Le cœur de l’été coïncide avec la publication des résultats du premier semestre des sociétés du CAC 40. Ces résultats étaient particulièrement attendus après une année 2020 faussée par l’épidémie du coronavirus. Pour les actionnaires du CAC 40, ces résultats marquent une éclaircie sans précédent au cœur de cet été maussade.
- Des bénéfices record au premier semestre 2021
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37 des sociétés du CAC 40 (hors Alstom, Bouygues et Pernod-Ricard) ont publié leurs résultats du premier semestre 2021. Le total de leurs bénéfices nets s’approche des 57 milliards d’euros. Ce n’est ni plus ni moins qu’un record.
C’est 33% de plus qu’au premier semestre 2019. 2019 constitue la période de référence puisque rien ne sert de comparer à 2020 qui était une année trop particulière. Il faut simplement noter que les petites pertes du premier semestre 2020 n’étaient qu’une parenthèse. Sur l’année 2020, les profits du CAC 40 s’étaient d’ailleurs élevés à 37 milliards d’euros
Il convient de signaler que PSA a fusionné avec Fiat-Chrysler au début de l’année 2021 pour former le groupe Stellantis qui affiche près de 6 milliards de bénéfices. Sans compter cet élément particulier, le résultat du CAC 40 augmente tout de même de 25%.
3 entreprises, Stellantis, LVMH et ArcellorMittal, s’offrent le luxe d’afficher un résultat semestriel de plus de 5 milliards d’euros.
2/3 des entreprises affichent des résultats en augmentation massive par rapport à 2019 et 26 en ont ainsi profité pour revoir à la hausse leurs prévisions pour leurs performances à venir, preuve en est que ces résultats « exceptionnels » ne le sont finalement pas tant que ça. À l’inverse, seules 3 entreprises doivent essuyer des pertes, Atos, Orange et Unibail-Rodamco.
- Une rentabilité en forte hausse
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Ces résultats sont d’autant plus impressionnants, mais également à relativiser, que le chiffre d’affaires global de ce premier semestre 2021 est encore inférieur à celui du premier semestre 2019. Obtenir un résultat bien supérieur avec un chiffre d’affaires inférieur signifie donc que les entreprises ont fortement augmenté leurs marges et leur rentabilité.
Parmi les facteurs explicatifs de cette plus forte rentabilité, on peut penser à la baisse des impôts de production et la baisse des taux d’intérêts. La hausse de la rentabilité, pour ce semestre, s’explique aussi par une réduction des plan d’investissements prévus. Enfin, un facteur qui doit être bien plus marquant est la « réorganisation » des entreprises.
Derrière ce terme, il faut généralement entendre « suppressions d’emplois » comme nous allons le voir en s’intéressant à quelques cas emblématiques.
- Le cas Airbus
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À l’été 2020, Airbus faisait la Une en annonçant un plan social prévoyant 5 000 suppressions d’emplois en France. Face à cette catastrophe sociale, l’État avait notamment accepté de soutenir davantage l’entreprise.
Au final, ce plan de licenciements s’est soldé par près de 4 250 suppressions d’emplois[1].
Pourtant, Airbus affiche un bénéfice net de 2,3 milliards d’euros au premier semestre 2021 et relève ses prévisions pour l’avenir[2].
Cela signifie qu’Airbus aurait pu payer 90 000€ par mois (en « super brut », c’est-à-dire cotisations patronales incluses) chaque salarié dont l’emploi a été supprimé. Même si Airbus a un salaire moyen assez élevé, il est certainement en dessous de ce chiffre…
Un tel calcul est très simpliste et n’a aucune prétention scientifique mais il permet simplement de se faire une image de la dureté du plan « social » par rapport aux ressources du groupe.
- Le cas Renault
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Renault est également assez emblématique puisque le groupe a fortement profité de l’argent public avec notamment le plan de relance dédié à l’automobile et l’État est son premier actionnaire.
Cela permet notamment au groupe d’afficher un résultat net de 368 millions d’euros au premier semestre 2021 ce qui fait dire à son directeur général Luca De Meo que « le pire est derrière (eux) ».
Par « le pire », il pense certainement aux plans de licenciements successifs chez Renault (15.000 suppressions de postes dans le monde sur 3 ans, dont 4600 en France pour le plan d’économies de 2 milliards d’euros en cours d’exécution) mais également la vente de filiales comme la Fonderie de Bretagne ou encore la fermeture de fournisseurs exclusifs comme la Fonderie de Poitou.
