Alors que l’Union Européenne peine à négocier et faire accepter un plan de relance de 750 milliards d’euros soit à peine 5% de son PIB, les Etats-Unis multiplient les plans de relance de grande ampleur.
- 1900 milliards de dollars pour relancer l’économie
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Alors que Donald Trump avait déjà mis en place deux plans de relance pour faire face à l’urgence économique lors de la crise sanitaire, Joe Biden a rapidement présenté deux nouveaux plans, l’un pour pallier à l’urgence économique et un second pour des investissements de plus long terme.
Le plan d’urgence de l’administration Biden, s’est élevé à 1 900 milliards de dollars soit près de 10% du PIB américain, qui s’ajoutent aux plans de Trump, on parle donc d’une relance massive.
Ce plan de relance contenait entre autres une enveloppe de 400 milliards de dollars pour assurer le versement de 1 400$ à chaque américain adulte qui gagne moins de 80 000$ par an. Cela afin de relancer la consommation et limiter les effets délétères de la crise sanitaire sur les ménages modestes.
Selon le FMI, dont les prévisions sont toutefois à prendre avec précaution, ces plans de relance successifs devraient permettre aux Etats-Unis de retrouver rapidement et même dépasser le PIB qui aurait été le leur sans la crise sanitaire alors que la France conserverait des séquelles de la crise de plus de 2 points de PIB.
- 2300 milliards pour l’investissement de long terme
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En sus de ce plan d’urgence, Joe Biden a également annoncé un plan de 2300 milliards de dollars soit près de 2 000 milliards d’euros afin d’investir dans les infrastructures publiques. Ce plan d’investissement qui s’étale sur 8 ans s’appuie notamment sur le constat d’un vieillissement et d’une forte usure des infrastructures qui font suite à des décennies de sous-investissement. Il s’agit donc d’un investissement qui apparait colossal, mais loin d’être disproportionné au vu des besoins du pays. Selon certaines études, ces 2 300 milliards de dollars couvriront à peine l’ensemble des besoins d’investissements. On retrouve pour autant :
- 213 mds pour le logement social ;
- 100 mds pour les infrastructures électriques et écoles publiques ;
- 115 mds pour les routes et les ponts ;
- 80 mds pour le chemin de fer ;
- 400 mds pour les services à la personne.
Ce plan de relance a le mérite de réhabiliter la dépense publique directe et son rôle pour faire face aux crises, alors même que la relance française repose essentiellement sur des aides aux entreprises, des incitations fiscales ou des baisses d’impôts. C’est dire si notre gouvernement est à contretemps. Les Etats-Unis renouent avec l’investissement public massif. C’est un changement majeur qu’il faut mettre au regard des atermoiements européens autour du moindre projet de dépense publique supplémentaire.
- La fin de la fuite en avant sur l’impôt des multinationales ?
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Afin de financer une partie de cet investissement, Joe Biden souhaite augmenter les impôts sur les plus riches et sur les entreprises. Cela commence notamment par le rehaussement de l’impôt sur les sociétés, passant de 21% à 28%. Il s’agit d’un fait notable puisque ce taux était passé de plus de 50% à la fin des années 60 à 35% au début des années 90.
Donald Trump l’avait de nouveau baissé de 35 à 21% au début de son mandat. Le remonter à 28% n’efface donc même pas la réforme de Trump mais cela le ramène tout de même au-dessus du taux français qui était de 33,33% en 2018 et baisse progressivement pour arriver à 25% en 2022. On attend de voir comment le MEDEF nous expliquera l’impossibilité d’augmenter l’IS en France.
De plus, cette hausse d’impôt s’accompagne d’une volonté affichée d’en finir avec le dumping fiscal et la fraude fiscale qui minent les recettes publiques. Cela passe notamment par des mesures contraignantes liées à l’exode des profits, en obligeant les entreprises à déclarer leurs revenus pays par pays et à payer un taux d’au moins 21% sur leurs profits internationaux. Si cette mesure est suivie d’effet, cela pourrait avoir un impact considérable sur les paradis fiscaux. Il est encore trop tôt pour voir où cela mènera, mais voilà qui rappelle que le manque de volonté fiscale est d’abord un manque de volonté politique (qui se conjugue dans notre cas à une incapacité politique européenne ; rappelons que l’Irlande et les Pays-Bas sont des paradis fiscaux).
- Quelle voie cela trace-t-il ?
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Il serait naïf de penser que ces différents plans de relance et mesures de l’administration Biden sont révolutionnaires. Il s’agit d’un programme social-démocrate. Il est évident que les plans comportent de multiples défauts à commencer par leur timidité sur l’aspect environnemental et la croyance aveugle en la capacité de dégager des « gains de productivité verts ». Ce plan ne rompt pas radicalement avec la logique du capitalisme états-unien. Il est même probable qu’il ne soit pas d’ampleur suffisante pour transformer en profondeur l’économie du pays (c’est dire ce qu’on est en droit d’attendre du « plan de relance » hexagonal…) Pour autant, on peut retenir trois éléments de ce plan :
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L’Europe est la grande absente de la reconfiguration de l’économie internationale. Alors que l’UE peine à mettre sur pied un plan de relance déjà peu ambitieux, ces plans Biden ont de quoi faire rougir. Les deux puissances se contestant l’hégémonie sont bien les Etats-Unis et la Chine. L’Union Européenne, prisonnière d’idées surannées (le déficit est mauvais, il n’y a pas d’alternative, etc.) et de son incapacité à décider collectivement, risque comme après 2008 d’être la variable d’ajustement de l’économie mondiale.
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La voie social-démocrate ouverte par Biden ne pourrait bien être qu’un mouvement de balancier nous ramenant vers le capitalisme d’après-guerre, avec une intervention étatique plus marquée. Mais est-ce compatible avec le capitalisme financiarisé ? Le capital tolèrera-t-il ces contraintes sans broncher ? L’effet sur l’emploi sera-t-il suffisant ? Il est trop tôt pour le dire, mais c’est sans doute ce qu’espère l’administration Biden. Du point de vue économique, il s’agirait d’une lecture « basique » de Keynes, pour corriger les errements du capitalisme.
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Une autre analyse pourrait être la suivante : les contradictions du capitalisme états-unien sont trop importantes et ce plan n’y changera rien. Il est possible que le plan initié soit insuffisant et surtout ne contraigne pas suffisamment le capital, ce qui laisserait l’économie américaine aux prises avec les deux problèmes majeurs de notre temps : la crise sociale et la crise climatique /environnementale. Si l’objectif est effectivement d’apporter des réponses à ces deux crises, alors la conséquence politique qu’il faudrait en tirer serait la nécessité d’aller plus loin et d’engager la transformation radicale du mode de production. Ici, la lecture de Keynes rejoint celle de Marx ; plus « corriger », mais dépasser.
Les années à venir seront à suivre de près en la matière. Pour l’heure, au-delà de leur issue, ces « plans Biden » nous rappellent à quel point l’Union Européenne est empêtrée dans une incapacité à agir. Plus près de nous, on voit à quel point Bruno Le Maire tout comme Emmanuel Macron vivent dans le passé ; ils tentent de reproduire en France ce qui a échoué ailleurs, avec trente ans de retard (baisses d’impôts, limitation de la dépense publique). Faire autrement est d’abord affaire de choix politique.
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