Mémo éco n°148 - La sécurité sociale en grand danger : vers un retour de la TVA sociale ?

Publié le 28 mai. 2025
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Qu’est-ce que la TVA sociale ?

 

La question de la TVA sociale revient dans le débat public et prend de l’ampleur depuis plusieurs mois. C’est l’ancien ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire qui, dans son dernier livre, a remis sur la table l’idée de faire financer une baisse des cotisations sociales par une hausse de la TVA : il suggérait alors de réduire de près de 60 milliards d’euros les cotisations sociales !

 

Cette idée de TVA sociale a été reprise et défendue récemment par le patronat dans le cadre des débats budgétaires. Le 15 avril dernier, le président du Medef Patrick Martin préconisait de mettre en place une TVA sociale pour réduire les prélèvements obligatoires sur les entreprises, qu’il considère être en partie à l’origine des difficultés économiques et budgétaires de la France. Selon lui, « à ce jour, on ne sait plus payer nos régimes sociaux par les seules entreprises et les seuls salariés, ça limite les marges de progression des salaires, les possibilités d’emploi et ça pèse sur la compétitivité. Si on veut redonner du souffle, de la dynamique à notre économie, il faut s’intéresser à ce sujet de la TVA sociale » afin de « transférer une partie du financement de la protection sociale vers la fiscalité ».

 

La TVA sociale est aussi défendue par les économistes libéraux. C’est le cas par exemple de Gilbert Cette, président du Conseil d’orientation des retraites, ancien président du groupe d’expert·es du Smic et proche d’Emmanuel Macron, qui considère dans une tribune récente que « l’opportunité d’une TVA sociale paraît forte en France dans la situation économique actuelle ».

 

C’est enfin le président de la République lui-même qui a relancé depuis peu le débat en faisant référence de façon implicite à la TVA sociale. Lors de son échange avec Sophie Binet le 13 mai dernier, il a déclaré : « Vous avez raison de dire qu’il faut chercher de l’argent en dehors du seul travail. Il y a la consommation, il y a d’autres choses ». Il a récemment été suivi sur le sujet par François Bayrou qui se dit favorable à la TVA sociale et qui suggère aux syndicats et au patronat de s’emparer de cette question.

 

Mais de quoi parle-t-on lorsque l’on évoque la TVA sociale ? L’objectif des défenseur·ses de cette réforme est de modifier le fonctionnement du financement de la protection sociale en supprimant des cotisations sociales dites patronales, qui sont assises sur les salaires, pour les remplacer par des points de TVA supplémentaires, qui eux sont assis sur les dépenses de consommation des ménages. En d’autres termes, le principe de la TVA sociale est de faire supporter sur l’ensemble des revenus le financement de la protection sociale en diminuant le salaire indirect, c’est-à-dire le salaire socialisé.

 

Les recettes supplémentaires de TVA seraient ensuite affectées au financement de la protection sociale en lieu et place des cotisations sociales qui auraient été supprimées. Cela représenterait une nouvelle aide publique aux entreprises sans conditions ni contreparties, alors que les dispositifs d’exonérations de cotisations sociales dites patronales ont déjà fait la preuve de leur inefficacité tant en termes d’emploi que de compétitivité ou d’attractivité de l’économie française.

 

Les branches de la Sécurité sociale qui sont ciblées par la TVA sociale sont souvent les branches famille et maladie. Étant donné que les prestations distribuées par celles-ci sont la plupart du temps universelles et bénéficient à toutes et tous, l’idée est de ne plus les financer par les cotisations sociales qui reposent seulement sur les revenus d’activité, mais par la TVA qui reposent sur l’ensemble des revenus à travers la consommation. Pour le patronat et les économistes libéraux, cela permettrait de clarifier le financement de la protection sociale : d’un côté, les prestations sociales dites contributives qui seraient financées par la cotisation ; de l’autre, les prestations sociales dites non-contributives qui seraient financées par l’impôt. Nous développons une critique de cette distinction dans le Mémo Sécu n°30 intitulé « Contributivité ou comment détruire la Sécurité sociale ».

 

Mais la TVA sociale repose principalement sur l’idée que le modèle français de protection sociale serait à l’origine des problèmes de compétitivité de l’économie française. Des cotisations sociales trop élevées auraient en effet pour conséquence d’alourdir le mal nommé « coût du travail » des entreprises, ce qui les rendraient moins compétitives par rapport à leurs concurrentes étrangères. Cela expliquerait alors en partie les difficultés à l’exportation, les délocalisations, la désindustrialisation ou les pertes d’emplois industriels.

