Mémo DHD N°4 - Nouveaux projets autoroutiers : entre non-sens économique et aberration environnementale

Publié le 9 juin. 2023
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Image Javier-miranda via UNsplash

En parallèle du front social sur les retraites, le gouvernement fait face à un front environnemental, d’opposition massive aux méga-bassines mais également à divers projets autoroutiers (dont celui très médiatique de l’A69), forçant même le Ministre des transports à annoncer le passage en revue de 7 projets prioritaires en cours.

Si ces projets ne sont pas sans lien avec l’engorgement effectif de certains axes routiers[1], ils concentrent les enjeux économiques et écologiques. En effet, schématiquement, deux options se font face : augmenter régulièrement le nombre de voies pour contrer temporairement l’effet « aspirateur à voiture »[2], ou bien investir pour mettre en place des alternatives efficaces, accessibles et écologiques, afin de diminuer le nombre de véhicules. C’est malheureusement souvent la 1ère solution qui est retenue : « pour la route on élargit, pour le rail on réfléchit ! »

Cette problématique illustre une fois de plus pourquoi le capitalisme et l’environnement s’opposent : les profits colossaux des sociétés d’autoroute se font sur le dos du plus grand nombre et contre l’environnement, avec l’aval des pouvoirs publics.


[1] Les bouchons sont même généralement la 1ère raison évoquée pour justifier de nouvelles routes.

[2] Une nouvelle infrastructure n’est pas de nature à réduire le nombre de voitures circulant sur l’axe, mais au contraire à attirer de nouveaux utilisateurs, conduisant in fine à l’engorgement de l’infrastructure agrandie.

 

 

Construire de nouvelles autoroutes : une logique dépassée

Les nouvelles infrastructures s’appuient soit sur une construction ex nihilo, en parallèle de l’existant, soit sur un élargissement des voies qui existent déjà. Dans les deux cas, le grand perdant reste l’environnement.

 

Construire en parallèle de l’existant : l’exemple de l’A69

 

Ce projet est une arlésienne qui date du début des années 1990. Une des principales motivations est que Castres est la seule préfecture de France qui n’est pas reliée à une autoroute. Si l’argument pouvait éventuellement avoir du sens il y a 30 ans, il semble dorénavant parfaitement obsolète.  L’UD CGT du Tarn y est d’ailleurs opposée et a signé les appels à manifester.

 

Ce projet créera 44 km de nouvelles routes, soit 366 hectares parfaitement bétonnés, auxquels s’ajoutent 185 hectares nécessaires aux travaux. D’après Médiapart, ce sont une zone Natura 2000, trois ZNIEFF[1], des zones humides et forestières, de quoi fragiliser encore plus le rechargement des nappes phréatiques ainsi que la biodiversité locale, alors que la préservation de nos écosystèmes n’est plus négociable.

 

Actuellement, Castres est relié à Toulouse par la RN 126 ainsi qu’une ligne de train, qui est déjà plus rapide pour faire le trajet. Son problème actuel serait peut-être l’inconsistance de l’offre, avec 11 A/R par jour (6 le week-end). Mais un cadencement à l’heure, voir à la demi-heure en heure de pointes, pourrait s’avérer être une alternative crédible.

 

Concernant la logistique, le recours au fret ferroviaire, dans la cadre d’un développement national fort comme le porte la CGT, aurait pour effet de baisser fortement le nombre de camions sur la route[2].

 

Agrandir l’existant : l’exemple de Dreux-Chartres

 

Le projet d’autoroute A154, déjà en court de construction, consiste quant à lui à transformer la RN 154 entre Chartres et Évreux. Dans ce cas, l’élargissement a été privilégié, avec tout de même la création de nouveaux barreaux et bretelles. Ce sont ainsi plusieurs centaines d’hectares qui seront artificialisés, sur des terres agricoles, mais aussi des zones humides ou naturelles.

 

La route nationale disparaitra au profil de l’autoroute, là aussi privée. Il n’y aura donc plus d’alternatives gratuites en dehors de quelques chemins communaux.

 

Du côté des transports en commun, un service de bus existe bien entre les deux villes, mais la desserte n’est pas à la hauteur de la demande. Pour le ferré, deux lignes deux trains existaient, la dernière a fermé en 1971, mais la plateforme est toujours disponible.

 

Tout comme Castres-Toulouse, ce projet, imaginé en 1994, semble aujourd’hui complétement déconnecté face à l’urgence climatique et environnementale.

 

Dans les deux cas, la prise en compte de l’urgence environnementale est absente

 

Ces deux projets (nous aurions aussi pu parler de la RN88) sont finalement symptomatiques d’une logique dépassée.

 

D’abord, le secteur routier (voitures, poids lourds et utilitaires) représente près de 30% des émission de gaz à effet de serre territoriales en France. Il est donc nécessaire de se diriger vers d’autres façons de faire. Cela ne passera pas seulement par un remplacement total du parc automobile existant par un parc électrique[3] mais également par une réflexion plus globale sur nos déplacements et une augmentation des alternatives à la voiture et aux camions, notamment les transports en commun et le fret ferroviaire.

