Mémo éco - Indice des prix et revalorisation du Smic : un choix politique !

Publié le 26 sep. 2024
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L’Insee a publié vendredi 13 septembre les résultats définitifs concernant la hausse des prix à la consommation en août 2024.

Selon l’Institut, le salaire minimum risque de ne pas être revalorisé avant la fin de l’année. En effet, le Smic est réévalué en cours d’année lorsque l’indice de référence est supérieur d’au moins 2% à celui pris en compte lors de la dernière revalorisation. Cet indice de référence, très contestable, est celui des prix à la consommation (IPC) hors tabac pour les 20% des ménages les plus modestes. On compare cet indice de référence à celui qui était en vigueur lors du dernier calcul du Smic, en l’occurrence ici novembre 2023.

Or l’IPC hors tabac a augmenté de 1,9% en août 2024 par rapport à novembre 2023, soit 0,1 point de pourcentage de moins que ce qui serait nécessaire pour revaloriser le salaire minimum dès octobre. Pire, alors qu’il anticipait une revalorisation du Smic en octobre ou en novembre 2024, qui l’aurait porté au-dessus des 1800 euros brut, l’Insee prévoit désormais que le salaire minimum n’augmentera probablement pas avant le 1er janvier 2025.

Ce mémo a l’ambition de montrer que cette non-revalorisation du Smic est la conséquence d’un choix purement politique : la décision d’utiliser l’IPC hors tabac comme indice de référence[1]. D’autres choix étaient et sont donc possibles (et souhaitables) !

 

[1] Selon la loi n°91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, il est écrit qu’« à compter du 1er janvier 1992, toute référence à un indice des prix à la consommation pour la détermination d’une prestation, d’une rémunération, d’une dotation ou de tout autre avantage s’entend d’un indice ne prenant pas en compte le prix du tabac ».

 

Comment est revalorisé le salaire minimum en France ?

 

Le salaire minimum est revalorisé chaque année au 1er janvier. Cette revalorisation est calculée en prenant en compte deux facteurs. D’abord, l’indexation se fait sur l’inflation hors tabac calculée par l’Insee et qui est mesurée pour les 20% des ménages qui ont les revenus les plus modestes. Ensuite, pour éviter un décrochage du Smic par rapport à la dynamique des salaires, il est également indexé sur la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire de base des ouvriers et des employés (SHBOE), avec la possibilité pour le gouvernement de décider d’une revalorisation supplémentaire appelée « coup de pouce ». Pour résumer, le Smic est revalorisé de la façon suivante :

 

Revalorisation = inflation + moitié du gain de pouvoir d’achat du SHBOE + coup de pouce

 

Il faut noter que des revalorisations du Smic peuvent aussi avoir lieu en cours d’année : lorsque l’indice des prix à la consommation (IPC) hors tabac augmente d’au moins 2% par rapport à la dernière revalorisation du Smic, ce dernier est augmenté automatiquement dans les mêmes proportions.

Prioriser l’IPCH plutôt que l’IPC

 

Il faut bien insister sur ce point : c’est l’indice des prix à la consommation (IPC) hors tabac des 20% des ménages les plus modestes qui est retenu pour l’indexation du salaire minimum. Celui-ci est un peu plus représentatif des dépenses des ménages modestes (le premier quintile), mais il n’évolue pas toujours plus vite que l’indice des prix à la consommation de l’ensemble des ménages : cela dépend de l’évolution des prix de l’énergie et de l’alimentation. De plus, le fait de retirer le tabac de l’IPC tire celui-ci vers le bas.

 

Notre proposition est donc la suivante : utiliser comme référence pour l’indexation du Smic l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) plutôt que l’IPC hors tabac[1]. En effet, l’IPCH est plus proche de la réalité des dépenses des ménages. Il diffère principalement des indices de prix de l’Insee pour les dépenses de santé et l’énergie. De ce fait, l’IPCH calculé selon les définitions d’Eurostat[2] nous semble constituer un meilleur indicateur que l’IPC ou l’IPC hors tabac privilégié par l’Insee.

 

L’IPCH ne prend en compte que les seules dépenses qui restent à la charge des ménages après remboursement éventuel par les pouvoirs publics ou la sécurité sociale, soit le prix net, alors que l’IPC prend en compte la totalité du prix du bien ou du service concerné, soit le prix brut. Les différences entre ces deux indicateurs sont importantes dans le domaine de la santé.

 

Par exemple, lorsque le remboursement de certaines dépenses de santé diminue, comme avec le doublement de la franchise sur les médicaments et les consultations médicales annoncé par Emmanuel Macron lors de la conférence de presse du 16 janvier 2024, cela n’augmente pas le prix brut et n’a donc pas d’effet sur l’IPC. En revanche, cela augmente le prix net payé par les ménages et est donc pris en compte dans le calcul de l’IPCH.