Une réforme profondément antisociale et anti redistributive

 

Alors comment la TVA sociale pourrait améliorer la compétitivité de l’économie française ? La baisse des cotisations sociales dites patronales entraine mécaniquement une baisse des coûts de production des entreprises puisqu’elles ne doivent désormais plus s’acquitter de ces sommes. Selon les partisans de cette réforme, celles-ci vont en profiter pour abaisser leurs prix de vente. Sur le territoire national, cela n’entraînera aucune conséquence étant donné que la baisse des cotisations sociales sera compensée par une hausse équivalente de la TVA. En effet, le prix hors taxe (HT) diminue à la suite de la baisse des cotisations sociales, mais le prix toutes taxes comprises (TTC) reste quant à lui le même avec la hausse de la TVA.

 

En revanche, dans ce cadre, la TVA sociale entrainerait bien un gain de compétitivité pour les entreprises françaises vis-à-vis des partenaires commerciaux de la France. Les biens importés de l’étranger sont en effet eux aussi soumis à la TVA. Les prix à l’importation vont donc augmenter en lien avec la hausse de la TVA, alors que les producteurs étrangers ne profitent pas de la baisse des cotisations sociales. Les prix TTC resteraient les mêmes pour les producteurs nationaux sur le territoire français mais ils augmenteraient pour les producteurs étrangers avec la hausse de la TVA, ce qui devrait entrainer un gain de compétitivité pour les entreprises françaises.

 

Par ailleurs, les biens français exportés à l’étranger ne sont pas soumis à la TVA. De ce fait, les exportateurs français ne devraient pas être touchés par la hausse de la TVA mais bénéficieraient bien de la baisse des cotisations sociales. S’ils en profitent pour réduire leurs prix de vente, cela leur permettrait également d’être plus compétitif et de gagner des parts de marché à l’exportation.

 

C’est pour cette raison que ce mécanisme de TVA sociale est souvent qualifié de « dévaluation fiscale », car ses effets sont en théorie censés s’apparenter à ceux d’une dévaluation de la monnaie nationale. Cette politique économique doit à la fois permettre de désinciter les ménages français à importer et les inciter à privilégier la production nationale. Elle doit aussi permettre aux exportateurs français d’être plus compétitifs par une baisse de leur prix de vente. Cela doit alors se traduire par plus de production et d’emploi sur le territoire national.

 

Toutefois, les effets de la TVA sociale peuvent s’avérer très différents en pratique ! D’abord, rien ne garantit que les entreprises vont profiter de la baisse des cotisations sociales pour réduire leurs prix de vente. Au contraire, les études économiques sur le sujet ont plutôt tendance à montrer qu’elles profitent des baisses d’impôts ou de cotisations sociales pour accroître (en partie) les marges et les profits. C’est par exemple ce qu’il s’est passé avec le CICE. Dans ce cas, la politique de TVA sociale ne permettrait aucun gain de compétitivité, les prix restant les mêmes, mais elle aurait pour effet de profiter aux revenus du capital, et cela dans un contexte où ceux-ci ont déjà énormément augmenté ces dernières années[1].

 

Pour que la TVA sociale puisse hypothétiquement apporter des gains de compétitivité à l’économie française, elle doit nécessairement se traduire par des pertes de pouvoir d’achat permanentes pour les travailleur·ses.

 

Comme nous venons de le voir, la TVA sociale entraine une hausse des prix à l’importation et, in fine, une hausse des prix à la consommation. D’abord, parce qu’une partie des biens importés est directement consommée par les ménages. Ensuite, parce qu’une autre partie des biens importés est utilisée par les entreprises dans leur processus de production. Celles-ci risquent alors d’augmenter leurs prix de vente pour faire face à la hausse du prix de leurs consommations intermédiaires. Au bout du compte, l’inflation importée va se diffuser dans l’économie.

 

Si les salaires sont indexés sur les prix (ce qui n’est pas le cas actuellement), ceux-ci vont augmenter au même rythme que l’inflation, et cela jusqu’à tant que les prix domestiques augmentent au même niveau que les prix à l’importation. En effet, si le prix des biens importés augmente, les salaires vont augmenter dans les mêmes proportions en cas d’indexation. Les entreprises françaises vont répercuter ces hausses de salaires dans leurs prix, de sorte que le prix des biens domestiques augmente finalement de la même façon que les biens importés. Le pouvoir d’achat des travailleur·ses est préservé, mais les gains de compétitivité de la TVA sociale n’auront été que transitoires puisque les prix français finiront par augmenter comme les prix étrangers.

 

Mais encore une fois les salaires ne sont plus indexés sur les prix aujourd’hui, de sorte qu’une hausse de l’inflation à la suite de la TVA sociale ne se traduirait pas par une hausse équivalente des salaires. Pour atteindre son objectif, à savoir améliorer la compétitivité des entreprises françaises, le patronat souhaite donc que les salaires (et les prestations sociales) n’augmentent pas (ou très faiblement) malgré l’effet inflationniste de la TVA sociale, pour que les prix domestiques restent plus faibles que les prix étrangers. La TVA sociale est donc une politique profondément antisociale puisqu’elle a pour ambition de réduire le pouvoir d’achat des ménages.

