Mémo Sécu n°24 : Incapacité ou invalidité - Deux dispositifs face à deux problématiques différentes

Publié le 12 aoû. 2024
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Aujourd’hui, l’incapacité et l’invalidité sont souvent confondus et coexistent sans pour autant qu’ils aient le même objectif.

L’incapacité, dont les origines sont purement professionnelles. Un.e travailleur.se peut être victime d’une incapacité suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle. La réparation potentielle du fait d’une incapacité permanente est prise en charge par la branche AT MP. Elle est financée par des cotisations dites patronales évaluées selon la taille et la sinistralité de chaque entreprise.

L’invalidité intervient dans un champ différent. C’est la reconnaissance d’une impossibilité qui pèse sur le travailleur et réduit sa capacité de revenu par rapport au travail qu’il pouvait exercer avant cette perte. Il ne s’agit pas d’un dispositif de réparation. L’invalidité fait donc suite à un accident de la vie réparé par l’assurance maladie, 1ère, 2ème et 3ème catégorie selon la capacité à travailler.

Ce Mémo Sécu propose une présentation des différences entre ces deux dispositifs et sera complété ultérieurement par un document synthétique présentant les différences et les procédures détaillées à suivre pour demander une reconnaissance d’une incapacité ou d’invalidité.

Les points importants à retenir

  • La rente ou le capital versé pour incapacité permanente vise à réparer les conséquences permanentes d’un AT ou d’une maladie professionnelle
  • L’année après un AT entrainant une incapacité permanente, le revenu salarial chute de 40% en moyenne.
  • Lorsque le taux d’incapacité est supérieur à 10%, la perte de revenus salariaux est proche de 60% sur l’année.
  • La pension d’invalidité constitue un revenu de remplacement visant à compenser la perte de salaire dans le cadre d’une maladie ou d’un accident de la vie.
  • Trop souvent la reconnaissance d’invalidité vient en lieu et place de l’incapacité, les démarches pour la seconde étant souvent méconnues, longues et complexes.
L’incapacité

L’incapacité est donc ce qui peut survenir à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Celle-ci peut disparaître ou se maintenir. La persistance d’une incapacité de travail, même faible, suffit à déterminer le droit à une rente ou une indemnisation en capital selon le taux d’incapacité retenu (capital en dessous de 10%), même s’il est prouvé que la blessure n’exerce pas d’influence réelle sur le salaire.

Le versement d’une rente ou d’un capital dépend en premier du taux d’incapacité permanente qui est déterminé d’après : la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle. (Art L 434 2 du code de la Sécurité sociale).

L’examen de ses critères est effectué par un médecin conseil de la Sécurité sociale qui propose un taux partiel dit taux d’IPP sur la base d’un barème purement indicatif d’invalidité auquel s’ajoute une observation subjective de la part du médecin. Ce premier mécanisme d’évaluation opère dans les faits des inégalités et disparités importantes sur la fixation des taux entre les régions.

C’est donc sur la base de ce taux que va être fixé le montant de l’indemnisation d’une victime ou des ayants-droits en cas de décès.

Si le taux d’IPP est inférieur à 10%, la victime perçoit une indemnité en capital fixé à partir d’un barème. Si ce taux est supérieur ou égal à 10%, la victime perçoit une rentre versée trimestriellement ou mensuellement selon le montant. Ces rentes sont classiquement acquises à vie.

Un dispositif complémentaire de réparation peut survenir lorsque l’obligation de sécurité de l’employeur n’est pas respectée et a participé à causer l’AT ou la MP. Dans ce cas, l’employeur aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié.

S’il est confirmé que l’employeur n’a pas pris de mesures pour préserver la santé du.de la travailleur.se, l’employeur est reconnu en Faute Inexcusable de l’Employeur (FIE) par le pôle social des tribunaux judiciaires. La FIE permet une majoration de la rente ou du capital, et l’indemnisation des souffrances physiques et morales endurées, du préjudice d’agrément et du préjudice esthétique et l’indemnisation de la perte de promotion professionnelle dit DFP. Cet ensemble de préjudices n’étant pas pris en charge dans le cadre de la réparation or FIE.

