Marronnier du gouvernement, l’évolution du contrôle des arrêts de travail revient de façon régulière dans les interventions publiques des membres du gouvernement. Très souvent, il ne s’agit pas de répondre à la dégradation des conditions de travail ou de la prise en charge des problèmes de santé de la population mais bien plutôt de stigmatiser des salarié⋅e s dont l’état de santé général se dégradera nécessairement du fait du recul de l’âge de départ en retraite.
Lors des Assises des Finances Publiques le 19 juin 2023, le Ministre de l’Économie a annoncé son intention de « revenir à la normale en matière de dépenses publiques ». Parmi toutes les mesures d’austérité, Bruno Lemaire a ciblé les dépenses de santé, retraite et assurance chômage. Il a aussi annoncé vouloir lutter contre ce qu’il considère comme une « dérive », la hausse de 30% des arrêts maladies en dix ans, passant de 6,4 millions à 8,8 millions, associée mécaniquement à une hausse des dépenses d’Indemnités Journalières (IJ) pour ces arrêts (hors COVID).
Rappelons également que les résultats techniques de la Sécurité sociale sont, à ce jour, intégrés dans le calcul des 3% de déficit maximum des dépenses publiques tels que définis dans le Traité de Maastricht. D’où la volonté du gouvernement de réduire les prestations de retraite et de santé.
Bruno Le Maire a par exemple annoncé en juillet 2023 qu’il fallait « mettre fin à l’absentéisme maladie » par l’augmentation du contrôle sur les travailleur⋅ses. Il a été évoqué aussi une réflexion autour du transfert des arrêts courts à la charge des employeurs (moins de 8 jours) ou encore la création d’un jour de carence que les assurances complémentaires ne pourraient pas prendre en charge.
Si ces propositions ne sont que des spéculations pour l’instant, la LFSS 2024 s’inscrit dans cette logique puisqu’elle instaure l’impossibilité pour les médecins de prescrire des arrêts maladie de plus de 3 jours en téléconsultation, sauf en cas d’impossibilité de déplacement du patient ou si le médecin est le médecin traitant du patient.
Ce mémo Sécu fait l’état des lieux de la situation des arrêts de travail et propose une vision différente des causes et des conséquences de tels arrêts sur les travailleurs et les travailleuses.
Les points importants à retenir |
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- Des arrêts de travail pour cause de maladie qui augmentent
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Chaque année, quelques mois avant les discussions à l’Assemblée Nationale autour du Projet de Loi de Financement de la Sécurité sociale (PLFSS), la Caisse Nationale d’Assurance maladie (CNAM) publie le rapport « Charges et produits » sur l’état des dépenses et les recettes de la Sécurité sociale. En 2023, le rapport paru au mois de juillet indiquait une hausse importante des arrêts maladie qui n’a pourtant rien d’exceptionnel puisqu’elle s’inscrit dans des « tendances de fonds observées sur la dernière décennie ».
Pour les services de la branche maladie, les indemnités journalières versées, comprenant les indemnités pour AT-MP, pour la maladie et la maternité ont augmenté entre 2019 et 2022 de 5,5% (Hors COVID) contre 2.3% entre 2010 et 2019. Parallèlement, le nombre de journées indemnisées a augmenté de 4% (hors COVID) entre 2019 et 2022 contre 1,6% entre 2010 et 2019.
En 2022, les indemnités journalières ont augmenté de 8,2% hors COVID. Il s’agit en effet d’une augmentation importante mais qui n’est en rien liée au développement de logiques de fraudes. Ces augmentations sont liées en premier lieu à l’augmentation de la population en situation de pouvoir recevoir des IJ :
- Une baisse du chômage opérée grâce au développement d’emplois de mauvaise qualité entraine nécessairement une augmentation de la population en situation d’avoir recours aux arrêts d’autant plus si les conditions de travail sont mauvaises ;
- De multiples revalorisations du SMIC sur la période, ce qui fait augmenter mécaniquement les dépenses d’IJ.
