
- Une charge de la dette qui augmenterait de façon incontrôlée …
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Un article publié récemment dans le journal Les échos défend l’idée que la charge de la dette, c’est-à-dire les intérêts qui sont payés par les administrations publiques sur la dette publique française, serait amenée à exploser dans les prochaines années. Celui-ci s’appuie sur une étude réalisée par l’économiste libéral à l’IESEG School of Management Éric Dor. En utilisant les données publiées dernièrement par la Commission européenne, il montre que la charge de la dette devrait atteindre 5,6% des recettes fiscales en France en 2025 et 6,6% en 2026. C’est ce que montre le graphique ci-dessous.
Le montant des intérêts payés sur la dette publique française doublerait donc en près de cinq ans, étant donné qu’il était de 3,3% des recettes fiscales en 2019[1]. Avec la remontée des taux d’intérêt sur la dette publique française depuis 2021, la charge de la dette augmente en effet de nouveau. D’abord, l’État émet de la nouvelle dette à des taux d’intérêt plus élevés qu’auparavant. De plus, lorsque l’État réemprunte pour rembourser ses emprunts arrivés à échéance, il le fait encore une fois à des taux d’intérêt plus importants qu’avant. Enfin, la hausse du déficit et de la dette publique depuis 2020 tend aussi à accroître le montant des intérêts à payer sur la dette. D’après cette étude, tout cela accroit au fur et à mesure la charge de la dette, qui serait amenée à augmenter fortement dans les années qui viennent et deviendrait donc hors de contrôle.
De ce fait, une part de plus en plus importante des recettes fiscales serait utilisée pour rembourser les intérêts sur la dette publique, ce qui se ferait au détriment d’autres postes de dépenses comme la santé, l’éducation ou la transition écologique. Cependant, il y a plusieurs limites au calcul effectué par l’auteur dans son étude, et qui nous permettent alors de remettre en question les résultats qui sont obtenus.
[1] Selon les chiffres publiés par la Commission européenne, les intérêts sur la dette publique s’élèveraient à 73,8 milliards d’euros en 2025 et à 89,6 milliards en 2026 pour l’ensemble des administrations publiques, contre 39,9 milliards en 2019.
- Mais qui s’avère en fait maitrisée lorsque l’on tient compte de la « taxe inflationniste »
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Dans son raisonnement, l’économiste ne prend en considération que les recettes fiscales qui sont perçues par les administrations publiques, c’est-à-dire les ressources qui sont collectées à partir des impôts et des cotisations sociales payés par les différents agents économiques (entreprises, banques, ménages etc.). Or celles-ci perçoivent d’autres formes de revenus que les seules recettes fiscales. C’est le cas par exemple des revenus qui sont issus de la production des entreprises publiques ou encore des intérêts ou des dividendes qui sont perçus sur les actifs financiers que détiennent les administrations publiques. Tout comme les recettes fiscales, ces ressources permettent de financer en partie les dépenses publiques[2]. Rapporter les intérêts payés sur la dette publique française aux seules recettes fiscales est alors réducteur. C’est d’ailleurs l’ensemble des ressources des administrations publiques, et non les seules recettes fiscales, qui est utilisé par la Commission européenne pour calculer le montant de leur déficit.
Par ailleurs, l’économiste ne tient pas compte de ce que l’on appelle la « taxe inflationniste » qui réduit le coût de l’endettement pour les administrations publiques[3]. En effet, l’inflation est définie par l’Insee comme « la hausse générale et durable du niveau des prix qui entraîne une perte de pouvoir d’achat de la monnaie ». Autrement dit, avec l’inflation, un euro vaut moins demain qu’aujourd’hui. Par conséquent, la perte de valeur de la monnaie du fait de l’inflation bénéficie à l’État qui doit désormais verser moins d’argent pour rembourser sa dette publique. Or cette « taxe inflationniste » n’est pas prise en compte par les comptables nationaux. Cela entraîne entre autres une surestimation importante du montant de la charge d’intérêts de la dette publique.