 

Selon Pierre Concialdi, dans un document de travail de 2023 pour l’Ires, « le choix de l’un ou l’autre de ces indices a une incidence non négligeable sur la mesure des salaires réels et l’évolution du pouvoir d’achat. Depuis 20 ans, on observe en effet un décalage persistant et régulièrement croissant entre l’IPC et l’IPCH, l’indice européen ayant augmenté plus vite que l’indice national. Avec l’accélération de l’inflation, l’ampleur de ce décalage a fortement augmenté depuis la fin de l’année 2020. Entre décembre 2020 et août 2023, la hausse de l’IPCH a été de 15,4% contre 13,3% pour l’IPC ».

 

En comparant le niveau du Smic et des prix d’aujourd’hui à ce qu’ils étaient il y a quatre ans, on peut faire apparaitre les gains ou les pertes cumulées de pouvoir d’achat au niveau du salaire minimum. Le Graphique 1 ci-dessous montre que depuis janvier 2020, des pertes de pouvoir d’achat apparaissent lorsque le Smic est déflaté par l’IPCH plutôt que par l’IPC hors tabac[3].

 

Alors que le pouvoir d’achat s’est maintenu depuis début 2020 lorsque l’on compare l’évolution du Smic à celle de l’IPC hors tabac[4], il apparait que les travailleuses et les travailleurs au Smic ont perdu plus de 3 points de pouvoir d’achat quand le salaire minimum est comparé à l’IPCH.

 

Concrètement, pour un∙e travailleur∙se rémunéré∙e au salaire minimum, la perte de 3 points de pouvoir d’achat depuis début 2020 se traduit par une perte, en 2024, de 49 euros de pouvoir d’achat par mois, soit 588 euros par an !

 

Évolution du salaire minimum déflaté par l'indice des prix à la consommation hors tabac et par l'indice des prix à la consommation harmonisé entre janvier 2020 et août 2024 (base 100 en janvier 2020). 

[1] Précisons ici que l’IPCH tient quant à lui bien compte de l’évolution du prix du tabac.

[2] Eurostat est un service statistique de la Commission Européenne. Pour simplifier, on peut dire qu’Eurostat est l’équivalent de l’Insee au niveau européen.

[3] Déflater signifie ici que l’on corrige l’évolution du Smic des effets de l’inflation pour observer comment celui-ci évolue en termes réels. Par exemple, même si le salaire monétaire sur la fiche de paie, à savoir le Smic, a continué à augmenter depuis janvier 2020, la hausse des prix a été plus importante, ayant pour effet de diminuer le salaire minimum en termes réels, c’est-à-dire de réduire le pouvoir d’achat des travailleur∙ses au Smic.

[4] En effet, le Smic est indexé sur l’IPC hors tabac.

 

Une revalorisation du Smic qui aurait déjà eu lieu avec l’IPCH comme référence !

 

Le choix de l’indice des prix à la consommation qui est utilisé pour revaloriser le salaire minimum n’est donc pas neutre. Il s’agit d’un choix politique dont les conséquences concrètes sur la situation économique et sociale des ménages les plus modestes peuvent être importantes.

 

En utilisant l’IPC hors tabac publié par l’Insee, la hausse des prix est de 1,89% en août 2024 relativement à l’indice de prix utilisé lors de la dernière revalorisation, soit novembre 2023 (publié par l’Insee le 15 décembre 2023). Il n’y aura donc pas de hausse du Smic en octobre 2024.

 

Cependant, si on utilise l’IPCH, qui est de nouveau plus proche de la réalité des dépenses des ménages, la hausse des prix est cette fois de 2,8% en août 2024 par rapport à novembre 2023. En utilisant cet indice de prix, le Smic serait donc revalorisé à hauteur de 2,8% dès le mois d’octobre !

 

On peut d’ailleurs noter que la revalorisation aurait même dû avoir lieu dès le mois d’août 2024, puisqu’en juillet 2024, l’Insee a montré que l’IPCH avait augmenté de 2% en juin 2024 par rapport à novembre 2023[1]. C’est ce que montre le Graphique 2 ci-dessous.

 
Taux de croissance de l'indice des prix à la consommation hors tabac et de l'indice des prix à la consommation harmonisé relativement aux indices respectifs de novembre 2023.

 

On peut aussi se demander comment aurait évolué le salaire minimum et à quel niveau il se situerait aujourd’hui s’il avait été indexé sur l’IPCH plutôt que sur l’IPC hors tabac. Les résultats sont présentés à l’aide du Graphique 3.

