Mémo éco - Réduction du temps de travail : un processus historique en panne

Publié le 24 sep. 2021
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La science économique est traversée par de multiples débats, sans fin pour la plupart. Toutefois, nombre de ces débats se basent sur des égalités comptables indiscutables. Ainsi, il est évident que le volume de travail est égal à la multiplication du nombre d’emplois et de la durée moyenne de travail. (volume de travail = nombre d’emplois × durée du travail) Quels liens entre emploi, durée et volume de travail ? Les économistes débattent alors pour savoir les liens de dépendance entre les termes de l’équation...

La science économique est traversée par de multiples débats, sans fin pour la plupart. Toutefois, nombre de ces débats se basent sur des égalités comptables indiscutables. Ainsi, il est évident que le volume de travail est égal à la multiplication du nombre d’emplois et de la durée moyenne de travail. (volume de travail = nombre d’emplois × durée du travail)

Quels liens entre emploi, durée et volume de travail ?

Les économistes débattent alors pour savoir les liens de dépendance entre les termes de l’équation. Ici, on se demande ainsi si la durée du travail va avoir un effet sur le volume de travail ou bien sur l’emploi.

Lorsque le patronat et le gouvernement indiquent qu’ « il faut travailler plus pour relancer l’économie et réduire le chômage », ils partent du postulat que l’augmentation de la durée du travail à un effet positif à la fois sur l’emploi et sur le volume du travail.

Leur objectif est simplement d’augmenter le volume de travail de l’économie.

Rappelons qu’à productivité constante, l’évolution du volume de travail correspond à ce qu’on appelle la « croissance économique ». Si la productivité augmente, de 2% par exemple, alors il faut au moins 2% de « croissance économique » pour maintenir le volume de travail au même niveau.

Dans cette hypothèse toutes les variables évoluent en même temps dans le même sens, ce qui implique une croissance forte comme on l’a vu.

Poser cette relation de manière mathématique permet de mettre en évidence la nécessité d’une croissance forte pour pouvoir conjuguer augmentation de la durée du travail et de l’emploi en même temps.

Or, il est aujourd’hui assez claire qu’une telle croissance n’est à la fois pas souhaitable (elle repose ici sur l’accroissement de la durée du travail pour tou-te-s les travailleur-se-s) mais surtout pas soutenable.

Le fait que l’emploi évoluerait de façon similaire à la durée du travail est contre-intuitif mais ne nous reposons pas seulement sur l’intuition. Prendre du recul permet de voir qu’historiquement il n’a jamais été question d’augmenter à la fois l’emploi et le temps de travail.

La baisse historique du volume de travail

Source : Michel Husson (2019). Graphique repris notamment ici et

Comme vu précédemment, la stratégie du patronat et du gouvernement repose sur une augmentation du volume de travail pour créer de l’emploi.

Cela pourrait se faire avec une chute de la productivité importante. On voit par exemple que dans l’agriculture biologique il y a une productivité bien plus faible et donc un besoin en travail et en emplois bien plus important que dans l’agriculture industrielle. Cette baisse de la productivité peut-être vue d’un bon œil puisqu’elle s’accompagne d’une amélioration de la qualité et d’une baisse des dommages environnementaux. Cependant, une baisse drastique de la productivité pour l’ensemble de l’économie n’est pas au programme et certainement pas souhaitable.

Comme le montre ce graphique, miser sur une augmentation du volume de travail est plus qu’hasardeux puisqu’en réalité le volume de travail est aujourd’hui inférieur à 1950. Michel Husson précise « il y avait en 1950 43,7 milliards d’heures travaillées en France. Ce nombre est de 42,4 milliards aujourd’hui. »[1].

Nous avions dit plus haut que le volume de travail correspondait à la croissance « à productivité constante » or depuis 1950 l’économie a connu des gains de productivité immenses qui ont permis à la société de produire davantage avec un volume de travail inférieur.

En effet, depuis 1950 le PIB en volume (c’est-à-dire en neutralisant l’inflation) a été multiplié par plus de 8 alors que le volume de travail a baissé d’un peu moins de 5%.


[1] https://www.alternatives-economiques.fr/michel-husson/lobscur-mystere-35-heures-explique/00088687

C’est bien la RTT qui explique les créations d’emploi depuis un siècle

En 1950, la France comptait 19,4 millions d’emplois[1], fin 2019, ce chiffre était de 28,5 millions[2].

