L'effondrement du système marchand des Ehpad

Publié le 14 avr. 2022
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Dans les prochaines années, la prise en charge de la perte d’autonomie des plus âgé·e·s va faire face à de nombreuses transformations. La part de la population âgées dans la population totale tend en effet à augmenter. Aussi, si leur qualité de vie augmente, les plus âgés qui arrivent en institutions souffrent de plus en plus souvent de polypathologies.

Les scandales récents autour des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) privés ne font que nous rappeler que depuis de nombreuses années la CGT alerte sur l'état très préoccupant de la prise en charge de nos âgé·e·s. Dès 2016, la Fédération CGT Santé et Action Sociale a ainsi alerté sur l’augmentation des risques psychosociaux des professionnel.le.s des Ehpad et le désir de reconversion grandissant de nombreux·ses soignant.e.s. En 2020, la CGT renouvelle cet appel en alertant sur "la situation alarmante" et "la grande détresse" des personnels soignants pendant le Covid[1]. C'est enfin l'ensemble des syndicats CGT présent dans les Ehpad qui alertent sur l'insuffisance de moyen, de personnels, sur le nombre supérieur d'accident du travail, l'augmentation de la dépendance et la banalisation d'une violence institutionnalisée. En 2018, ces problématiques avaient d’ailleurs fait l’objet d’un mouvement de grève massif.  

Il est essentiel d'agir rapidement autour de deux axes prioritaires. Il nous faut collectivement militer pour sortir les Ehpad du secteur marchand et pour un renouveau du secteur public. Seulement, celui-ci ne se fera pas grâce à de belles incantations mais bien par une politique volontariste d'embauche massive de soignant·e·s, de revalorisation salariale et surtout d'amélioration de l'attractivité du métier et des conditions de travail des soignant·e·s garantissant une prise en charge de qualité.

 

[1] Source : CGT – EHPAD en danger : https://www.cgt.fr/comm-de-presse/ehpad-en-danger

 

Sortir du secteur marchand

Des problématiques de longue date

 

Afin de mettre au jour ces problèmes décrits comme récurrents dans les structures privées mais aussi publics, une mission d'information du Sénat a été constituée le 17 février 2022 et dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête. Il s'agit bien de faire la lumière sur le fonctionnement des Ehpad et aussi sur la manière dont la puissance publique les contrôles. Ce sujet du contrôle n'est pas une nouveauté. Dès 2018, la mission d'information de l’Assemblée nationale, présidée par Mme Fiat (LFI) et Mme Iborra (LREM)[1] alertait déjà sur les prises en charges globalement insatisfaisantes ainsi que sur le manque de personnel. Elles proposaient, entre autres, de réformer le contrôle des EHPAD en développant une réelle certification et rendre opposable une norme minimale d’encadrement en personnel « au chevet ».

Plus récemment, la cour des comptes[2] a alerté sur les "faiblesses structurelles de ces établissements". Nombre d’établissements ont d’ailleurs été dépassés par la crise Covid. Globalement, celle-ci indique que les établissements manquent de ressources médicales pour faire face efficacement aux pathologies dont souffrent les résident·e·s, d'autant que celles-ci sont de plus en plus lourdes. Si le manque de personnel est mis en lumière par la cour des comptes, elle indique aussi que seul 45% des Ehpad peuvent proposer des chambres individuelles et avertit sur le caractère "vétuste et architecturalement inadapté" des locaux. La cour des comptes préconise ainsi une refonte totale des Ehpad avec l'intégration de ces structures au sein de réseaux de soins, faisant le constat d'une "faible insertion dans le réseau d'acteurs de la santé".

 

ORPEA : la goutte d'eau qui fait déborder le vase

 

Le scandale Orpea suite à la parution du livre de Victor Castanet, les révélations récentes de la Tribune sur les stratégies de Korian[1] exigent d'autant plus que nous défendions collectivement une nouvelle prise en charge de la perte d'autonomie en France face aux conséquences du marché dit de « l’or gris ».

La maltraitance, les privations de nourriture, de soins, sont une réalité organisée par les directions de ces entreprises. Comme si tout cela ne suffisait pas, le groupe Orpea n'hésiterait pas à spéculer sur l'immobilier comme l'indique un rapport commandé au Cictar (Centre for International Corporate Tax Accountability and Research - Centre pour la recherche et la responsabilité fiscale des entreprises) pour le compte de la CFDT et de la CGT. L'entreprise génèrerait ainsi des "revenus pour ses actionnaires grâce à la spéculation immobilière sur les terrains et constructions de ses propres maisons de retraites"[2]. Pour la CGT, les êtres humains ne peuvent être traités comme une marchandise.