 

On constate que les salarié∙e∙s au Smic perdent sur trois niveaux lorsque celui-ci est indexé sur l’IPC hors tabac plutôt que sur l’IPCH : le taux de croissance de l’IPCH est plus élevé que celui de l’IPC hors tabac ; le montant du Smic sur lequel s’applique la revalorisation tend à être plus faible lorsqu’il est indexé sur l’IPC hors tabac ; les revalorisations ont souvent lieu plus tôt dans l’année lorsque le Smic est indexé sur l’IPCH.

 

Même si l’écart semble faible annuellement entre ces deux indices des prix à la consommation, cela représente des sommes considérables au fil du temps, faisant du choix de l’indice de référence pour l’indexation du Smic un réel enjeu de lutte pour les travailleuses et les travailleurs.

 

En effet, si le Smic avait été indexé sur l’IPCH plutôt que sur l’IPC hors tabac dès juillet 2005, le Smic serait à 1903,73 euros brut en septembre 2024 contre 1766,92 euros actuellement[2]. En cumulé depuis juillet 2005, cela représente une perte financière de l’ordre de 9300 euros pour les salarié∙e∙s rémunéré∙e∙s au niveau du salaire minimum, soit 465 euros en moyenne par an.

 

 

[1] L’Insee publie chaque mois les résultats définitifs à propos de la hausse des prix à la consommation du mois précédent. De nouveau, si l’indice de référence est supérieur d’au moins 2% à celui pris en compte lors de la dernière revalorisation, alors le salaire minimum est revalorisé le mois suivant. Par exemple, l’Insee publie en juillet 2024 les résultats définitifs pour juin 2024. Si l’inflation est supérieure à 2%, le Smic est donc revalorisé en août 2024.

[2] Afin de faciliter notre travail, nous avons débuté le calcul en juillet 2005 car il s’agit de la date à laquelle le Smic a été unifié. Avant, différents Smic coexistaient selon que les entreprises étaient passées ou non aux 35 heures. Il faut aussi noter qu’entre 2005 et 2013, le Smic était indexé sur l’inflation des ménages urbains dont le chef est ouvrier ou employé, plutôt que sur l’inflation des ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie, et sur le salaire horaire de base des ouvriers, plutôt que sur le salaire horaire de base des ouvriers et des employés. Des coups de pouce ont aussi été octroyés en 2006 et en 2012, respectivement par les gouvernements Villepin et Ayrault. Enfin, c’est seulement à partir de 2010 que les revalorisations du Smic ont lieu au 1er janvier. Avant, elles se faisaient le 1er juillet. Nous avons tenu compte de l’ensemble de ces éléments dans nos calculs, de sorte qu’ils ne reflètent que les écarts provenant de l’indice de prix utilisé.

 

 
 
Évolution du salaire minimum en fonction de l'indice des prix à la consommation retenu pour l'indexation depuis juillet 2005.
À retenir :

 

  • L’IPCH produit par Eurostat est un indice de prix plus proche de la réalité des dépenses des ménages que l’IPC et l’IPC hors tabac calculé par l’Insee, puisqu’il ne prend en compte que les seules dépenses qui restent à la charge des ménages. Nous proposons donc d’en faire l’indice de référence pour la revalorisation du Smic. Alors que le salaire minimum ne sera pas revalorisé avant le 1er janvier 2025, celui-ci aurait déjà été revalorisé à hauteur de 2% au mois d’août 2024 s’il avait été indexé sur l’IPCH plutôt que sur l’IPC hors tabac.
  • L'Insee et le gouvernement s'abritent derrière la loi de 1991 pour privilégier et utiliser l'indice hors tabac. Mais il serait tout à fait possible - c'est une décision politique - de donner un « coup de pouce » dès octobre ou novembre en constatant que l'IPCH, indice tout à fait officiel, est plus favorable pour le Smic. Il y a beaucoup de salarié∙e∙s pour qui cela représenterait une bouffée d’oxygène urgente et nécessaire.
  • Dans l’hypothèse où le salaire minimum aurait été indexé sur l’IPCH plutôt que sur l’IPC hors tabac dès juillet 2005, le Smic serait à 1903,73 euros brut en septembre 2024 contre 1766,92 euros actuellement.
  • Depuis juillet 2005, cela représente en cumulé une perte financière de l’ordre de 9300 euros pour les salarié∙e∙s rémunéré∙e∙s au niveau du salaire minimum, soit 465 euros en moyenne par an.
  • Cette référence qu’est l’IPC a aussi une incidence négative sur tous les salaires car c’est celle-ci qu’utilisent les employeur∙ses lors des Négociations Annuelles Obligatoires (NAO), tirant ainsi chaque année les salaires et le pouvoir d’achat vers le bas[1]. Il en va de même pour les pensions de retraites qui ont-elles aussi comme référence l’IPC hors tabac.

 

 

[1] Sur ce sujet, il est possible de relire le mémo éco n°138 « Augmentations de salaires : en 2023, le compte n’y est (toujours) pas ! ».

 

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