Mémo éco n°152 - Déficit public : la taxe Zucman pour mettre à contribution les plus fortunés

Publié le 23 sep. 2025
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Ce qu’il faut retenir 

 

  • Les milliardaires échappent à l’impôt sur le revenu et sont en moyenne moins taxés que les autres contribuables. De ce fait, la France est désormais un paradis fiscal pour milliardaires, qui ont vu leur patrimoine augmenter de façon considérable sur les trente dernières années.
  • Pour lutter contre cette injustice et pour rétablir le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt, l’économiste Gabriel Zucman propose de taxer à hauteur de 2% le patrimoine net des ménages les plus fortunés, c’est-à-dire les 1.800 foyers fiscaux dont la fortune est supérieure à 100 millions d’euros.
  • Une telle taxe pourrait avoir un rendement considérable : les estimations évaluent les recettes fiscales entre 15 et 25 milliards d’euros.
  • Une étude récente du Conseil d’Analyse Économique démontre que les risques d’exil fiscal qui sont bien souvent associés à la mise en place de ce dispositif seraient (très) limités. Des solutions existent pour que les propriétaires des entreprises dont la valorisation est importante mais qui ne dégagent pas suffisamment de bénéfices, comme Mistral AI, s’acquittent de la taxe Zucman.

 

Sur quels constats s’appuie la taxe Zucman ?

 

Les travaux de recherche de l’économiste Gabriel Zucman démontrent que la France est aujourd’hui un paradis fiscal pour milliardaires : ils et elles ne paient presque pas d’impôts sur le revenu. Par ailleurs, l’imposition devient même « régressive » pour les ultra-riches puisqu’ils et elles sont moins taxé·es que les autres contribuables en proportion de leurs revenus. Tous prélèvements obligatoires compris, les ultra-riches paient deux fois moins d’impôts en proportion de leurs revenus que le français moyen. En effet, alors que le taux d’imposition effectif des contribuables français est en moyenne de près de 50%, les milliardaires paient quant à eux l’équivalent de 26% de leur revenu. Pour illustrer ces inégalités face à l’impôt, Gabriel Zucman a montré que si tous les milliardaires partaient demain s’installer aux îles Caïmans, cela n’abaisserait que très peu leur facture fiscale car ils paient déjà très peu d’impôts. La perte de recettes publiques pour l’État seraient négligeables, de l’ordre de 0,03% du PIB.

 

Pourquoi les ultra-riches ne paient-ils que très peu d’impôts ? Car les milliardaires créent des holdings, c’est-à-dire des sociétés qui vont détenir les actions de leurs entreprises. Et ce sont ces holdings qui vont percevoir les dividendes, ce qui leur permet d’échapper à l’impôt sur le revenu.

 

De plus, la concentration du patrimoine aux mains des ménages les plus fortunés est de plus en plus importante. Selon l’Insee, la part des 10% les plus fortunés est passée de 41 à 47% de l’ensemble du patrimoine des ménages entre 2010 et 2021. Ce constat est renforcé lorsque l’on rétrécit la focale et que l’on ne regarde que l’évolution du patrimoine des ménages les plus fortunés. D’après les données publiées par le magasine Challenges, les 500 plus grandes fortunes françaises ont vu leur patrimoine augmenter de façon considérable depuis le milieu des années 1990. Celui-ci est passé de 80 milliards d’euros en 1996, soit 6,4% du PIB de l’époque, à 1.228 milliards d’euros en 2024, soit 42% du PIB.

 

Par exemple, la famille Arnault, qui est à la tête du groupe de luxe LVMH, détient un patrimoine de 203 milliards d’euros. Selon l’observatoire des inégalités, la fortune de la famille Arnault correspond à la valeur de l’ensemble des logements de Marseille et de Nantes.

 

Comment fonctionnerait la taxe Zucman ?

 

La taxe Zucman fonctionnerait comme un impôt « différentiel » : l’ensemble des impôts payés par un contribuable (impôt sur le revenu, TVA, impôt sur la fortune immobilière, contribution sociale généralisée, prélèvement forfaitaire unique etc.) devrait au moins atteindre l’équivalent de 2% de son patrimoine net. Cette taxe ne s’appliquerait qu’aux foyers fiscaux dont le patrimoine net dépasse 100 millions d’euros, ce qui représente près de 1.800 foyers fiscaux en France. De ce fait, il est faux de dire que la taxe Zucman impose les milliardaires à hauteur de 2% de leur patrimoine net : dans le cas où les impôts qui sont payés par les ultra-riches sont inférieurs à 2% de leur patrimoine net, alors ils ne devront s’acquitter que de la différence entre les 2% de leur patrimoine et ce qu’ils paient déjà comme impôts.

 

Par exemple, pour un·e contribuable dont le patrimoine est de 500 millions d’euros, il ou elle devrait au moins payer 10 millions d’euros d’impôts. S’il ou elle n’a payé que 5 millions d’euros à travers les impôts déjà existants, alors il ou elle devra verser 5 millions d’euros supplémentaires. C’est pour cette raison que l’on parle d’impôt « plancher » lorsque l’on évoque la taxe Zucman, car l’idée est de s’assurer que les ultra-riches s’acquittent d’un montant minimum d’impôts, équivalent à 2% de leur patrimoine net.