Le secteur marchand n’est synonyme ni de coûts avantageux pour les usagers, ni de qualité du travail de soin. En effet, le tarif médian mensuel d’une place en Ehpad  est de 1893 euros pour un Ehpad  public, 2040 euros pour un Ehpad privé non lucratif et de 2803 euros pour un Ehpad privé lucratif. De même, si l’on se penche sur le taux d’encadrement[3], il est bien plus faible dans le privé lucratif que dans le public. En 2018, le taux d’encadrement médian était de 70,6% pour les Ehpad public contre 52,3% dans les Ehpad privés lucratifs. Mais il ne s'agit que de l'encadrement global par ETP. Rapporté à la catégorie du soin (infirmier·ère·s, aides-soignantes et auxiliaires médicaux·les, médecins et pharmacien·ne·s) le taux d'encadrement médian en 2018 n'est que 28,89 pour 100 quel que soit le statut juridique de la structure[4].

De plus, les logiques marchandes introduites et installées dans le secteur de la santé ont des conséquences directes sur les professionnel.le.s des Ehpad. En 2019, l’indice de fréquences des accidents du travail y était supérieur à ceux du bâtiments et travaux publics (BTP)[5]. Il s’agit donc bien de conditions de travail dégradées et dégradantes impactant directement leur santé[6].

Les ambitions du quinquennat Macron n'ont pas été à la hauteur, et la grande réforme qu'aurait pu représenter la Loi Grand-âge et Autonomie a été enterrée en septembre 2021 suite à l'annonce du Premier Ministre. Le gouvernement Macron a fait le choix d'investir dans une 5ème branche branlante et étatique plutôt que de prendre à bras le corps une réforme non seulement ambitieuse, mais surtout nécessaire.

Face au vieillissement de la population et à une augmentation prévisible des populations âgées en perte d’autonomie, il est essentiel de s'opposer à la privatisation à marche forcée du secteur des Ehpad. L'affaire Orpea ne fait que conforter une position défendue de longue date par la CGT : la santé ne peut être laissée dans les mains du secteur privé. Le modèle des Ehpad doit être revu pour remettre en cause l'opposition entre maintien à domicile et entrée en institutions.

Aujourd’hui, il n’est plus possible de faire la sourde oreille. Les faits sont là. La gestion privée des Ehpad et la prise en charge de la perte d’autonomie est une catastrophe.

La remise en cause du secteur privé des Ehpad doit donc être une priorité pour la CGT mais doit s'accompagner de profondes transformations de la prise en charge publique. La sortie du secteur marchand des Ehpad est très loin d'être suffisante. Les conditions de travail et de prise en charge du public sont loin d'être à la hauteur des enjeux actuels et à venir. Une politique volontariste en faveur des personnels soignants est une condition sine qua non pour relever les défis auxquels la prise en charge de nos ainés doit faire face.

 

[3] On définit le taux d’encadrement comme « le rapport entre les effectifs de personnels – généralement exprimés en équivalent temps plein – et le nombre de places installées dans un établissement ou bien le nombre de résidents – éventuellement pondérés selon l’ampleur de leurs besoins » - LES DOSSIERS DE LA DREES n° 68, décembre 2020

[4] Source : CNSA


Création d’emploi et attractivité

Le personnel de soin et d’accompagnement est aujourd’hui la pierre angulaire de la prise en charge de nos ainé·e·s, que ce soit pour l’autonomie ou la maladie. C’est pourtant une pierre angulaire bien peu considérée à sa juste valeur.

Ainsi, pour rétablir une vraie qualité de soins et d’accompagnement et pour une véritable reconnaissance des besoins de nos ainé·e·s, la CGT revendique la création d’au moins 200000 emplois dans les Ehpad permettant d’atteindre le niveau d’un soignant pour un résident.

