Mémo Éco - Goulots d’étranglement, pénuries, difficultés d’approvisionnement : où en est-on ?

Publié le 3 aoû. 2022
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Depuis mars 2020 et le début de la pandémie de Covid, nous entendons régulièrement parler de pénuries et de difficultés d’approvisionnement, de l’alimentaire à l’automobile en passant par le textile. Les causes sont multiples et continuent encore aujourd’hui de se combiner, tirant les prix à la hausse. Si le premier coupable tout désigné est bien évidemment la pandémie, contrairement à ce que l’on pourrait penser, elle est loin d’être la seule responsable. L’organisation des chaines d’approvisionnement mondiales, courant après toujours plus de réduction des coûts (du travail principalement) est l’une des racines des difficultés que nous connaissons aujourd’hui.

Où en est-on réellement ? À qui profite la situation ?

Des chaines d’approvisionnement mondiales mises en lumière par le Covid

Devant l’ampleur de l’incertitude sanitaire, les pays ont été confinés les uns après les autres, entrainant un peu partout un arrêt quasi-total de l’activité. Si certains aménagements ont été trouvés au fil du temps pour assurer les productions dites essentielles, d’autres sont restées durablement à l’arrêt, jusqu’au desserrement des contraintes sanitaires. Toujours est-il que l’ensemble des processus de production ont été affectés, qu’il s’agisse de ralentissements ou de blocages complets.

La fermeture des frontières a quant à elle mis en évidence l’étendue et le morcèlement des chaines d’approvisionnement mondiales, pour tout un ensemble de produits qui ne sont plus fabriqués en France, les usines ayant été délocalisées toujours plus à l’est. La période de Noël 2021 a par exemple été marquée par des pénuries de jouets, massivement importés de Chine, ou de baskets et autres textiles fabriqués en Asie du Sud-Est et notamment au Vietnam.

Les choses se corsent lorsqu’il ne s’agit pas de produits de consommation, mais de produits intermédiaires entrant dans la composition et les processus de fabrication d’autres biens, pour une large partie stratégique : minerais, composants pharmaceutiques, composants électroniques (semiconducteurs). Les pénuries s’enchainent, se transmettant de secteurs en secteurs, et les questions autour de l’indépendance stratégique sont chaque jour plus criantes.

Le propre de la pandémie a aussi été de frapper les zones du globe à des moments et avec des intensités variables, au gré des nouveaux variants, entrainant une reprise en ordre dispersée. Ça va mieux ici, mais ça coince là… donc ça finit par coincer partout !

Les réponses politiques n’ont pas non plus été homogènes. La Chine a figuré en tête des pays adoptant des mesures strictes. Avec sa « stratégie zéro Covid », c’est en réalité des régions industrielles et portuaires chinoises entières qui sont restées figées plusieurs mois durant. Or, peut-être plus que n’importe quel pays du globe, la Chine est le maillon devenu incontournable dans les chaines d’approvisionnement mondiales, tant en termes de fabrications que de transports, perturbant durablement les flux mondiaux.

Une désorganisation des flux mondiaux qui persiste

Avec l’évolution de la pandémie et les campagnes de vaccination, les choses ont tant bien que mal repris leur cours. Cependant, la demande de biens a connu une reprise très forte, conséquence à la fois de l’épargne forcée de certains pendant les confinements, et de la volonté de constituer des stocks de sécurité en prévision de nouvelles difficultés.

L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) indique par exemple que la consommation de bien aux États-Unis fin 2021 était supérieure de 25% à celle enregistrée fin 2019. C’est donc cette sur-demande, et son inadéquation avec la reprise progressive de l’offre, qui a contribué à former des « goulots d’étranglement ».

L’engorgement et la désorganisation des routes maritimes et en premier lieu des ports (Los Angeles, Shanghai) ont non seulement conduit à une très forte augmentation des tarifs du fret maritime, tirés par les coûts d’expéditions entre la Chine et l’Amérique du Nord (voir graphique), mais aussi à un allongement considérable des temps de transports, compliquant d’autant l’approvisionnement en produits intermédiaire. D’après l’OFCE, en mars 2022, une marchandise sortant d’une usine chinoise mettait en moyenne 110 jours pour atteindre un entrepôt américain contre 50 en 2019.

Du côté de la grande distribution, les pénuries temporaires liées aux différents confinements (œuf, farine, papier-toilettes) ont laissé place à des difficultés plus profondes, du fait de conditions climatiques dégradées (sècheresses par-ci, inondations par-là) et de la guerre en Ukraine.  L’Ukraine et la Russie sont en effet deux très gros producteurs de céréales et d’oléagineux, dont la Russie bloque l’exportation, en représailles des sanctions internationales.

Impossible de prédire quand ces difficultés d’approvisionnement toucheront à leur fin. Certains secteurs concentrent l’attention : c’est particulièrement le cas des semi-conducteurs, indispensables dans la fabrication des véhicules, ce qui contraint fortement le secteur automobile[1].

Des entreprises qui profitent de la situation

Une chose est sûre : toutes ces tensions se retrouvent dans la vigueur de l’inflation, dont une partie non négligeable s’explique par la spéculation financière et les comportements opportunistes de certains, en première ligne desquels figurent les armateurs. Pendant que les porte-monnaie se serrent, les propriétaires des grands groupes de transport maritime engrangent des profits monstrueux. On pourrait penser que la hausse du prix des containers s’explique par l’augmentation des prix de l’énergie, mais il n’en est rien.

Rodolphe Saade, PDG du groupe français CMA-CGM, est probablement le meilleur exemple du « super profiteur ». D’après Challenges, sa fortune personnelle a été multipliée par 6 entre 2021 et 2022, passant de 6 milliards à 36 milliards d’€, le faisant bondir à la 5ème place du classement des dix plus grosses fortunes français alors même qu’il n’y figurait pas l’année dernière. Ce que le journal ne dit pas, c’est que cela représente plus d’1,8 millions … d’années de SMIC !

Après des bénéfices records réalisés par le groupe en 2021, l’année 2022 devrait être encore plus florissante, à en juger par l’évolution des prix du fret. Le comble ? CMA-CGM a bénéficié pendant la période Covid d’un prêt garanti par l’État…

A retenir :

- La crise Covid n’est qu’une partie de l’explication, mais elle a mis en lumière l’éclatement des chaines d’approvisionnement mondiales

- Après de nombreuses déclarations d’intention sur l’importance de l’indépendance stratégique, notamment en matière sanitaire, les projets de relocalisation ont largement été délaissés

- La guerre en Ukraine est certes venue mettre un coup supplémentaire aux difficultés existantes, mais les responsables sont surtout ceux qui profitent de la situation pour s’enrichir sur le dos des plus modestes

- La taxation des super profits et la planification industrielle sont deux réponses solides que nos politiques refusent envers et contre tout de considérer, bien occupés qu’ils sont à entretenir la rentabilité des plus riches.

Repère revendicatif