
Depuis plusieurs années, les Services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) vivent une transformation en profondeur. Fusions accélérées, généralisation des certifications, explosion du numérique, nouvelles obligations légales : autant de bouleversements présentés comme des “innovations” censées moderniser le système. Pourtant, pour la CGT, cette mutation détourne les SPSTI de leur mission de prévention en santé au travail et soumet les équipes à une logique de rentabilité.
La loi du 2 août 2021 devait marquer une étape décisive dans l’évolution des services, elle a au contraire révélé de fortes limites à un bon fonctionnement. Ses ambitions affichées – améliorer la prévention, renforcer le suivi médical, intégrer la santé publique. Tout ceci se heurtent à un manque criant de moyens humains et financiers. De nombreux dispositifs prévus n’ont pas été mise en application . Les visites médicales obligatoires (mi-carrière, post-exposition, rendez-vous de liaison) sont rarement mises en œuvre, faute de médecins et d’infirmiers en nombre suffisant.
La certification (SPEC 2217), présentée comme un gage de qualité, impose en réalité une logique de “mise à jour” permanente des visites médicales, sous peine de sanction. Les directions des SPSTI y ont vu une opportunité pour mettre les équipes sous pression : multiplication des objectifs chiffrés, abattage de consultations, perte de sens et de pertinence des entretiens. La prévention réelle – celle qui suppose du temps, des enquêtes dans les entreprises, des actions collectives – s’efface derrière la conformité administrative.
Dans la pratique, les employeurs imposent leur vision. Pressés d’être “à jour” pour éviter les risques juridiques, ils exigent des visites à la chaîne mais se désintéressent des actions de prévention. La gouvernance des SPSTI, où les présidents sont systématiquement issus des organisations patronales, verrouille ce déséquilibre entre prévention primaire et secondaire : en cas de blocage, leur voix est prépondérante. Ce que la CGT a toujours dénoncé.
Simultanément, des structures parallèles – GIE, groupements d’employeurs – se développent, échappant aux règles de parité et orientant encore davantage les SPSTI vers une logique contractuelle et marchande. La santé au travail devient ainsi un service à vendre, plus qu’un droit collectif à garantir.
Pour les salariés des SPSTI, la situation est paradoxale : chargés de préserver la santé au travail, ils subissent eux-mêmes une dégradation rapide de leurs conditions de travail . Médecins du travail submergés, infirmiers utilisés comme “bouche-trous” sans formation spécialisée, préventeurs contraints à la productivité, secrétaires médicales pressurisées : tous témoignent d’une surcharge croissante de leur activité.
Les visites médicales perdent en qualité, les actions de terrain sont négligées, et les professionnels voient leur indépendance remise en cause. Certains médecins n’osent plus alerter l’inspection du travail par crainte de représailles. Les risques psychosociaux explosent, y compris… chez ceux qui sont censés les combattre.
La digitalisation est l’un des symboles de cette dérive. Le dossier médical en santé au travail (DMST), la dématérialisation du DUERP ou encore les téléconsultations sont présentées comme des avancées. En réalité, ils accentuent la charge administrative, posent de lourdes questions de confidentialité (RGPD, cybersécurité), et risquent de créer une médecine du travail à deux vitesses.
Les nouveaux services 100 % numériques, souvent illégaux car sans agrément misent tout sur des visites à distance rapides et rentables, laissant aux SPSTI classiques les cas complexes – à la manière des cliniques privées qui laissent aux hôpitaux publics les dossiers lourds. Résultat : une prévention vidée de sa substance, réduite à des check-lists sanitaires, loin de l’analyse du travail réel.
Face à ce constat, la CGT revendique :
- Recentrer les SPSTI sur leur mission d’intérêt général, la prévention primaire, et non la conformité chiffrée.
- Renforcer massivement les moyens humains : médecins, infirmiers spécialisés, préventeurs, psychologues du travail.
- Mettre fin à la gouvernance patronale en instaurant une gestion nationale, paritaire, intégrée, par exemple sous l’égide de la sécurité sociale.
- Supprimer la certification et assouplir les visites périodiques, pour privilégier des rendez-vous utiles et accessibles à la demande des salariés.
- Garantir l’indépendance professionnelle et la protection statutaire de tous les acteurs de la santé au travail.
- Refuser une médecine low-cost et purement numérique, en réaffirmant la nécessité de la présence sur le terrain et du lien avec les collectifs de travail.
Pour la CGT, l’innovation ne doit pas servir de prétexte à l’externalisation des responsabilités patronales ni à la marchandisation de la santé. Elle doit au contraire être un levier pour analyser les organisations, prévenir les risques à la source et améliorer réellement les conditions de travail.
Aujourd’hui, les SPSTI ressemblent à une véritable “usine santé-travail” génératrice de risques psychosociaux pour ses propres équipes. C’est avec une gouvernance démocratique et des moyens renforcés, que doivent se reconstruire les services de santé au travail. Dans le sens d’une protection collective et émancipatrice de la santé des travailleuses et des travailleurs.