Dans une note publiée le 26 mars dernier, l’Insee a confirmé ce qui était attendu depuis plusieurs jours : les chiffres du déficit public sont moins bons que prévus en 2023. Alors que le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire affirmait il y a quelques semaines encore que le gouvernement tiendrait son objectif d’un déficit public à 4,9% du PIB en 2023, celui-ci atteint finalement 5,5% du PIB, soit un montant de 154 milliards d’euros. Cet écart de 0,6 point de PIB par rapport à la prévision correspond à un manque de 16 milliards d’euros pour les finances publiques. De son côté, la dette publique atteint 110,6% du PIB contre les 109,7% qui avaient été prévus par le gouvernement, pour un montant de 3101,2 milliards d’euros.
- Un dérapage qui n’est pas dû à une hausse incontrôlée des dépenses publiques, mais à un ralentissement marqué des recettes fiscales
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Alors que les dépenses publiques ont augmenté de 3,7% en 2023 contre 4% en 2022, les recettes fiscales n’ont augmenté que de 2% en 2023 contre 7,4% en 2022. Cela correspond à une perte de 21 milliards d’euros de recettes fiscales par rapport à ce qui était attendu par le gouvernement !
Surtout, le PIB en valeur a augmenté de façon plus dynamique que les dépenses publiques et les prélèvements obligatoires. De ce fait, l’Insee montre que « le taux de prélèvements obligatoires diminue et s’établit à 43,5% du PIB après 45,2% du PIB en 2022, à un niveau proche de l’avant Covid (43,9% en 2019). […] En proportion du PIB, les dépenses continuent de reculer et s’établissent à 57,3% du PIB après 58,8% en 2022 et 59,6% en 2021 ».
Malgré un déficit public en hausse à 5,5% du PIB en 2023 par rapport à un déficit à 4,8% du PIB en 2022, la dette publique diminue et s’établit à 110,6% du PIB après 111,9% du PIB en 2022. Mais comment la dette publique peut-elle diminuer si le déficit continue de se creuser ? Cela s’explique par ce que les économistes appellent la « taxe inflationniste », puisque l’inflation conduit à un allégement des dettes de l’État, et donc de ses remboursements, alors qu’elle entraine une perte pour les détenteurs d’obligations publiques[1].
« Taxe inflationniste » : quel impact sur les finances publiques ?
Selon l’économiste François Geerolf, « le déficit public est surestimé car il ne prend pas en compte la « taxe inflationniste ». De sorte que la dette publique en % du PIB n’augmente pas tant que ça, voire diminue ». L’économiste Daniel Cohen écrivait quant à lui que « les calculs qui sont proposés sont fondamentalement faux, ne donnent pas la vérité de ce qui est l’augmentation de nos déficits. Tous les économistes de la planète le savent. Il n’y a que le Parlement et les autorités à Bruxelles qui l’ignorent, c’est une tragédie. Ces manières de calculer le déficit sont « fausses » parce qu’elles prennent en compte la charge des intérêts que l’on paie sans faire cette correction ».
Comme cela est écrit dans le Nouvel Obs, « pour comprendre, il faut raisonner en termes « réels[2] ». Par exemple, si une somme passe de 100 à 105, mais que l’inflation est de 5%, sa valeur « réelle » stagne. Il en est de même pour la dette publique. Si l’État vous doit 100 euros, mais que l’inflation est de 5%, la valeur « réelle » de votre créance baissera d’autant. Pour l’État, votre débiteur, l’inflation conduit symétriquement à un allégement réel de ses créances, et donc de ses remboursements. On peut donc parler d’une taxe sur les détenteurs d’obligations ».
Pour l’année 2023, François Geerolf montre que le déficit public est de 5,5% du PIB, la taxe inflationniste de l’ordre de 6% et la croissance économique de 0,8%. En tenant compte de l’effet de la taxe inflationniste et de celui de la croissance, il montre que la France est en fait en excédent budgétaire en 2023, à hauteur de 1,3% du PIB. Cela permet de comprendre la réduction de la dette publique de 111,9% du PIB en 2022 à 110,6% du PIB en 2023.
[1] Plus l’inflation est forte, plus le PIB en valeur augmente, ce qui tend à faire baisser le ratio de dette publique sur PIB.
[2] Lorsque l’on raisonne en termes réels, cela signifie que l’on retire l’effet des prix. Pour cela, on divise une variable par le niveau général des prix.
