Mémo Éco - Les fausses promesses sociales d’Élisabeth Borne aux «salariés de la deuxième ligne"

Publié le 9 sep. 2022
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Fin octobre 2020, Elisabeth Borne, alors Ministre du travail, lançait une mission en vue de mieux reconnaitre les « salariés de la deuxième ligne », qui selon ses propres mots, « ont permis de tenir au plus fort de la crise ». La pandémie a mis en lumière ces métiers essentiels, pas seulement du secteur médical (médecins, infirmiers, etc.), mais aussi les caissiers, agriculteurs et autres agents d’entretiens ou de logistique, caractérisés par des mauvaises conditions de travail et de rémunération. L’actuelle Première Ministre promettait alors des mesures concrètes de revalorisation, censées s’appliquer dans le courant de l’année 2021.

Deux ans après cette annonce, ces promesses sont restées lettre morte.  Son gouvernement n’est au front que lorsqu’il s’agit de bloquer toutes les mesures de soutien à ces salariés, pourtant en première ligne face à la baisse du pouvoir d’achat.

Moins de 1000€ par mois pour les boulots les plus difficiles

Aussi essentiels soient-ils, les 4,6 millions de salariés de la deuxième ligne se disputent la palme des pires conditions de travail[1] : la part des contrats précaires (CDD, intérim, temps partiels subis) explose, les accidents du travail sont deux fois plus nombreux, de même que les contraintes physiques et les risques infectieux[2]. Le travail la nuit et le dimanche est plus fréquent, les journées plus morcelées, les horaires plus imprévisibles. Et comme si cela ne suffisait pas, les rémunérations sont scandaleusement faibles. En moyenne, en 2019[3], ces salariés touchaient moins de 1 000€ par mois, donc bien moins que le SMIC ! Ces rémunérations descendent même à moins de 700 euros en moyenne pour les 250 000 aides à domiciles et aides ménagères. 

Tableau 1 : Salaires mensuels moyens et effectifs des salariés de la deuxième ligne, exemples de métiers

 

Revenu salarial mensuel net moyen (€)

Effectifs au

31/12/2017

Conducteurs de véhicules

             1 222  

           738 481  

Bouchers, charcutiers, boulangers

             1 180  

           190 137  

Agriculteurs, éleveurs, sylviculteurs, bûcherons

                892 

           130 718  

Ouvriers non qualifiés des industries agro-alimentaires

                878 

             73 151  

Caissiers, employés de libre-service

                859 

           551 967  

Ouvriers non qualifiés de la manutention

                767 

           257 974  

Agents d'entretien

                764 

           648 722  

Aides à domicile et aides ménagères

                682 

           243 798  

Ensemble de la deuxième ligne

996

4 593 398

                     Source : Dares, Rapport de la mission d’accompagnement, 2021.

  Comment est-il possible que ces salaires mensuels soient inférieurs au SMIC ? Précisément parce que les mauvaises conditions de travail se combinent. On oublie trop souvent que pour avoir un SMIC à la fin du mois, encore faut-il bénéficier d’un travail à temps plein. Mais puisque ces emplois sont justement à temps partiel, ou, comme dans le cas des aides à domicile, que le temps de déplacement entre chaque patient n’est pas compté dans le temps de travail, il ne reste qu’une fraction du SMIC en fin de mois.

Comment peut-on dignement tolérer de tels salaires ? Et surtout, comment peut-on accepter qu’ils existent au moment où les versements aux actionnaires battent des records ? Voilà deux questions qui n’empêchent manifestement pas la Première Ministre de dormir, pendant que plusieurs millions de salariés peinent chaque mois à joindre les deux bouts.


[1] Voir le rapport de la mission d’accompagnement.

[2] C’est par exemple le cas des agents d’entretien, sur-mobilisés dans tous les secteurs de l’économie, mais qui se sont bien souvent trouvés à effectuer leur travail sans aucun matériel de protection adéquat, faute de mise à disposition par l’entreprise achetant les prestations de nettoyage.

[3] Dernières données disponibles au moment de la réalisation du rapport.

Le vide derrière les promesses…

La reprise « normale » de l’activité économique, au fil des baisses de contaminations, a rapidement enterré les promesses de revalorisation. Mais tout cela était prévisible depuis le début. En effet, plutôt que de prendre ses responsabilités, Elisabeth Borne a renvoyé les possibles améliorations des conditions de travail et hausses de salaires de ces salariés au bon vouloir des « partenaires sociaux »… c’est-à-dire du patronat et de quelques autres OS, qui assumeront d’être « partenaires » de cette mascarade. Comme d’habitude, une lettre de mission, un rapport, et plus rien.

