Mémo Sécu n°4 : 19,6 euros aux urgences ? Petite histoire du Forfait Patient Urgence

Publié le 31 jan. 2023
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Mise en place dans le cadre du PLFSS 2021, le Forfait Patient Urgence (FPU) vient remplacer l’ancien ticket modérateur payable à la suite d’un passage aux urgences. Pour le gouvernement ce forfait a un triple objectif : mieux facturer, mieux recouvrer et surtout lutter contre le « sentiment de gratuité ».

Si le FPU est un des innombrables dispositifs de financement de sécurité sociale, il est aussi parfaitement à l’image de la politique menée par les gouvernements Macron depuis plus de 6 ans : faire payer les plus modestes et lutter contre les comportements supposés « profiteurs » d’une majorité des Français et des classes populaires en général.

Ce nouveau Mémo Sécu est l’occasion de présenter un dispositif spécifique et de montrer qu’il s’inscrit dans une politique économiquement libérale et répressive défendue par le gouvernement. En partant d’un exemple précis, il est ainsi possible d’imaginer ce que le pouvoir en place souhaite faire à notre sécurité sociale. 

Les points importants à retenir

  • Le FPU risque d’aggraver le renoncement aux soins,
  • Les urgences sont un dernier recours pour la plupart des gens, 
  • Le FPU a pour but principal de faire une double économie : les soins en ville sont moins couteux qu’à l’hôpital, le taux de prise en charge par l’assurance maladie est plus faible.
  • Le FPU est construit sur l’idée que les individus sont pleinement responsables de leurs choix : s’ils vont aux urgences, c’est par choix et non parce qu’ils y sont contraints. Pourtant, le recours aux urgences est une nécessité et non un choix !

D’où vient le FPU ?

Développé dans le cadre du pacte de refondation des urgences et à la suite des mobilisations de 2019, le FPU est une réforme du financement des urgences mise en place dans le cadre du PLFSS 2021. De quoi s’agit-il ?

Le constat du gouvernement est le suivant : la crise des urgences, qui n’a fait que s’accélérer cette année serait liée, en autre, aux trop nombreux passages de patients qui n’en auraient pas le besoin. Ils pourraient d’ailleurs préférer un passage par la médecine de ville à un passage aux urgences.

Dès lors, une réforme du financement serait nécessaire pour « recentrer les urgences sur l’accueil des cas lourds, relevant plus spécifiquement de la médecine d’urgence ». C’est dans l’annexe 9 du PLFSS 2021 que l’on trouve la justification de cette modification du financement.

Tout l’enjeu du FPU n’était pas de créer une nouvelle dépense pour les patients mais de remplacer l’existant. Avant le 1er janvier 2022, tous les patients qui passaient aux urgences étaient soumis à un ticket modérateur qui s’élevait à 20% du total et étaient largement remboursés par les complémentaires. Seul 5% de la population qui ne disposait pas de complémentaire devait payer ce ticket modérateur.

Depuis le 1 janvier 2022, le FPU a remplacé ce ticket modérateur par un forfait de 19,6 euros payable pour tous les passages sans hospitalisation aux urgences

La FPU ne rend pas le passage aux urgences payant. Il change la forme de ce payement pour plusieurs raisons.

Quel objectif du FPU ?

Les objectifs de la mise en place d’une telle réforme sont doubles :

En premier, il s’agit de « simplifier la facturation et le recouvrement par les établissements de santé ».

En effet, le ticket modérateur proportionnel posait un problème important de calcul et de non-recouvrement. Avant le FPU, seul 30% des factures après un passage aux urgences étaient recouvrées. Le FPU est donc en premier lieu une mesure pour augmenter les ressources et améliorer le recouvrement.

En second, il s’agit de lutter contre un hypothétique « sentiment de gratuité ».

Là il nous faut citer dans le texte l’annexe 9 : « il convient de noter que la réforme s’inscrit dans l’objectif global de repositionner pleinement la médecine de ville dans son rôle de 1er recours via l’affichage d’un reste à charge lisible et connu par avance par les assurés (signal prix) là où aujourd’hui l’absence de facturation immédiate en sortie de service des urgences alimente le sentiment de gratuité du recours aux urgences en comparaison avec le recours à un médecin de ville. A terme, la mesure devrait donc entrainer un transfert de la prise en charge des urgences les plus légères de l’hôpital vers la médecine de ville. 

