Comme nous l’avons vu dans la fiche précédente, l’Indice des Prix à la consommation est utilisé pour de nombreuses indexations. Il s’agit donc d’une statistique très importante et comme de nombreux chiffres, sa construction s’est faite en plusieurs étapes et a fait l’objet de longs débats politiques et méthodologiques au cours de l’histoire. Ainsi, l’IPC que nous utilisons aujourd’hui est la 8ème génération de cet indice. Nous allons donc revenir rapidement sur quelques points marquants de l’histoire de cet indice ainsi que sur l’indice CGT.
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Un siècle d’Indice des Prix à la Consommation.
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Premiers indices
Les premiers indices s’intéressant aux prix des biens de consommation remontent au début du XXème siècle. L’indice des prix à la consommation se concentre alors sur treize articles de consommation courante. Il s’agit d’un indice ne se préoccupant que de Paris et les prix sont relevés sur les carnets de comptes des familles connues des enquêteurs de l’office national de la statistique française. Il s’agit donc d’un indice assez sommaire mais qui marque l’émergence de la mesure de l’inflation dans le débat public.
L’objectif de cet indice est de mesurer les changements de prix sans tenir compte des changements des modes de consommation. C’est donc déjà un indice qui ne mesure pas l’évolution du coût de la vie au sens étendu mais limité à certains biens indispensables.
Après la seconde guerre mondiale, l’indice s’étoffe
Dans l’entre-deux guerres, l’indice s’étoffe. En 1949 ce sont trente-quatre articles qui rentrent désormais dans la composition de l’indice. Les articles et la pondération retenus pour l’indice sont toujours ceux consommés par une famille ouvrière de quatre personnes vivant à Paris.
Dans les années 50, la composition de l’indice est publique et le nombre de produits qui rentrent dans cette composition reste relativement modeste. Le gouvernement profite de cela pour faire pression sur les prix qui rentrent dans cet indice et ainsi de manipuler le chiffre de l’inflation. Il faut noter qu’à l’époque l’interventionnisme de l’Etat dans l’économie était bien plus fort qu’aujourd’hui, le gouvernement contrôlait donc certains prix, ce qui renforçait sa capacité à influencer le chiffre de l’inflation.
L’intérêt du gouvernement à minorer l’inflation était d’autant plus important à l’époque que l’échelle mobile des salaires, évoquée dans la fiche précédente, avait vu le jour en 1952.
L’ensemble des salaires dépendait donc de ce chiffre qui faisait logiquement l’objet de toutes les attentions.
Cette influence du pouvoir politique sur le chiffre de l’inflation a ensuite conduit l’Insee, qui est un institut indépendant du gouvernement, a davantage de confidentialité sur la composition de l’indice afin de limiter les possibilités de manipulation gouvernementale.
L’IPC aujourd’hui
Désormais, l’IPC ne se concentre plus du tout sur la région parisienne ou sur un panier de produits restreint. Les prix sont relevés sur la totalité du territoire et 97% de la consommation rentre dans l’IPC.
On voit donc que le but même de cet Indice a évolué depuis un siècle. L’objectif initial était surtout de calculer l’augmentation du prix des biens de première nécessité pour garantir le maintien d’un niveau de vie minimal pour les travailleurs pauvres. Désormais, il s’agit plutôt d’un indice macroéconomique qui cherche à calculer l’évolution de l’ensemble des prix de l’économie.
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L’indice CGT de 1972 à 1998
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En 1972, insatisfaite par l’indice produit par l’Insee, la CGT décide de produire son propre indice des prix qui se rapproche d’un indice du coût de la vie.
Parmi les éléments qui distinguent l’indice CGT de l’indice Insee, on peut notamment relever des pondérations différentes c’est-à-dire le poids de chaque poste de consommation dans l’indice. En effet, tandis que le logement ne compte que pour 4,7% dans l’indice Insee, son poids dans l’indice CGT est 16,8% en 1972. Il s’agit évidemment de la différence la plus notable mais qui en a forcément engendré d’autres puisque dans tous les cas le total des pondérations est de 100%.
