Mémo Sécu n°12 : Travail et conditions de travail en France : Quand les travailleur.ses font face à l’intensification et l’individualisation

Publié le 26 juin. 2023
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Analyser les conditions de travail en France n’est pas une mince affaire. Les mémo Sécu n°8 et 9 respectivement consacrés aux conditions de travail à l’hôpital et à la capacité des salarié.es à exercer le même emploi jusqu’à leur retraite donnaient toutefois quelques pistes d’analyse de cette problématique.

Ce nouveau mémo Sécu propose de faire un tour d’horizon plus général des conditions de travail en France et notamment de l’exposition des salarié.es aux différentes contraintes qui peuvent peser sur le travail (contraintes de temps, physiques, marchandes, hiérarchiques…).

Ce n’est pas sous l’angle de la santé au travail ou de l’organisation du travail que ce mémo abordera les conditions de travail. Il s’agit plutôt de mettre en valeur les grandes tendances qui pèsent sur l’ensemble des travailleur.ses et qui définissent ce que l’on décrit aujourd’hui comme une intensification du travail et une individualisation du travail.

Les points importants à retenir

Les contraintes physiques et hiérarchiques perdurent pour l’ensemble des travailleurs depuis les années 1980.

De nouvelles contraintes dans le travail se développent pour les ouvrier.ères et les employé.es depuis les années 1990 : les contraintes marchandes et les contraintes temporelles.

L’intensification du travail est un phénomène auquel l’ensemble des travailleur.ses, quel que soit leur catégorie socioprofessionnelle, sont soumis.es.

L’individualisation du travail est une caractéristique centrale des mutations des conditions de travail en France.

Des contraintes physiques et hiérarchiques toujours présentes

Si l’on voulait forcer le trait, on pourrait dire que la disparition du taylorisme, ce mode d’organisation du travail très caractéristique des Trente Glorieuse, n’est qu’une image d’Epinal. En effet, la réalité du travail nous éloigne complètement de cette idée d’une disparition. L’Enquête Emploi Conditions de Travail menée depuis 1978 par les services de la Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques (DARES) nous indique plutôt que depuis les années 1980, les contraintes physiques et hiérarchiques dans le travail des salarié.es se maintiennent.

  • Entre 1991 et 2016, la prescription du travail a eu tendance à augmenter pour l’ensemble des salarié.es.
  • Si en 1984, 34,7% des ouvrier.ères déclaraient que leur travail était répétitif, ils et elles sont plus de 65% à le déclarer en 2016.

Parallèlement, les contraintes automatiques et le caractère répétitif du travail se sont fortement développés.

  • Les employé.es déclaraient en 1984 pour 18% d’entre eux-elles avoir un travail répétitif contre plus de 55% en 2016.

 

Le premier mouvement d’intensification du travail ces dernières décennies passe en effet par un renforcement des contraintes physiques et hiérarchiques pour la plus grande partie des travailleur.ses.

De nouvelles contraintes qui pèsent fortement sur les salarié.es

Les modifications importantes qui impactent les conditions de travail des salarié.es depuis les années 1990-2000 sont particulièrement liées au développement de nouvelles contraintes. Celles-ci sont généralement qualifiées de contraintes marchandes et de contraintes temporelles.

Sources : DARES – Enquête CT-RPS

Les contraintes marchandes correspondent au développement d’une demande extérieure à l’entreprise qui pèse directement sur le travail des salarié.es.

  • En effet, si en 1984, 28% des salarié.es déclaraient que leur rythme de travail était déterminé par la réponse immédiate à une demande extérieure, en 2016, ils et elles étaient plus de 57%.

De la même manière, les contraintes temporelles se font de plus en plus importantes pour les salarié.es. Ces dernier.ères doivent faire face à un raccourcissement très important des délais.

  • En 1984 toujours, 18% des salarié.es déclaraient que leur rythme de travail était déterminé par des réponses à des délais d’une journée maximum. En 2016, ils étaient plus de 48%. Pour certains d’entre eux-elles, les délais d’une heure au plus se développent de plus en plus.

En somme, l’ensemble des salarié.es fait aujourd’hui face à une pression de plus en plus importante des clients qui vient impacter directement leur travail que ce soit en termes de rythme mais aussi du fait de la relation directe que ces salarié.es ont avec ces mêmes clients.

  • Ces deux phénomènes permettent d’affirmer que tou.tes les salarié.es sont soumis à une intensification importante et rapide de leur travail.

 

 

Face à l’intensification et à l’individualisation, la santé des travailleur.ses qui se dégrade

L’intensification du travail décrite ci-dessous est l’une des causes d’exposition à ce qu’il est admis d’appeler les Risques Psychosociaux (RPS). Mais cette intensification du travail est aussi le fruit de l’individualisation de celui-ci.

En effet, être soumis plus souvent à des délais très courts, à des injonctions parfois contradictoires de la hiérarchie et à des demandes directes de la clientèle oblige les travailleur.ses à avoir recours plus souvent à des initiatives.

De fait, ils et elles sont donc plus souvent amené.es à être responsable du bon déroulé du travail collectif, sans jamais en obtenir le fruit, et en gardant toujours l’épée de Damoclès de la hiérarchie au-dessus de leur tête. Aussi ils et elles sont mis.es en concurrence les un.es et les autres.

Dès lors, les travailleur.ses est plus souvent soumis à des situations de stress intense ou à des violences verbales internes ou externes à l’entreprise (harcèlement, injonctions contradictoires, agressions ou incivilités…). Ces RPS sont largement responsables de TMS, d’épuisement professionnels, de dépression et d’anxiété, de maladies cardiovasculaires et même de suicides.

Finalement, ces transformations entrainent à la fois une dégradation de la santé des travailleur.ses et des relations de travail.

Dans le contexte d’un allongement de la durée passée au travail du fait de la contreréforme des retraites, la dégradation des conditions de travail entamée depuis de nombreuses années ne fera que renforcer les effets délétères de cette réforme.

 

Repère revendicatif