Éléments d’explications.
- Il y a bien une reprise, mais la crise n’est pas « effacée »
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Il ne fait pas de doute que les chiffres de la croissance sont « bons » au troisième trimestre 2021. L’économie a quasiment retrouvé son niveau d’avant-crise, celui du dernier trimestre 2019. Mais est-ce à dire que la crise a été « effacée » ? Il n’en est rien.
D’abord parce que la situation économique de fin 2019 était relativement terne, quand la croissance actuelle est élevée ; comparer un point haut et un point bas force le trait de la reprise. Ensuite, si le niveau d’avant-crise a été retrouvé, il nous faut prendre en compte les pertes cumulées pendant la crise (la croissance que nous aurions dû avoir sans la crise sanitaire). Ce sont donc bien 2% de croissance qui manquent par rapport à 2019. Loin de nous l’idée de courir après la croissance du PIB (c’est une impasse) ; mais à régime économique constant, un manque de croissance produit des effets sur l’emploi et les revenus.La croissance du PIB est un mauvais indicateur de manière générale, il l’est encore plus en période de crise, et ne permet pas de saisir la réalité de ce que vivent des millions de français-es. Sur ce plan, non seulement la crise n’est pas effacée, mais elle est loin d’être terminée.
- Un taux de pauvreté qui stagne… mais une pauvreté plus intense
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Tout comme ceux de la croissance, les chiffres de la pauvreté sont eux aussi à analyser avec précaution. Selon les derniers chiffres de l’INSEE, le taux de pauvreté est stable en 2020, ce qui ne peut manquer d’étonner.[1]
- C’est d’abord le fait de la sécurité sociale, qui continue crise après crise de rappeler son importance et son efficacité.
- Ensuite, ce chiffre exclut notamment les étudiant-es, dont on sait qu’ils ont été massivement touchés pendant la crise.
- En fait ce n’est pas tant du côté du nombre que de l’intensité de la pauvreté qu’il faut chercher l’effet de la crise. En d’autres termes, celles et ceux qui étaient déjà en difficulté le sont encore plus aujourd’hui. Ainsi le recours à l’aide alimentaire a augmenté de 11% en 2020, et les inscriptions dans des associations d’aide aux plus démunis ont-elles connu une progression de 7% selon la DREES.[2]
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- Plusieurs millions de français-es fragilisé-es par la crise
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Selon une étude du CREDOC[1], la « vulnérabilité » des personnes a augmenté, c’est-à-dire en prenant en compte le cumul de difficultés (emploi, éducation, santé, famille etc.). Le chiffre est sans appel : 3 français sur 10 sont de « nouveaux vulnérables ». Ils ont majoritairement moins de 40 ans et occupent un emploi précaire. La fragilisation de la situation professionnelle est l’élément déterminant de cette vulnérabilité.
Parmi ces 4 millions de personnes, on retrouve une intensification des problèmes « classiques » de la pauvreté ; précarité, situation financière dégradée (+61%), impossibilité de régler certaines dépenses indispensables (loyers, internet, frais de scolarité) pour 20% d’entre eux, renonciation aux soins (46%).
La réalité de la vie de millions de français-es offre un contraste brutal à la joie gouvernementale.
La misère est toujours immense en France avec plus de 9 millions de pauvres. Pour affiner rappelons que selon l’observatoire des inégalités :
- 2 millions de personnes vivent avec moins de 700€ par mois
- Plus de 200 000 vivent dans des logements indignes ou à la rue.
[1] https://www.credoc.fr/publications/quatre-millions-de-francais-fragilises-par-la-crise-sanitaire
- Le pouvoir d’achat en berne…
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Si on élargit la focale, non pas seulement aux plus démunis mais à l’écrasante majorité de la population, les raisons du mécontentement sont là aussi nombreuses.
La question du « pouvoir d’achat » connait un sursaut dans la période, à la faveur d’une inflation plus importante que d’ordinaire (aux alentours de 2.6%) liée à un ensemble de facteurs allant de tensions géopolitiques autour des matières premières et de l’énergie jusqu’à des décisions de politique intérieure (comme la hausse des prix de l’électricité pour… favoriser la concurrence !).
10% de cette inflation correspond au prix de l’énergie, qui se répercute directement sur les ménages les plus pauvres. On pourrait citer certaines hausses notables : les fruits et légumes frais (+5%), les pommes de terre (+4%), les transports dont le train (+6.3%), le tabac (+4.8%), les services postaux (+7.3%). Là encore, plus les revenus sont faibles, plus ces dépenses pèsent lourd dans les budgets.
Qu’on ne se trompe pas d’ennemi ; le problème ce n’est pas l’inflation en tant que telle (qui réduit notamment le poids de l’endettement) ; le problème c’est la faiblesse des salaires, le fait qu’ils n’augmentent pas assez rapidement, en un mot ; la répartition des richesses en défaveur du travail. Le problème du pouvoir d’achat ne date pas de la remontée de l’inflation ; il est structurel.
- … depuis trop longtemps
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Si on regarde sur une plus longue période, on constate que les salaires nets (une fois l’inflation prise en compte) n’ont augmenté que de 05% par an en moyenne depuis 1996.
- La quasi-totalité de cette hausse s’explique par le fait qu’il y a de plus en plus de cadres qui tirent la moyenne vers le haut. En prenant en compte cette évolution, on constate en réalité que les salaires nets n’ont pas bougé depuis 1996.
- Pire, si on corrige l’indice des prix de 1 point comme nous le proposons (en prenant en compte le tabac, le logement, la hausse des divorces etc.), le pouvoir d’achat du salaire net n’a pas augmenté mais diminué de 9.1% depuis 1996 !
Le paysage économique est social n’est donc pas aussi réjouissant que voudrait le faire croire Bruno Le Maire. La légère embellie du moment (largement liée au rebond après la crise) ne doit faire oublier ni la persistance de la misère dans notre pays, ni la stagnation du pouvoir d’achat de la majorité du monde du travail. Une meilleure répartition des richesses, une baisse du temps de travail pour garantir l’emploi pour tous-tes et une hausse des salaires en commençant par le SMIC pour garantir un niveau de vie décent pour tous-tes ; voilà les urgences de la période.