Les intentions du gouvernement sont claires : dégrader le système de retraites pour faire des économies. Pour justifier cette position, le gouvernement tente de faire croire que le système court à sa perte sans réforme. Cet argument d’autorité est appuyé par une multiplication de chiffres, plus alarmants les uns que les autres. Mais derrière le sensationnalisme se cache une présentation mensongère de la réalité.
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12, 15, 17 milliards d’euros, de quoi parle-t-on ?
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Chaque jour, un membre du gouvernement annonce un chiffre différent ; il devient alors difficile de s’y retrouver. Il y a quelques semaines Elisabeth Borne parlait essentiellement d’un déficit du système estimé à 12 milliards en 2027.
Pour 2030, on entend parler de 15 milliards d’euros de la part du Ministre du Travail Olivier Dussopt quand Bruno Le Maire parle lui de 13,5 milliards d’euros…
Enfin, le chiffre de 17 milliards d’euros (17,7 pour être précis) est également mis en avant. Il s’agit de ce que doit faire économiser la réforme au système de retraites à l’horizon 2030.
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Des chiffres discutables en soi
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Cette approche de la gouvernance par les nombres pour faire croire à une gestion rigoureuse et impérieuse se heurte à certains principes. Tout d’abord le rapport du COR est établi selon une série d’hypothèses que l’on peut fortement discuter comme le fait que la part des salaires (et donc des profits !) dans la valeur ajoutée reste constante ou encore l’hypothèse d’une baisse continue de l’emploi public (alors que c’est de l’inverse dont on a besoin). On pose donc la continuation des politiques néolibérales comme données… alors qu’il y a toujours une alternative.
Les hypothèses, fournies par le gouvernement, prévoient également une baisse du pouvoir d’achat des fonctionnaires de 11% d’ici la fin du quinquennat en 2027 alors même que des annonces de revalorisations salariales ont été annoncées à plusieurs professions. Selon le collectif Nos services publics[1], cette baisse du pouvoir d’achat des fonctionnaires et la baisse de l’emploi public ont pour effet d’aggraver le déficit projeté de 4,7 milliards d’euros en 2030. Sans cela, le déficit du système serait donc plutôt de 5,5 milliards d’euros et non 10,2 milliards[2] !
De plus, les estimations passées du COR ne se sont pas forcément réalisées. Par exemple, en 2016, le rapport du COR prévoyait que le système serait en déficit en 2021 et en 2022. En réalité il a été en excédent. Il ne s’agit pas de remettre en cause le travail du COR mais de signaler qu’il s’agit de projections faites sous certaines hypothèses discutables et que ces projections ne peuvent venir justifier une dégradation de notre système de retraites. De manière générale, il faut prendre les projections de long terme avec beaucoup de précautions.
Enfin, s’il y a des éventuels déficits à l’avenir, il est plus logique de chercher à augmenter les recettes de notre système de retraites plutôt que de réduire, de façon certaine, les droits de l’ensemble des retraité-e-s.[3]
[1] Voir la note « Projet de loi retraites : Le déficit est-il artificiellement doublé pour justifier la réforme ? »
[2] Convention EPR, scénario 1% de productivité du travail, 4,5% de chômage à long terme, en euros constants. Sources : rapport COR 2022, figure 3 du document 4 de la réunion d’avril 2022 du COR, calculs Nos services publics
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500 milliards d’euros ? Le grand n’importe quoi sensationnaliste du gouvernement
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La nouvelle lubie du gouvernement est de parler en déficits cumulés pour que cela paraisse encore plus impressionnant. Ainsi on a pu entendre Bruno Le Maire dire que les déficits s’élèveraient à « 100 milliards d’euros en … quelques années » (on salue là la précision du Ministre de l’économie) ou encore Gabriel Attal parler de « 500 milliards d’euros de dette sur les 25 ans à venir si on ne fait pas la réforme ».
Si on veut nous aussi parler en cumulé, on peut dire qu’à régime constant, les aides aux entreprises vont représenter 2 000 milliards d’euros pour les 10 prochaines années par exemple, ce qui ne semble pas inquiéter les gouvernants.[1]
Le gouvernement ne s’embarrasse pas de précautions. Ainsi, même avec une inflation limitée à 2% par an et une croissance économique annuelle de 1%, 1 milliard d’euros aujourd’hui est comparable à 2,09 milliards dans 25 ans, il est donc très simple d’afficher des montants en milliards qui apparaissent aujourd’hui exorbitants ! Le gouvernement cherche simplement à imposer sa réforme en misant sur la peur et le fatalisme.
La réflexion en cumulé sur du long terme a d’autant moins de sens que, comme on l’a dit, le COR donne différents scénarios qui divergent à mesure que l’on s’éloigner de 2023. Si on poursuit l’exercice jusque 2070 (les projections du COR vont jusqu’à cette date), selon les scénarios, le système de retraites pourrait avoir cumulé 1500 milliards d’euros de dette ou bien 600 milliards d’euros d’excédents… Bon courage pour tirer une conclusion éclairée de cette information.
Pour la dette sur les 25 ans à venir, la moyenne des scénarios s’élève à 300 milliards (ce chiffre, plus réaliste que les 500 milliards d’euros de Gabriel Attal reste à prendre avec précautions pour toutes les raisons exposées précédemment). Cela correspond donc à 12 milliards d’euros par an, ce chiffre de 300 milliards n’est donc en réalité aucunement plus alarmant que celui de 12 milliards de déficits en 2027.
Pour rappel, et pour avoir un repère simple : augmenter le taux de cotisation retraites de moins d’un point (soit moins de 10€ par mois de cotisation salariale au niveau du SMIC CGT à 2000€) rapporte 12 Mds€ par an, ou encore 300 milliards en 25 ans et 600 Milliards en 50 ans !
Peu importe que l’on parle en cumulé, en % du PIB ; les chiffres présentés par le gouvernement dramatisent la situation pour faire avaler la pilule de la réforme. Le hic pour le gouvernement, c’est que nous sommes solides sur les argumentaires sur le financement, et nous continuerons à les porter dans la lutte du moment, qui est aussi une bataille de chiffres.
[1] Ce serait même encore plus que ça si on raisonnait comme le gouvernement ; mais contrairement à lui, nous avons l’honnêteté intellectuelle de parler en euros constants (corrigés de l’inflation). Pour comprendre, voir : https://www.arte.tv/fr/videos/112262-007-A/deficit-des-retraites-multiplie-par-24/