Cela signifie que la France a créé plus de 9 millions d’emplois alors même que le volume de travail est inférieur aujourd’hui par rapport à 1950. Ça représente une augmentation de près de 50% du nombre d’emplois. Ce n’est que la réduction du temps de travail qui a permis ces créations d’emplois. Comme le montre ce graphique, même pendant les Trente Glorieuses, alors que la France connaissait une croissance très forte, le volume de travail restait stable du fait de gains de productivité très importants.

Ce graphique permet de mettre en avant la stagnation de la durée du travail depuis les années 2000 et lois Aubry. Le nombre d’emploi n’augmente donc que parce que le volume de travail nécessaire augmente du fait d’une très faible augmentation de la productivité. Cette stagnation de la productivité peut s’expliquer notamment par les mutations de l’économie et le développement de l’économie des services à faible valeur ajoutée (au sens économique) comme le transport, les services à la personne,etc.

C’est une réussite aux yeux de certains économistes ou politiciens, pourtant avoir besoin de davantage de travail apparait contre l’antithèse du progrès économique et social. Pour reprendre les termes d’un anonyme cité par Marx, "une nation est véritablement riche si, au lieu de 12h, on en travaille 6" ; le gouvernement et le patronat travaillent à l’inverse.

 

En 2018, la population active s’élevait à 29,8 millions de personnes* (Insee). A cela, ajoutons 1,9 million de personnes qui constituent le halo autour du chômage c’est-à-dire des « inactif.ve.s » qui souhaitent travailler mais sont découragés de chercher un emploi ou pas disponible de suite.

On a donc 31,7 millions de personnes qui souhaitent un emploi en France. Pour atteindre le plein emploi (disons 3% de chômage dit frictionnel), il faudrait donc 30,75 millions d’emplois.

Puisque le volume de travail annuel est de 42,4 milliards d’heures, cela signifie que la durée de travail de plein emploi est de 1378,86 heures annuelles soit l’équivalent de 30 heures hebdomadaires compte tenu des jours fériés et des semaines de congés.

C’est évidemment un chiffre assez simplificateur qui ne prend pas en compte la volonté de temps de certain.e.s ainsi que les spécificités de certains métiers néanmoins ce chiffre a le mérite de montrer quelle serait la quantité de travail moyenne nécessaire par travailleur-se-s si le travail était équitablement réparti.

* Attention, ce chiffre ne peut être comparé aux 28,5 millions d’emplois cités précédemment, qui pourrait laisser penser qu’il n’y a « que » 1,3 million de personnes au chômage. L’année est différente et bien que les 2 chiffres proviennent de l’Insee, la méthode d’estimation varie.


[1]https://www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/1/41147/1/IE_deux_%20siecles_travail.pdf

[2] https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/details/50_MTS/51_EPA/51D_figure4

Quelle forme de réduction du temps de travail ?

On se focalise souvent sur la durée de travail hebdomadaire mais au cours des décennies la réduction du temps de travail a pris plusieurs formes. L’apparition puis l’augmentation du nombre de semaines de congés a réduit la durée de travail annuelle.

L’allongement de la durée d’études et la baisse de l’âge de départ à la retraite ont contribué à réduire la durée de travail tout au long de la vie, et donc permis moins d’actif.ve.s et donc réduit le chômage.

Ces tendances observées dans la deuxième moitié du XXème siècle sont en grande partie, particulièrement pour les retraites, remises en cause depuis le début du XXIème siècle.

Dans le même temps la réduction de la durée du travail a surtout pris la forme d’une extension des temps partiels, en grande partie subis. Entre 1975 et 2019, la part des emplois à temps partiel est passée de 8,3% à 18,1% (28,4% pour les femmes).

 

Pour ce qui est des retraites, la durée de travail au cours de la vie n’a pas d’impact sur le nombre d’emplois. En revanche, cela a un impact sur la population active. En effet en reculant l’âge de départ en retraite, on recule également l’âge de fin d’activité et on augmente donc le stock d’actif.ve.s.

Or le chômage correspond à la différence entre la population active et le nombre d’emplois. A nombre d’emplois constants, on voit donc bien qu’augmenter la taille de la population active augmente le chômage.

 

Retrouver le chemin du progrès économique et social passe nécessairement par la réduction du temps de travail. Le lien entre temps de travail et emploi est net historiquement. Ce combat est un enjeu majeur pour la période qui s’ouvre, et deux modèles vont s’affronter ; soit une reprise économique sans emploi, soit une reprise avec emploi. Le facteur déterminant sera le temps de travail ; la suite dans le prochain mémo du pôle éco.

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