Mémo éco - Cour des comptes : Les apprentis sorciers de l’austérité

Publié le 22 juin. 2021
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La Cour des Comptes a remis le 15 juin un rapport sur « la stratégie des finances publiques d’après crise »[1]. Pénible à la lecture tant on y retrouve tous les mots clés technocratiques (« résilience », « performance », « consolidation », « gouvernance »), le message est clair : c’est l’austérité qui est recommandée, ce qui risque de nous conduire, comme après 2008, droit dans le mur...

La Cour des Comptes a remis le 15 juin un rapport sur « la stratégie des finances publiques d’après crise »[1]. Pénible à la lecture tant on y retrouve tous les mots clés technocratiques (« résilience », « performance », « consolidation », « gouvernance »), le message est clair : c’est l’austérité qui est recommandée, ce qui risque de nous conduire, comme après 2008, droit dans le mur.


[1] https://www.ccomptes.fr/fr/publications/une-strategie-de-finances-publiques-pour-la-sortie-de-crise

Une « stratégie » effarante

Nous ne dresserons pas la liste des 27 recommandations de la Cour ; certaines sont si vagues qu’elles ressemblent à la mer. Apprécions : « renforcer les capacités de résilience en recensant mieux les risques de toute nature […] ». Tout un programme.

Ressort tout de même une logique générale qui tient lieu de stratégie, et qu’on pourrait résumer de la façon suivante :

- Continuer les coûteuses aides publiques aux entreprises et « incitations fiscales ». Voilà l’essentiel des recommandations pour la « croissance potentielle ». Qu’un rapport récent ait montré méthodiquement l’inefficacité du CIR ne changera rien aux préconisations de la cour ; c’est le problème avec les dogmes[1].

- Diminuer dès 2022 les dépenses publiques, soit la définition stricte de l’austérité en espérant « diminuer le poids de la dette ».

- Mettre la politique budgétaire tout comme la Sécurité Sociale sous l’autorité d’instances non élues comme le Haut Conseil des Finances Publiques qui décideraient si oui ou non le budget est « réaliste ». Il suffit de lire ce rapport de la Cour des Comptes pour se rendre compte du danger d’une telle proposition qui conduira à toujours plus de coupes claires. On retrouve le vieil objectif (à l’instar la politique monétaire, la Banque Centrale Européenne étant «  indépendante » et ne répondant de son action devant personne) de retirer le budget du champ de la démocratie

- Continuer la destruction (« rationalisation ») des services publics.

Une thérapie de choc, typique de la prose que l’on retrouve aussi bien à la Cour des Comptes qu’à Bercy et traduisant une vision comptable à mille lieues des enjeux économiques auxquels nous faisons face.


[1] https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/06/01/l-efficacite-du-credit-d-impot-recherche-une-nouvelle-foistres-contestee_6082338_823448.html

Des hypothèses sans fondement

Evidemment, pour faire des recommandations de ce type, il faut faire des hypothèses. Sans rentrer dans le détail, on retrouve pêle-mêle :

- Première hypothèse : la croissance potentielle (un maximum théorique de croissance qui dépend de plusieurs facteurs). Avant même de la définir plus précisément, la Cour jette un pavé (sans doute inconsciemment) dans la mare des politiques libérales, puisqu’elle estime que la croissance potentielle n’a cessé de baisser depuis les années 1990, soit exactement le début des politiques « de l’offre », des allègements de cotisations, de la baisse de la fiscalité et de la flexibilisation du marché du travail. Revenons à la croissance potentielle ; ce concept, très critiqué par nombre d’économistes, est à la base des recommandations de la C. Comptes. Pour François Geerolf, macroéconomiste et membre du CEPII, « le concept de croissance potentielle est problématique car il postule que seules les politiques de l’offre (réformes sur le marché du travail, politiques d’innovation) permettent d’augmenter le niveau du PIB à moyen et long terme. Pourtant, l’économétrie ne cesse de montrer que les politiques de demande ont aussi un effet sur le niveau de vie à long-terme. Par exemple, l’austérité européenne en 2010-2013 a toujours un effet sur le niveau de PIB aujourd’hui ». En somme, en suivant la cour, on reproduirait les erreurs commises après 2008.

- Deuxième hypothèse : la remontée des taux d’intérêts. C’est bien commode, car dans le cas contraire, la Cour serait bien obligée de reconnaître qu’il n’y a pas de problème de soutenabilité de la dette avec des taux d’intérêts qui devraient rester durablement faibles[1]. Disons le plus simplement encore : s’endetter coûte aujourd’hui « moins cher » qu’il y a 10 ou 20 ans[2]. Si les taux remontent, cela voudrait simplement dire que la Banque Centrale aura décidé de laisser les taux remonter, ce qui serait suicidaire économiquement. 