Car comme on le notait il y a quelques semaines, compter sur la bonne volonté du patronat, c’est demander au renard de la bienveillance vis-à-vis des poules. Que ce soit au niveau des entreprises ou au niveau des branches, les revalorisations salariales sont très largement inférieures à l’inflation. Faisant mine de s’énerver, l’actuel Ministre du travail Olivier Dussopt a vaguement menacé les branches qui ne joueraient pas le jeu de fusion. Mais quoi de plus simple pour l’employeur que de manipuler l’argument de l’incertitude économique, pour modérer les revendications salariales ?

Comme le montrent les résultats des entreprises du CAC 40, en commençant par Carrefour, premier employeur privé de France en tête, les années 2021 et 2022 sont exceptionnelles. Elles allient hausse du chiffre d’affaires, hausse du résultat opérationnel[1], et programme de rachat d’actions en direction des actionnaires. Les salariés eux, ont difficilement réussi à obtenir 2,8% d’augmentation, quand l’inflation atteignait 6,1% début juillet, selon l’Insee. Des années exceptionnelles pour le capital donc.

Un autre argument de poids explique cette absence d’amélioration concrète des conditions de travail. C’est l’idée qu’il existe, pour nombre de ces métiers, une véritable « armée de réserve5 », ou autrement dit, tout un ensemble de salariés potentiels, toujours prêts à travailler, quelles que soient les conditions. En effet, une large partie de ces métiers sont relativement peu qualifiés, exercés majoritairement par des femmes, des étudiants, ou des immigrés. Les aides à domiciles comptent par exemple 95% de femmes, les agents d’entretien près de 68% de femmes et 42% d’immigrés. C’est aussi sans compter les salariés en fin de droits au chômage, poussés de réformes en réformes à accepter des boulots de plus en plus précaires, bien en deçà de leur véritable qualification. 


[1] Le résultat opérationnel désigne la richesse que l’activité de l’entreprise a permis de créer, c'est à dire hors éléments financiers et exceptionnels qui viennent ensuite s’y ajouter pour former le bénéfice final. 5 Comme l’expliquait déjà si bien Marx il y a près de deux siècles.

…Et l’opposition frontale à des véritables mesures de soutien  

Ces difficultés, déjà bien réelles avant la pandémie, se trouvent évidemment renforcées depuis le début de l’année 2022 par la hausse de l’inflation, qui vient chaque jour un peu plus grignoter le faible pouvoir d’achat de ces salariés modestes dont le salaire stagne. Pourtant, face à cette réalité, le gouvernement et sa Première Ministre en tête se refusent à prendre des vraies mesures de soutien, et pire encore, s’opposent à leur adoption lorsqu’elles sont proposées par d’autres. C’est ainsi que la hausse du SMIC à 1500 € (sans même parler de la revendication CGT à 2000 !), le blocage des prix, ou encore la mise en place d’une taxe sur les super-profits ont été bloqués par les députés de la majorité désormais élargie aux fascistes.

À contre-pied de ces mesures concrètes, le gouvernement se gargarise de la baisse de 30 cts sur le prix du carburant consentie par Total. Logique, quand on sait que cette mesure bénéficie à tous sans considération pour le revenu, si bien que le cadre dirigeant gagnant 10 000 € par mois fait les mêmes économies à la pompe que l’aide à domicile qui a chaque jour besoin de sa voiture pour se déplacer de patient en patient...pour un salaire de misère.

Le 29 septembre, la voix des salarié-es de la deuxième ligne doit résonner avec celle des autres. Il y a urgence à se mobiliser collectivement pour en finir avec une politique de classe mortifère.

A retenir :

  • Les métiers les plus précaires, pénibles, et physiquement risqués sont aussi les plus mal rémunérés, non seulement en dessous du SMIC, mais aussi pour beaucoup très en deçà de 1 000 € par mois
  • Ils concernent 4,6 millions de salariés, soit un salarié sur six
  • Les gouvernants de l’ancien et du nouveau quinquennat Macron ont fait mine de s’en soucier pendant la pandémie, mais les promesses ont vite été enterrées
  • Les mesures prises au nom du pouvoir d’achat bénéficient encore et toujours aux plus riches
  • Il est urgent de taxer les super-profits , puis d’assurer un autre partage des richesses en faveur des salarié-es, notamment de la « deuxième ligne », bien loin d’être rémunérés à la hauteur de leur contribution à la société

Repère revendicatif