Le gouvernement estime donc que les personnes qui passent aux urgences le font du fait d’un sentiment de gratuité, comme si l’on allait aux urgences par plaisir et parce que ce n’est pas payant, estimant que les individus choisissent le mauvais professionnel, les urgences plutôt que la médecine de ville. Il s’agit donc de les inciter à modifier leurs comportements.

Enfin, il s’agit de faire une double économie :

 

Comme l’indique Nicolas Da Silva, maître de conférences en sciences économiques à l’Université Sorbonne Paris Nord, ce transfère hôpital-ville est une double économie : les soins en ville sont moins coûteux qu’à l’hôpital et le taux de prise en charge par l’assurance maladie est plus faible (93,9% contre 71%).

 

Le FPU : miroir d’une politique antisocial ?

Mauvaise compréhension ou dogme budgétaire, le gouvernement refuse de voir les réelles causes du passage aux urgences. En effet, une étude récente de la DREES révèle un haut degré d’insertion de la patientèle des urgences dans la médecine de ville. En d’autres termes, les individus qui consultent aux urgences sont aussi ceux qui consultent en médecine de ville : 6,0 consultations par an contre 4,6 en moyenne pour les autres.

L’étude rappelle aussi que ce sont les plus fragiles qui utilisent le plus les urgences : moins de 5 ans, plus de 85 ans, personnes atteintes d’une affection longue durée, personnes bénéficiaires de la CMU-C.

Plus récemment, la Mission Flash sur les urgences pilotée par F.Braun qui n’est alors pas encore ministre de la santé préconise de laisser la part belle à la médecine libérale et de transformer les comportements des patients.

Dans une troisième partie du rapport, structurées autour de 8 axes de réflexions, les propositions de l’actuel ministre de la Santé portent à la fois sur l’organisation des soins, l’organisation du système de santé, la politique RH des hôpitaux, et le comportement des patient.e.s.

Le rapport propose donc d’agir sur le comportement des patients. Il faudrait lutter contre les rendez-vous non honorés pour responsabiliser le patient (axe n°4) tout en développant le « nudge » (les incitations), « l’approche comportementale » ou encore le « marketing social » pour informer, influencer et aider à mieux consommer (axe n°5). Tout l’objectif est de responsabiliser l’individu (le patient et le soignant), considérant qu’il ou elle est en premier lieu le.la responsable des problèmes (surconsommation notamment) et l’acteur.trice principal.e du changement.

Et voilà donc la responsabilité individuel mise au-devant des causes du recours aux urgences. Il faudrait donc changer les comportements pour résoudre les problèmes du système de santé. Voici donc le projet du gouvernement pour notre Sécu.

Rien n’est dit que le problème de la désertification médicale et du mauvais accès aux soins, Rien n’est dit sur l’hostilité de médecine de ville vis-à-vis de toute une frange de la population, hostilité qui se matérialise par la liberté tarifaire, le refus de soin ou la liberté d’installation par exemple, Enfin, rien n’est dit sur le manque d’alternative de la population : aller aux urgences, c’est aussi ne pas pouvoir faire autrement.

D’ailleurs, ce ne sont pas les annonces récentes sur l’hôpital, qui ne sont que des redits du plan Ma Santé 2022 et de la mission Flash pilotée par F.Braun qui pourraient changer quelque chose. Nous y reviendrons dans une prochaine publication sur le site analyses-propositions.cgt .

Plutôt que de laisser le système de santé reposer sur la concurrence et la médecine libérale, la CGT propose de développer le modèle des centres de santé, des structures pluriprofessionnelles où les intervenants sont salariés et disposent de personnels administratifs qui participent à la gestion de la structure.

Le Forfait Patient Urgence est parfaitement à l’image de la politique menée par le gouvernement ces dernières années : il est construit pour permettre de faire des économies et de reporter la prise en charge des dépenses de santé sur le secteur privé. Il est inégalitaire, les personnes ayant les moyens de se payer une complémentaire ont la possibilité de se faire rembourser ce forfait. Enfin, il est construit sur le principe du patient responsable de sa consommation de soin contre toutes les réalités auxquels doivent faire face la population et particulièrement les plus modestes.

 

Repère revendicatif