L’ensemble de ces procédures, qu’il s’agisse de la FIE ou de la reconnaissance de l’incapacité permanente fait l’objet de larges débats et d’un processus de réforme débuté dans le cadre du PLFSS 2024 (article 39 de ce PLFSS relatif à la réparation des AT MP). Il est l’objet d’une large l’opposition de la part des organisation syndicales à l’article 39 de ce PLFSS relatif à la réparation des AT MP.

Récemment, la Direction de la Recherche des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DREES) a proposé un chiffrage des pertes de revenues potentielles par suite d’une incapacité permanente.

L’année suivant un AT entraînant une incapacité permanente, le revenu salarié de la victime chute de près de 40 % en moyenne par rapport à l’année précédant l’accident. Dans les trois années suivantes, la perte de revenu salarial se maintient aux alentours de 30%. Les pertes de revenus sont donc importantes, près de 7 000€ par an dans cette situation.

Pour les accidents les plus graves, les effets semblent plus importants sur le revenu salarial des personnes concernées. Lorsque le taux d’incapacité dépasse les 10%, soit dans un cas sur trois, la chute du revenu salarial est de 60% en moyenne l’année suivant l’accident, soit quasiment de 12 000€ sur l’année. Deux ans après l’accident, le revenu d’activité remonte légèrement, pour atteindre un niveau toujours plus faible qu’avant l’accident : -10 000€, soit une baisse de 50% environ.

Certains accords de prévoyances peuvent permettent de réduire ces pertes mais ceux-ci sont à la discrétion de l’employeur.

L’invalidité

La pension d’invalidité constitue un revenu de remplacement visant à compenser la perte de salaire dû à l’impossibilité de continuer son activité professionnelle. Sous certaines conditions, cette pension peut être cumulée avec d’autres revenus. Elle est imposable et saisissable et ne rompt pas obligatoirement le contrat de travail entre le salarié et l’employeur.

L’invalidité est prononcée par un médecin conseil de la Sécurité sociale et se définit de la manière suivante :

« L'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'il présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées (2/3) sa capacité de travail ou de gain, c'est à dire le mettant hors d'état de se procurer un salaire supérieur à une fraction (1/3) de la rémunération soumise à cotisations et contributions sociales qu'il percevait dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité » (Article L341 1 code de la Sécurité sociale)

A contrario de l’incapacité, il n’existe pas de barème d’invalidité. Pour autant, une fois l’invalidité reconnue, l’assuré est classé dans l’une des catégories suivantes :

  • 1ère catégorie : Le.la travailleur.se est encore en mesure d’assurer une activité adaptée. Sa pension est égale à 30% de son salaire annuel moyen
  • 2ème catégorie : Le.la travailleur.se est incapable d’exercer une activité professionnelle quelconque. La pension est égale à 50% de son salaires annuel moyen.
  • 3ème catégorie : Le.la travailleur.se est incapable d’exercer une activité professionnelle et a besoin de l’aide constante d’une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie. La pension est égale à celle des invalides placés dans la 2ème catégorie mais elle est assortie d’une majoration pour tierce personne dont le montant est revalorisé régulièrement
Effet de substitution : lorsque les travailleur.ses ont recourt à l’invalidité plutôt qu’à l’incapacité

Aujourd’hui l’accès aux deux dispositifs est inégalitaire. Bien évidemment, ils ne cherchent pas à réparer les mêmes problématiques. Pourtant, ils sont bien trop souvent substitués l’un par l’autre, la reconnaissance d’invalidité venant supplanter la reconnaissance d’incapacité très complexe dans de nombreux cas. A cela peut s’ajouter la prise en charge dans le cadre des accords de prévoyance dans certaines entreprises, souvent de grande taille.