- Troisième hypothèse (implicite) : l’impôt reste constant. Cela veut donc dire que ni les plus aisés ni les multinationales ne sont mis à contribution. Grand classique technocratique : il suffit de dire « par définition on ne peut pas augmenter les recettes » pour pouvoir dire « il ne reste donc qu’une solution : la baisse des dépenses ! ». Vous aurez certainement remarqué des similitudes avec la réforme des retraites ; c’est la même logique. 


[2] Pour comprendre la « soutenabilité », voir notre fiche : https://analyses-propositions.cgt.fr/fiche-dette-4-la-dette-estelle-soutenable

Rien (ou presque) n’échappe aux ciseaux de la Cour

Certaines recommandations sont suffisamment explicites et décrivent le cœur même du « projet » Macron. Pérenniser et augmenter les aides pour le capital, diminuer ce qui soutient le travail. Voilà les principaux chantiers que la cour souhaite ouvrir : 

  • - Rationnaliser les minima sociaux (recommandation 21)
  • - Rationnaliser l’assurance chômage (reco 20)
  • - Rationnaliser l’aide au logement (reco 22)
  • - « Maîtriser l’évolution des dépenses de retraites » (reco 18)
  • - « Stabiliser la part des dépenses d’assurance maladie dans le PIB » (reco 19)

- Sans compter que la cour souhaite « appliquer à nouveau une norme de dépenses »[1] à l’hôpital ; les soignant-es apprécieront.

Un programme de casse sociale chimiquement pur, qui en plus d’aggraver la situation du monde du travail (et particulièrement de ses membres les plus fragiles) porterait un coup majeur à la situation économique du pays s’il était appliqué. On a sans doute avec ce rapport un avant-goût de ce que donnerait un second quinquennat Macron. 


[1] Page 15 de la synthèse : https://www.ccomptes.fr/fr/documents/55916

Quelques recommandations CGT

Voici à quoi pourraient ressembler quelques recommandations CGT pour faire pièce à l’engrenage austéritaire défendu par la Cour.

- Rationnaliser, réorienter et conditionnaliser les aides publiques aux entreprises (emplois, salaires, temps de travail, égalité F/H)

- Impulser un véritable plan de rupture pour répondre aux besoins croissants en matière sociale et environnementale.

- Impulser une véritable politique industrielle incluant des relocalisations, un retour des services publics et un contrôle social des grands groupes.

- Créer un véritable pôle financier public pour sortir de la dépendance aux marchés financiers 

- Augmenter et étendre immédiatement les minima sociaux tout comme l’aide au logement

- Etendre l’assurance chômage et avancer vers une véritable sécurité sociale professionnelle

- Investir immédiatement pour la santé et l’hôpital public

- Taxer fortement les 5% des patrimoines les plus riches

Tout ceci serait extrêmement bénéfique pour l’activité économique, en plus de marquer une rupture sociale et environnementale dont nous avons tant besoin. Rien ne nous empêche de financer ces mesures ; ni les taux d’intérêts (proches de zéro) ni la fiscalité (que l’on peut augmenter sans crainte sur les hauts patrimoines), ni les conséquences économiques (qui seront positives en termes de rentrées fiscales et sociales).

Conclusion

A contrario, les recommandations de la Cour des Comptes s’inscrivent dans la droite ligne de ce qui détruit les structures économiques et sociales du pays. Les appliquer reviendrait à mettre un coup d’accélérateur dans la mauvaise direction, celle de l’austérité. De l’autre côté de l’Atlantique, les plans Biden, bien que critiquables et ne signant pas une rupture profonde, s’élèvent à 6 000 milliards de $ ; de quoi provoquer un malaise à la Cour des Comptes. 

L’austérité est donc la pire idée possible, socialement ET économiquement. C’est pourtant la voie qui est choisie en France et plus généralement en Europe. Sans changement de cap, le résultat sera sans appel et nous fera perdre sur tous les tableaux ; nous nous serons appauvris collectivement, et nous signerons l’accélération de notre mise au ban de l’économie internationale. Seuls les plus aisés tireront leur épingle du jeu, ce qui est une constante de notre histoire récente et rappelle l’enjeu de classe majeur qui se joue autour des questions de finances publiques.

Voilà qui plaide sans doute pour une refonte en profondeur du fonctionnement de la Cour des Comptes. A la lecture de ce rapport on se demande parfois à quoi elle sert, si ce n’est à légitimer les politiques gouvernementales et assurer un revenu confortable à d’anciens Ministres pour que ceux-ci expliquent au reste de la population qu’ils doivent se serrer la ceinture, contre toute logique économique.

Repère revendicatif