- Le cas LVMH
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Pour LVMH, comme pour beaucoup d’entreprises du CAC 40, les performances dépendent surtout de l’économie mondiale, bien plus que de l’économie françaises. Ainsi, par exemple, les résultats de LVMH sont essentiellement portés par le rebond de l’activité américaine et asiatique qui résultent notamment les plans de relance massifs de ces gouvernements.
De plus, le secteur du luxe avait déjà moins souffert que le reste de l’économie. Il faut avoir à l’esprit que les inégalités sont un moteur de ce secteur reposant en grande partie sur la consommation ostentatoire.
LVMH a donc pu afficher un résultat de plus de 5 milliards d’euros, en hausse de 62% par rapport à 2019. C’est l’occasion de rappeler qu’au gré de l’évolution des cours boursiers, Bernard Arnault truste la place d’homme le plus riche du monde.
- Le cas Total
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Total est emblématique de par le caractère stratégique de son activité, notamment dans le cadre de la rupture énergétique. Il est totalement inconscient de laisser les rênes d’une telle entreprises aux mains du privé et des intérêts du capital.
Ainsi, Total affiche un bénéfice net de 5,5 milliards d’euros au premier semestre 2021. Fort de ces résultats, le PDG du groupe Patrick Pouyanné a clairement annoncé la couleur, la priorité est au soutien du dividende, aux rachats d’actions et la baisse de l’endettement. Vient ensuite l’investissement dans les énergies renouvelables.
Rappelons que l’action la plus « écolo » de Total a été de changer de nom pour devenir TotalEnergies et mettre du vert sur son logo[1]…
[1] https://totalenergies.com/system/files/documents/2021-07/2T21-Resultats.pdf Le changement de nom et « d’identité visuelle » est le premier élément mentionné par l’entreprise pour parler de sa politique RSE.
- Conclusion
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Nous n’allons pas étudier ici le cas particulier de toutes les entreprises du CAC 40 mais il y aurait sûrement à dire sur d’autres entreprises.
Ces chiffres viennent confirmer certains éléments que nous anticipions à savoir que les actionnaires se rattraperaient vite des moindres dividendes versés l’an dernier, bien que nous n’avons pas encore les éléments pour savoir quelle part de ces profits sera captée par les actionnaires mais les moindres investissements sont la preuve de cette vision court-termiste typique d’une gestion actionnariale des entreprises.
Cela confirme également que le CAC 40 ne reflète pas, malgré son influence massive, l’état de l’économie française notamment du fait de son internationalisation.
Enfin, ces résultats doivent faire prendre conscience de la puissance financière de ces entreprises. Alors que Bruno Le Maire et Emmanuel Macron discutent d’un plan d’investissements de 20 à 30 milliards d’euros sur 5 ans censé permettre la réindustrialisation de la France après des décennies d’abandon de l’industrie par l’État. À ce rythme, la fourchette haute de ce plan d’investissement correspondrait donc à 3 mois de profit du CAC 40. Autrement dit, sur la durée de ce plan, toujours au rythme du premier semestre 2021, le CAC 40 aurait accumulé plus de 550 milliards d’euros de bénéfices quand l’État en dépenserait péniblement 30 milliards pour l’industrie.
Ces chiffres mettent au jour l’affaiblissement volontaire de l’État et de sa capacité d’intervention en matière économique. Et symétriquement la capacité d’investissement massive des entreprises qui pourraient totalement transformer l’économie mais la majeure partie de ces bénéfices iront dans la poche des actionnaires.
Cela appelle notamment à la mise en place de conditionnalité des aides publiques pour « contraindre » les entreprises à investir.
Enfin, ces bénéfices records montrent une fois de plus que la crise a été pour beaucoup un prétexte pour effectuer des suppressions d’emplois et que les sociétés du CAC 40 ont une marge importante pour augmenter les salaires de leurs salarié-e-s et desserrer l’étau sur leurs sous-traitants. Les grandes entreprises et leurs riches propriétaires se portent très bien, pendant que le travail continue de servir de variable d’ajustement aux mutations du capital, avec le soutien criminel des pouvoirs publics. Il y a urgence à appliquer le plan de rupture CGT pour changer enfin de braquet.