Aujourd’hui, la puissance publique estime que la sous déclaration en incapacité s’élèverait à plus d’1,2 milliards d’euros (PLFSS 2024), ce chiffre équivalent aux transferts de compensation entre la branche AT MP et la branche maladie. Cela, du fait des arrêts de travail d’origine professionnelle, notamment des accidents de travail, non déclarés et donc pris en charge par l’Assurance Maladie au titre des indemnités journalières (IJ) classiques, faussant les comptes de chacune des branches.

Pourtant ce chiffre est largement sous-évalué, la cour des comptes considérant que cette sous déclaration s’élèverait entre 1,2 et 2,1 milliards d’euros (rapport sous déclaration de la CDC - 2021).

Si l’incapacité permanente issue d’un accident du travail peut être reconnu à la suite d’une déclaration par l’employeur d’un AT d’un.e travailleur.se, celui.celle.ci a une durée de 2 ans pour faire cette déclaration si l’employeur ne l’a pas effectuée. Pour les maladies professionnelles, c’est bien le.la travailleur.se qui doit entamer lui-même les démarches. Elles sont très souvent le parcours du combattant administratif. De plus, s’y ajoute le fait que les employeurs cherchent trop souvent à limiter les AT déclarés pour des raisons financières notamment. C’est particulièrement le cas pour les travailleurs et travailleuses précaires qui font face à l’arbitraire patronal et l’épée de Damoclès de la non-reconduction de leur contrat dans le cas d’un accident du travail.

Face à cela, les travailleur.ses n’ont parfois pas d’autres solutions que de se tourner vers la reconnaissance de l’invalidité pour compenser les pertes auxquels ils et elles font face dans le cas où les démarches de reconnaissances d’AT ou de MP n’ont pas abouti ou n’ont pas pu être effectués. Dans ce cas, l’employeur n’est pas reconnu responsable et échappe complètement à la sanction financière, celle de l’augmentation du taux de cotisations ATMP de l’entreprise versées à la caisse.

In fine, les travailleurs sont perdant individuellement et collectivement. Individuellement parce que la complexité de la reconnaissance en incapacité limite leur accès aux droits. Collectivement   la mainmise des employeurs sur les cotisations AT MP (par les employeurs) les incite entre autres à multiplier les stratégies pour maximiser la sous (reconnaissance) déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. Aujourd’hui, la reconnaissance de l’invalidité est plus simple et plus favorable aux travailleurs alors qu’il s’agit d’un dispositif dont l’objectif est donc bien différent de la reconnaissance d’une incapacité permanente.

L’évolution de la reconnaissance et de la réparation de l’incapacité permanente et des maladies professionnelles et un enjeu revendicatif central pour la CGT.

Aujourd’hui lutte sur plusieurs fronts pour changer les choses. La convention d’objectif et de gestion de la branche (COG) AT MP pour 2024-2028 va enfin être proposée. Même si la CGT s’oppose à celle-ci, la mobilisation de nombreux acteurs avec au premier plan la CGT a permis d’amoindrir les pertes qui étaient attendues. Cet épisode aura démontré une fois de plus la perversité des COG. Un outil qui ne sert que les politiques d’austérité budgétaire et ne permet, ni agilité des actions de la branche, ni engagement à long termes.

Parallèlement la signature de l’ANI de mai 2023 sur la branche AT MP a entamée une bataille importante entre le patronat et les organisations syndicales sur la réparation. Là encore, la CGT, si elle a pesé de tout son poids, s’oppose aujourd’hui aux conclusions du comité de suivi de cet ANI comme elle s’est opposée à l’article 39 du dernier PLFSS qui consacrait une baisse de la réparation des AT MP. 

Pour la CGT, l’objectif actuel est clair. Aucun texte, aucune modification qui dégraderait la réparation des AT MP n’est admissible. Les excédents de la branche sont une base solide pour améliorer la réparation des AT MP, l’augmentation des cotisations une piste nécessaire si les besoins sont là.  

 

Repère revendicatif