 

Depuis 1996, le patrimoine des 500 plus grandes fortunes françaises a augmenté en moyenne de 10% par an selon Challenges. Même avec un impôt plancher de l’ordre de 2%, le patrimoine des ultra-riches continuerait d’augmenter de près de 8% par an. Concrètement, pour un individu dont le patrimoine serait de 100 millions d’euros, cela signifie que son patrimoine serait de 110 millions d’euros au bout d’un an. Avec une taxe Zucman, il serait de 108 millions d’euros, ce qui représente encore une hausse significative.

 

Une telle taxe pourrait avoir un rendement considérable : les estimations évaluent les recettes fiscales entre 15 et 25 milliards d’euros.

Est-ce que la taxe Zucman entrainerait un exil fiscal des plus fortunés ?

 

L’argument le plus utilisé par le gouvernement, le patronat et les économistes libéraux contre la taxe Zucman est donc celui de l’exil fiscal. Tout comme pour l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en son temps, ils et elles considèrent qu’une fiscalité élevée sur le capital aurait pour effet de faire fuir les hauts patrimoines hors de France. Par ailleurs, cette taxe pourrait jouer sur l’attractivité de la France en faisant fuir les investissements étrangers.

 

Pourtant, une étude récente du Conseil d’Analyse Économique, rattaché à Matignon, récuse cette affirmation. Les auteurs de l’étude démontrent qu’une « […] augmentation de l’imposition des hauts patrimoines d’un point de pourcentage engendrerait chaque année une diminution de la population de hauts patrimoines résidant fiscalement en France de 0,003 à 0,03%. […] les effets agrégés sur l’activité économique à long terme restent faibles : l’exil fiscal entrainerait au plus une baisse de -0,03% de chiffre d’affaires, -0,05% de valeur ajoutée totale de l’économie française, et -0,04% de l’emploi total ». L’étude conclut alors que « si la fiscalité du patrimoine a bien un effet significatif sur l’exil fiscal des plus hauts patrimoines, cet effet est relativement modeste »[1].

 

Par ailleurs, Gabriel Zucman démontre que la taxe pourrait être accompagnée d’un « bouclier anti-abus », c’est-à-dire d’un dispositif qui permettrait que les contribuables qui choisissent l’exil fiscal continuent à payer l’impôt plancher malgré leur départ. Dans la proposition de loi qui avait été déposée à l’Assemblée nationale en janvier 2025, les contribuables restaient par exemple asujettis à la taxe Zucman cinq ans après leur départ.

 

Un second argument a été mobilisé ces derniers jours : certaines entreprises auraient une valorisation importante mais ne seraient pas encore rentables. C’est le cas par exemple de Mistral AI. Il faut toutefois préciser que ce n’est pas l’entreprise qui paierait un montant d’impôt équivalent à 2% de sa valorisation. Il s’agirait de s’assurer que celles et ceux qui détiennent des parts de l’entreprise paient au moins 2% des parts qu’ils et elles détiennent si leur fortune est supérieure à 100 millions d’euros.

 

Les principaux actionnaires de l’entreprise Mistral AI seraient alors soumis à la taxe Zucman, mais ces derniers affirment qu’ils n’auraient pas les fonds nécessaires pour la payer car elle n’est pas encore rentable.

 

Deux solutions ont été proposées par Gabriel Zucman pour faire face à cette situation : 1 - les personnes concernées pourraient payer l’impôt en nature, en cédant à l’État des actions de leur entreprise pour un montant équivalent à l’impôt dont ils doivent s’acquitter, sachant que l’État possède déjà des parts dans des start-ups à travers Bpi France ; 2 - il serait possible d’échelonner dans le temps les paiements jusqu’à ce que l’entreprise soit rentable et dégage des bénéfices.  

 

Pour réduire le déficit public en 2026, le gouvernement souhaite réaliser 43,8 milliards d’euros d’économies. Il souhaite pour cela que l’essentiel des économies soit fait sur la dépense publique et au détriment des classes populaires[2]. Dans le contexte de discussion du Projet de loi de finances 2026, il est donc primordial d’insister sur le fait qu’il est désormais nécessaire de faire contribuer davantage les ménages les plus fortunés, d’autant plus qu’ils ont été les principaux bénéficiaires de la politique de l’offre et, in fine, du creusement du déficit public depuis 2017[3].

 

[1] Voir la note du CAE, intitulée « Fiscalité du capital : quels sont les effets de l’exil fiscal sur l’économie », remise au Premier ministre fin juillet.

[2] À ce sujet, voir le mémo éco n°151 « Année blanche : une année noire pour le monde du travail ? ».

[3] À ce sujet, voir le mémo éco n°147 « Dégradation des finances publiques : les conséquences de la politique de l’offre ».

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