- Quelles sont les recettes fiscales qui ont manqué ?
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Sur les 21 milliards de recettes publiques qui ont manqué à la fin de l’année 2023, 4 milliards d’euros proviendraient de la TVA. Selon les services du ministère de l’Économie et des Finances, cela s’expliquerait par un ralentissement plus important que prévu de l’inflation, puisqu’une hausse des prix plus faible qu’attendue réduit mécaniquement les recettes de la TVA.
Par ailleurs, la « smicardisation » de l’économie française, à savoir la hausse du nombre de travailleuses et de travailleurs qui sont rémunérés au niveau du salaire minimum, aurait entrainé une baisse des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu. En effet, les recettes fiscales liées au travail seraient inférieures de 7,6 milliards aux prévisions du gouvernement. Sans pouvoir l’expliquer, il note également que les recettes de l’impôt sur les sociétés seraient plus faibles que prévues, avec un manque à gagner de 4,4 milliards d’euros.
Surtout, une part importante du dérapage du déficit public s’expliquerait par le fiasco de la taxe exceptionnelle sur les superprofits des énergéticiens, soit la Contribution sur les Rentes Inframarginales (CRIM). Au départ, cette taxe devait rapporter 12,3 milliards d’euros en 2023. Le gouvernement a ensuite revu plusieurs fois sa copie : il en attendait 3,7 milliards à l’automne dernier, puis 2,8 milliards en décembre. Pourtant, la taxe n’aurait finalement permis de ne lever que 300 millions d’euros !
Enfin, il faut également souligner que le dérapage des comptes publics n’induit pas que la France serait proche de la faillite ou qu’elle serait dans une situation semblable à celle de la Grèce en 2012. En effet, la France continue de (re)financer sa dette facilement et à bas coût sur les marchés financiers. Le problème n’est donc pas celui de la taille du déficit et de la dette publique, mais plutôt de ce que l’on y met derrière. Plutôt que d’investir massivement dans les services publics et dans la transition écologique et énergétique pour préparer l’avenir, le gouvernement utilise le déficit et la dette publique pour financer des cadeaux fiscaux aux entreprises et aux ménages les plus riches. Il s’appuie ensuite sur ces déficits pour justifier de nouvelles coupes dans les dépenses sociales[3] !
Pourtant, comme nous l’avons déjà montré dans un précédent mémo éco, une politique budgétaire restrictive serait dangereuse et inefficace puisqu’elle risquerait d’aggraver la situation économique et sociale. En effet, face à cette situation des finances publiques, le gouvernement continue de refuser d’augmenter les impôts des plus riches et de revenir sur les baisses d’impôts consenties aux entreprises, et ne souhaite jouer que sur le seul levier des dépenses publiques. Après l’annonce d’une première suppression de 10 milliards d’euros des dépenses publiques en 2024, le gouvernement a déjà prévu une réduction supplémentaire de 20 milliards d’euros en 2025. Mais les annonces de l’Insee risquent d’ouvrir la porte à de nouvelles baisses des dépenses publiques dès 2024. C’est ce que montre par exemple la réforme annoncée de l’Assurance chômage, dont l’objectif serait de réaliser une nouvelle fois des économies budgétaires sur les privé∙es d’emplois.
Pour la Cour des Comptes, le gouvernement devrait réaliser 50 milliards d’euros d’économies entre 2025 et 2027 afin d’atteindre un déficit public de l’ordre de 3% du PIB d’ici 2027. Selon Mathieu Plane, économiste à l’OFCE, le gouvernement devrait même réduire de 70 à 80 milliards d’euros les dépenses publiques pour passer le déficit public de 5,5% à 3% du PIB d’ici 2027 !
[3] À ce sujet, voir la présentation de la stratégie du « starve the beast » dans le Mémo éco n°135.
- À retenir
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- Contrairement aux prévisions du gouvernement, le déficit public s’établit à 5,5% du PIB en 2023, et la dette publique à 110,6% du PIB.
- Ce dérapage du déficit public s’explique par un ralentissement marqué des recettes fiscales et non par une hausse incontrôlée des dépenses publiques.
- Plutôt que d’augmenter les impôts des plus riches et de revenir sur les cadeaux fiscaux faits aux entreprises, le gouvernement s’entête à vouloir réduire les dépenses publiques, et en particulier les dépenses de protection sociale, au risque de dégrader fortement la situation économique et sociale.