- Des évolutions démographiques : la population active vieillit (13%) et augmente (23%) ; ;
- L’augmentation mécanique du montant des IJ du fait de revalorisations du SMIC contribue à hauteur de 18% ;
- La durée moyenne d’arrêt maladie augmente ce qui contribue à hauteur de 23% ;
- Le recours au indemnités journalières augmente ce qui expliquerait 14% de l’augmentation générale.
Si une part des augmentations n’est pas explicable par ces phénomènes, il faut surtout rappeler, et le gouvernement se garde bien de le faire, que la souffrance au travail du fait de l’intensification de celui-ci explose en France. Si les travailleurs.ses s’arrêtent, ce n’est surement pas du fait d’une supposée « fainéantise » mais peut-être parce que les conditions de travail se dégradent depuis plusieurs années.
Enfin, le gouvernement se focalise uniquement sur l’augmentation des dépenses et oublie volontairement de rappeler que l’augmentation de la population active génère aussi des recettes nouvelles pour l’Assurance maladie, qui contrebalancent le montant des prestations d’IJ.
- Présentéisme et développement des arrêts longues durées : deux faces d’une même pièce
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Si la croissance des IJ est réelle, elle n’est donc pas exceptionnelle et s’inscrit dans une dynamique de moyen terme. Néanmoins, plusieurs phénomènes préoccupants se cachent derrière ces augmentations.
C’est notamment de la croissance des arrêts de longue durée, c’est-à-dire de plus de 3 mois dont il faut s’inquiéter. En effet, en 2022, ce sont ces arrêts qui ont le plus augmenté. Ils représentent 45% des montants indemnisés soit 7,5 milliards d’euros. Rappelons que pour les arrêts de moins de 3 jours, dans la plupart des cas, les salarié⋅es du privé ne sont pas indemnisé⋅es.
Parallèlement, ce sont 1/4 des salarié⋅es qui ne suivent pas les prescriptions d’arrêts de travail de leurs médecins en 2022. Pour la moitié d’entre elles et eux, elles et ils ne prennent aucun arrêt et pour l’autre, seule une partie de la durée prescrite est prise. Parmi eux, les travailleurs et travailleuses précaires en CDD ou en mission intérim dont la situation de subordination est accentuée par leurs situations de précarité.
Le non-recours partiel ou total aux droits est par ailleurs un mal qu’il faut combattre et qui constitue aujourd’hui une réalité pour beaucoup. Par exemple, 1 personne sur 2 qui a le droit au RSA ne le demande pas. Comme nous l’indiquions dans le Mémo Sécu n°2, 1/3 des personnes qui devraient effectuer des démarches administratives renonces pour des raisons de complexité ce qui remet en cause les droits auxquels elles ont accès.
Contrairement à l’idée reçue qui voudrait que les Français⋅es soient des travailleur⋅euses souvent en arrêt, les données disponibles révèlent qu’ils et elles pratiquent plutôt le présentéisme au détriment de leur santé. La Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques (DARES) indiquait qu’un jour de maladie sur quatre se traduirait par du présentéisme. Dans certains cas, les salarié⋅es ont d’ailleurs recours au télétravail pour continuer à travailler malgré leur état de santé.
A celles et ceux qui imaginent que la fraude serait importante, il faut rappeler les chiffres de branches : les « faux arrêts de travail » pour reprendre les termes des études de l’Assurance maladie, représentent seulement 5M€ en 2022 soit 1,4% de la fraude à l’Assurance Maladie ou 0,2% de l’ensemble des dépenses.
Finalement, l’augmentation des IJ est une fable qui tente de couvrir une organisation du travail provoquant toujours plus de mal être au travail et une perte de sens et ceci, avec pour seule finalité la maximisation des profits. Personne n’est dupe.
Le recul des arrêts maladie ne se fera que par une amélioration des conditions de travail, une réelle politique de prévention contre les atteintes tant physiques que psychiques. Ce sont des éléments essentiels t d'un véritable droit à la santé pour les travailleurs⋅euses, et d’un ambitieux système de santé au travail porté par une Sécurité sociale intégrale notamment.