Si l’on tient compte de ces deux éléments, à savoir que l’on doit rapporter la charge de la dette à toutes les ressources des administrations publiques et qu’il faut retirer l’effet de la « taxe inflationniste », on observe que les chiffres sur la charge de la dette sont bien moins alarmants que ne le prétend l’article des Échos. C’est ce que montre le graphique ci-dessus.
La charge de la dette est maintenant bien moins importante puisqu’elle atteindrait 1% des ressources des administrations publiques françaises en 2025 (15,2 milliards d’euros) et 2,2% en 2026 (35,5 milliards d’euros). Au bout du compte, la charge de la dette ne « consomme » qu’une très faible part des ressources des administrations publiques françaises. Avec la période récente de forte inflation, elle était même négative sur les dernières années, c’est-à-dire qu’elle a fait « gagner » de l’argent aux administrations publiques. La charge réelle de la dette publique était en effet de -45,5 milliards d’euros en 2022, -110 milliards en 2023 et -17,8 milliards en 2024. Même si la charge réelle de la dette augmente depuis 2023, les montants en jeu ne sont pas à la dérive par rapport à ce que l’on a connu historiquement. En effet, elle est en moyenne de 2,3% des ressources des administrations publiques entre 1995 et 2026.
Enfin, il faut également rappeler que la hausse de la dette publique, qui explique en partie la montée de la charge de la dette, est la conséquence de la politique économique de l’offre menée depuis 2017 par Emmanuel Macron qui consiste à multiplier les cadeaux fiscaux et les aides publiques aux entreprises et aux ménages les plus aisés[4]. Selon un rapport d’Attac, de l’Observatoire de la justice fiscale et du Comité pour l’Annulation des Dettes Illégitimes, les baisses de prélèvements obligatoires sur la période 2018 à 2023 expliquent 35% de la hausse de la dette publique, sachant que les deux tiers de ces baisses d’impôts ont été accordées aux entreprises et aux ménages aisés.
Par ailleurs, la hausse prévue par la Commission européenne de la charge de la dette en 2025 et en 2026 repose sur son hypothèse que le déficit public resterait important en France en 2025 et en 2026, respectivement à 5,6 et 5,7% du PIB. La hausse de la charge de la dette n’est donc qu’hypothétique : il serait tout à fait possible de réduire le déficit en revenant sur les cadeaux fiscaux accordés aux ménages les plus riches et aux entreprises. Par exemple, le rapport cité plus haut précise que si la législation fiscale était restée la même depuis 2017, la dette publique serait de 2795,04 milliards d’euros en 2023, soit 99% du PIB au lieu de 109,9% du PIB.
[2] La part des dépenses publiques qui n’est pas financée par les ressources des administrations publiques l’est par l’endettement.
[3] Pour approfondir le sujet, il est possible de relire la note éco n°165 intitulé « La charge de la dette devient-elle vraiment le premier poste de dépenses de l’État ? ».
[4] Sur ce point, il est possible de relire le mémo éco n°145 intitulé « Aides publiques aux entreprises : le capitalisme français toujours autant sous perfusion » et le mémo éco n°147 intitulé « Dégradation des finances publiques : les conséquences de la politique de l’offre ».
- Ce qu’il faut retenir
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- Une étude récente affirme que la charge de la dette française serait désormais hors de contrôle. Celle-ci serait en effet amenée à doubler en près de cinq ans, passant de 3,3% des recettes fiscales en 2019 à 5,6% en 2025 et 6,6% en 2026.
- Ces dépenses pour les intérêts de la dette se feraient au détriment d’autres postes de dépenses comme l’éducation, la santé ou la transition écologique.
- Cependant, ce calcul contient une erreur importante qui remet alors en question les résultats qui sont obtenus : il ne tient pas compte de ce que l’on appelle la « taxe inflationniste », c’est-à-dire que la perte de valeur de la monnaie du fait de l’inflation bénéficie à l’État qui doit verser moins d’argent pour rembourser sa dette.
- Une fois que l’on prend en compte cette « taxe inflationniste », on trouve que la charge de la dette ne représenterait en fait qu’une (très) faible part des ressources de l’État, de l’ordre de 1% en 2025 et 2,2% en 2026.