants dans la construction même de l’index, on sait qu’il n’est pas difficile d’obtenir une bonne note, même si les inégalités salariales existent en réalité[1].
Mais tout comme pour Muriel Penicaud, la véritable lutte contre les inégalités salariales, n’intéresse pas Elisabeth Borne. Pour elles, le seul problème est de s’attaquer au « plafond de verre » qui subsiste pour les chefs d’entreprise eux-mêmes, dans les Codir et les Comex : « Je trouve choquant que 37 % d’entreprises comptent encore moins de 2 femmes parmi leurs 10 plus hautes rémunérations », indique-t-elle au Parisien. Son objectif est de proposer aux partenaires sociaux un nouvel indicateur sur les femmes dirigeantes. Cet objectif est louable, mais loin d’être suffisant
Pourquoi Élisabeth Borne n’est-elle pas choquée par des écarts salariaux toujours aussi considérables (estimés - tout confondu - à 28,7% dans une étude récente de l’Insee[2]), ni par la dévalorisation systématique des professions mobilisées face au covid, très largement féminisés ? Pourquoi n’est-elle pas choquée par la précarité et le temps partiel court que subissent de nombreuses femmes ? Peut-on réellement penser que l’égalité salariale ne concerne que les femmes dirigeantes et que le problème des inégalités salariales, pour toutes les catégories professionnelles, se soit réglé en un an depuis le lancement de cet index ?
La France veut démontrer à l’Europe qu’elle a fait un grand pas en matière de transparence salariale et d’égalité entre les femmes et les hommes grâce à son index égalité. On a fort à parier que les statistiques européennes, qui minimisent pourtant les écarts salariaux, ne verront pas une chute drastique des écarts salariaux pour la France dans les décennies à venir !