Enfin, l’indice CGT se concentre sur le panier de consommation d’une famille de quatre personnes (couple avec deux enfants) dont le père est ouvrier qualifié, et locataire en région parisienne. Ce choix de se focaliser sur la région parisienne s’explique par une question de moyens mais également car les études de l’époque avaient démontré une faible différence dans l’évolution des prix entre la région parisienne et le reste du pays.
Enfin, pour évaluer l’évolution des prix, l’Insee s’intéresse aux prix mais également à la qualité des produits. Si l’Institut considère que la qualité des produits augmente, alors l’augmentation de prix est minorée puisqu’elle serait justifiée par cette augmentation de qualité. Par exemple, le prix des téléphones ne cesse d’augmenter, certains smartphones valent aujourd’hui plus d’un Smic. Il est vrai que dans le même temps leur qualité augmente (mémoire, appareil photo, etc.) et de nouvelles fonctionnalités apparaissent. Ainsi, selon l’Insee, le prix des téléphones portables a baissé de plus de 40% depuis 2015. L’idée est en quelque sorte de dire qu’acheter un téléphone avec les mêmes caractéristiques qu’en 2015 coûterait aujourd’hui 40% de moins, alors que la plupart de ces téléphones ne sont plus en vente.
La CGT considérait et considère toujours qu’une partie de ces augmentations de qualité sont contraintes[1], l’indice CGT ne tenait pas compte de l’effet qualité.
Ces différences méthodologiques ont amené l’indice CGT à un niveau bien supérieur à l’indice Insee, de 2 à 4 points par an.
Au niveau revendicatif, l’indice est utilisé pour les négociations salariales là où la CGT est puissante. C’est souvent un entre-deux entre l’indice CGT et l’indice Insee qui est retenu.
La CGT met fin au calcul de cet indice en 1998 pour diverses raisons. Tout d’abord, l’Insee a pris en compte certaines critiques émises par la CGT et a modifié la méthode d’élaboration de son indice. De plus, la méthodologie de l’indice CGT, basée sur un panier fixe avait amené l’indice à être parfois en dessous de l’indice Insee ou tout juste au-dessus, ce qui lui faisait perdre en intérêt revendicatif. Ce rapprochement avec l’indice Insee s’explique également par le fait que l’inflation avait fortement baissé par rapport aux années 1970-80.
Cette baisse de l’inflation en avait d’ailleurs fait un sujet secondaire, relégué au second plan par le chômage de masse notamment. L’indice n’était donc plus très utilisé par les syndicats.
[1] On parle de qualité contrainte dans la mesure où certains gains en qualité ne sont pas demandés par le consommateur et surtout car les produits précédents (jugés de moindre qualité) ne sont plus mis en vente, les consommateurs n’ont donc pas le choix d’acheter les nouveaux produits même si les anciens leur convenaient très bien -
Il n’y a donc plus de problème ?
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Certes l’Insee a pris en compte certaines critiques émises par la CGT. De plus, cette controverse a durablement marqué le débat public. Mais le débat autour de la méthodologie de l’indice reste ouvert et fait l’objet de beaucoup de discussions
aujourd’hui. Il est clair que l’indice INSEE est toujours imparfait. Nous l’avons déjà signalé, mais il est bon de le répéter : l’IPC n’est pas un indice du coût de la vie. Plusieurs correctifs peuvent donc encore lui être apportés aujourd’hui pour tenter de s’en approcher. Ce sera l’objet de la prochaine fiche.
NB : Il s’agit ici d’une note très succincte revenant uniquement sur certains faits marquants de l’histoire de l’IPC. Pour une étude plus poussée de cette histoire, voir ou écouter notamment :
- Jany-Catrice, Florence. L’indice des prix à la consommation. La Découverte, 2019
- Béatrice Touchelay, « Un siècle d’indice des prix de détail français (1913‑ 2013) ou la métamorphose d’un pionnier de la politique du chiffre », Politiques et management public [En ligne], Vol 31/4 | 2014, mis en ligne le 18 janvier 2018, consulté le 26 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/pmp/7291
- « Inflation, un indice très politique », Entendez-vous l’éco, France Culture, 02/03/2020