 

Ensuite, à l’heure de la sécheresse et des feux de forêts, la construction de nouvelles infrastructures routières est symptomatique d’un monde révolu, car en plus d’encourager à l’utilisation de la voiture individuelle, ces nouvelles infrastructures artificialisent massivement les sols.

 

Rien qu’entre 1982 et 2018, ce sont 21 000 km² qui ont été artificialisés en France, soir l’équivalent de 3 millions de terrains de football ! Or, l’artificialisation rend le rechargement des nappes phréatiques, déjà sérieusement mis à mal par les sécheresses à répétitions (y compris en hiver), encore plus compliqué. En parallèle, cela accroit fortement le risque d’inondations en cas de fortes précipitations (épisode cévenole). Il faut donc rompre avec l’artificialisation à tout va.

 

Face au problème réel qu’est l’encombrement de certains axes routiers, notamment parce qu’une grande majorité de français est dépendante de sa voiture pour aller travailler, c’est une réflexion globale qui doit s’engager selon trois dimensions :

 

  • Disposer d’une alternative accessible, fiable et performante en transport en commun (ce qui implique de réorienter les investissements destinés à la route vers le ferroviaire et d’autres moyens de transports) ;
  • Rapprocher les zones de travail et de domicile (et donc agir sur les loyers et la politique d'accessibilité aux logements en générale) ;
  • Développer le fret fluvial et ferroviaire, notamment via la préservation et le développement de Fret SNCF.

 

La réduction du transport routier doit être une priorité absolue pour limiter le réchauffement climatique, tout en permettant à la population de se déplacer facilement et à moindre coût. Assurément, la construction de nouvelles d’autoroutes ne va pas dans le bon sens.


[1] Zones Naturelles d'Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique

[3] Pour des questions de coûts mais également de disponibilité des ressources.

Privatisation des autoroutes, privatisation des profits !

Du point de vue économique, les cas de l’A69 et de l’A154 ne sont pas équivalents. Dans le premier, une alternative non payante demeure. En revanche, dans le second, puisqu’il ne restera que l’autoroute, les automobilistes n’auront d’autres choix que de s’acquitter de la somme…loin d’être anecdotique ! À titre d’exemple, la liaison entre Castres et Toulouse coûtera quelques 17 euros aller-retour pour les usagers occasionnels, et plus de 100 euros par mois pour les usagers réguliers.

 

De surcroit, du fait de la privatisation des autoroutes en France depuis 2006, là où ces sommes auraient pu constituer une manne à réinvestir dans des infrastructures vertueuses du point de vue environnemental, ces nouveaux péages viendront s’ajouter aux profits colossaux réalisés par les concessionnaires autoroutiers. Comme toujours, les investissements sont publics, mais les profits, eux, sont privatisés !

 

Cette aberration est d’autant plus énorme qu’un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) préconisait début 2021 tout un ensemble de mesures visant à limiter les profits démesurés des sociétés d’autoroute. Baisse des tarifs de 60%, fin anticipée des concessions, taxes sur les superprofits ; même l’IGF n’a pas lésiné sur les options.

 

Ce rapport a cependant été remisé sous le tapis par le Ministre de l’Économie Bruno Le Maire, et début 2023, les tarifs des péages ont même été augmenté de 4,5% pour suivre l’inflation !

 

Compte-tenu des conclusions du rapport, non seulement cette augmentation n’était pas nécessaire, mais elle vient directement ponctionner aux usager·es une partie du pouvoir d’achat qui leur reste, déjà bien entamé par l’ensemble des hausses de prix, de l’alimentaire à l’électricité en passant par le tabac.

 

À retenir :

  • Les nouveaux projets autoroutiers font grossir les profits des concessionnaires privés, sur le dos de tous les Français, tout en contribuant à nuire à l’environnement
  • Il y a urgence à penser une alternative fiable, accessible et performante en termes de transports en commun, mais aussi de logistique.
  • Il y a urgence à repenser les politiques publiques de transport globales qui intègreraient les enjeux environnementaux et sociaux, et ce, pour une véritable équité sur l'ensemble du territoire.
  • A l’heure de l’urgence climatique, les services publiques de transports, et en particulier dans le fret ferroviaire, doivent être sanctuarisés et développés, et non abandonné au profit du secteur privé. En conséquence, le plan de démantèlement de Fret SNCF par l’Etat doit être abandonné sans délais.
  • Il est par conséquent indispensable d’avoir des services publics à la hauteur des enjeux.
  • L’augmentation continue des coûts des trajets domicile-travail est un des facteurs principales de la perte de pouvoir d’achat des travailleuses et travailleurs. A ce titre, la CGT rappelle qu’elle revendique la prise en charge à 100% de ces frais par l’employeur.

 

 

Repère revendicatif