Un tel plan d’embauches et de recrutements permettrait donc un suivi et un accompagnement au chevet du ou de la résident·e 24 heures sur 24, de prévenir la maltraitance institutionnelle par manque d’effectifs et de répondre aux besoins et à la qualité de vie nécessaire à la décence de nos ainé·e·s. Il n’est pas acceptable qu’aujourd’hui 63 % des établissements soient confrontés à des difficultés de recrutement et fonctionnent avec au moins un poste non pourvu depuis six mois ou plus, que 10 % des Ehpad disposent d’un poste de médecin coordonnateur·rice non pourvu depuis au moins six mois et que 9 % des Ehpad disposent d’un poste d’aide-soignant·e non pourvu depuis au moins 6 mois[1].

De plus, pour respecter la logique de la prévention de la perte d’autonomie et pour soulager la charge qu’elle peut représenter pour les proches aidant·e·s et la famille, la CGT revendique la création d’au moins 100000 emplois dans le secteur de l’aide à l’autonomie.

Celle-ci permettra un volume d’emplois cohérents au vu de l’évolution du nombre et des problématiques de santé de la population âgée. En effet, la Drees prévoit 108000 résident·e·s supplémentaires en Ehpad d’ici 2030, puis 211000 de plus entre 2030 t 2050. De même, le nombre de personnes en résidence autonomie sera multiplié d’un facteur 1,5 à 2,5 en 2030 (selon les prévisions)[1]. Autant de futur·e·s résident·e·s et personnes accompagnées qui doivent pouvoir être accueilli·e·s dans les structures adaptées à la pluralité du grand âge: USLD, Alzheimer, SSIAD, accueil de jour, accueils temporaires…

Une offre de soins et d’accompagnement doit être garantie grâce à des professionnel·le·s plus nombreux·ses, mieux formé·e·s et mieux considéré·e·s. Une souplesse soutenue par une offre plurielle serait permise par la mise en commun des structures existantes dans un véritable service public de l’autonomie. Ce service permettrait des passerelles entre secteurs et favoriserait donc les possibilités d’évolutions de carrières des professionnel·le·s du sanitaire et sociale. Leurs pratiques et leurs connaissances seraient, de fait, mieux reconnues et valorisées à leur juste valeur. Cette avancée pourrait passer, en premier lieu, par le rattachement des Ehpad aux établissements publics de santé.

Mais recruter n’est qu’une partie du problème : le secteur sanitaire et social connaît une crise profonde d’attractivité liée à une rémunération insuffisante pour des conditions de travail dégradées. La crise Covid a là encore été le révélateur d’un malaise profond. Dès 2020, l’Ordre national des infirmiers alertait sur le fait que 33 % des 60000 infirmières interrogées déclaraient qu’elles étaient déjà en épuisement professionnel avant la crise. Aussi, 37 % d’entre elles auraient envie de changer de métier et 43 % ne savaient pas si elles seraient encore infirmières d’ici cinq ans[1].

Parce que la CGT défend la professionnalité et le haut niveau de qualification des métiers du soin et du lien, elle revendique une revalorisation des salaires de l’ensemble des personnels.

Une mesure nécessaire autant pour l’attractivité des métiers concernés que pour remettre leur reconnaissance au cœur du débat public. Pour exemple, selon la grille indiciaire, un·e aide-soignant·e débutant·e perçoit environ 1 500 euros bruts (classe normale) et un peu plus de 1 700 euros bruts en fin de carrière. Un·e infirmier·ère touchera entre 1 818 euros bruts mensuels (début de carrière) et 2 769 euros (en fin de carrière juste avant la retraite).

De plus, les formations et les études préparant les futur·e·s professionnel·le·s du secteur doivent être elles aussi urgemment revalorisées. Bien des étudiant·e·s rencontrent de nombreuses difficultés et subissent la dégradation du secteur avant même d’y être immergé. La Fédération nationale des étudiant·e·s en soins infirmiers (Fnesi) met ainsi en évidence un mal-être et une santé dégradée chez ses étudiant·e·s : un peu plus d’un·e étudiant·e infirmier·ère sur quatre aurait déjà consommé un ou plusieurs médicaments psychotropes depuis son entrée en formation (27,3 % et 36% en troisième année)[1]L’attractivité des métiers passe nécessairement par l’attractivité des formations. Cette revalorisation doit permettre la création de 100000 emplois à l’hôpital.

La revalorisation des salaires de l’ensemble des personnels est nécessaire pour relancer l’attractivité de professions attaquées dans leurs identités et leurs éthiques. La revalorisation des moyens dont les centres de formation et écoles disposent est également nécessaire pour accueillir et former les professionnel·le·s aux besoins actuels et futurs.

 


[1] Source : Ordre des infirmiers


 

Repère revendicatif