 

Cela entraînerait des conséquences désastreuses sur les niveaux de vie et sur l’économie française puisqu’une part importante du PIB dépend de la consommation des ménages. C’est ce qu’a bien mis en évidence l’épisode récent de la crise inflationniste. En l’absence d’échelle mobile des salaires, les prix ont évolué plus vite que les salaires, ce qui a fait chuter le pouvoir d’achat et la consommation des ménages, et a contribué à renforcer la crise.

 

Cette politique est d’autant plus risquée qu’on ne peut supprimer les cotisations sociales qu’une fois. Si les autres pays répliquent en baissant leurs salaires, leurs cotisations sociales ou en dévaluant leur monnaie, les gains de compétitivité n’auront été que temporaires. En revanche, les effets délétères sur les niveaux de vie et la consommation seraient eux bien permanents. La TVA sociale s’avère donc inefficace économiquement et injuste socialement, et cela d’autant plus que les travailleur·ses ont déjà connu des pertes de pouvoir d’achat (très) importantes depuis le début de la crise inflationniste de 2021[2].

 

À titre d’illustration, l’institut La Boétie a calculé que la proposition de Bruno Le Maire de supprimer près de 60 milliards d’euros de cotisations sociales aurait pour effet une hausse de 8,6 points de la TVA, soit un taux de TVA qui passerait de 20 à 29% ! Une telle hausse aurait nécessairement des effets récessifs importants sur l’activité économique française et sur l’emploi.

 

En plus, si la hausse de la TVA peut entrainer une baisse du déficit commercial, celui-ci sera le résultat d’une baisse des importations et donc de la consommation. Rien ne dit en effet que l’objectif de substitution entre consommation importé et consommation nationale se réalise. Aujourd’hui, bon nombre de biens de consommation ne sont plus produits sur le territoire national et cette seule TVA ne pourra suffire à relancer une production nationale de substitution à court ou moyen terme avant que les effets précédemment listés ne rentrent en jeu. Au bout du compte, un tel dispositif fiscal pourrait entrainer une dépression économique et une baisse importante du pouvoir d’achat des ménages.

 

Enfin, la TVA sociale est également une politique anti redistributive compte tenu de la nature même de cet impôt. D’abord, ce sont les ménages les plus modestes qui consacrent une part plus importante de leur revenu à la consommation. Ils seront donc davantage impactés par les pertes de niveau de vie provoquées par la TVA sociale. Ensuite, il faut rappeler que la TVA est l’impôt le plus injuste puisqu’elle est proportionnelle à la consommation des ménages. La TVA représente donc une part importante du budget des ménages les plus modestes à l’inverse des ménages les plus aisés.

 

[1] Sur ce point, il est possible de relire le mémo éco n°144 intitulé « Des versements de dividendes records pour les actionnaires du CAC 40 en 2024 ».

[2] Sur ce point, il est possible de relire le mémo éco n°143 intitulé « NAO 2025 : le pouvoir d’achat des travailleur·ses encore mis à mal ! ».

 

La TVA « sociale » contre la Sécurité sociale

 

Aujourd’hui, 46% des recettes de la Sécurité sociale sont issues de recettes fiscales. En contrepartie, la part des cotisations sociales n’est plus que de 49%, contre 92,2% en 1990. Ce basculement n’est pas sans conséquences, il transforme la structure de financement de la Sécurité sociale et permet à l’état de justifier la remise en cause de la démocratie sociale.

 

Depuis 2017, une part de plus en plus importante des recettes de la TVA sont fléchées vers le financement de la Sécurité sociale. En l’espace de 7 ans, le volume de TVA affecté à la Sécurité sociale a été multiplié par 5. Cette affectation vient notamment en compensation d’une dynamique très forte des exonérations de cotisations sociales accordées aux employeur·ses. Aussi, contrairement à la CSG, qui reposait en grande partie sur le travail, la TVA est assise sur la consommation, ce qui pénalise davantage les ménages les plus modestes. Concrètement, le patronat est de plus en plus exonéré de payer la part socialisée des salaires et ce sont les recettes fiscales issues de la consommation populaire qui viennent compenser ces manques.

 

En l’espace de sept ans, cette mutation de la structure de financement de la Sécurité sociale a creusé un manque à gagner important pour le budget de l’État. Ce glissement exonère massivement les employeur·ses de leur responsabilité dans le financement de la Sécurité sociale, en réduisant les cotisations et donc les salaires qu’ils doivent verser. Ce modèle remet en cause les principes fondateurs de la Sécurité sociale, la solidarité entre travailleur·ses selon le principe : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». L’État reprend ainsi la main sur une institution historiquement construite et financée par et pour les travailleur·ses.

 

Ce projet est tout à fait compatible avec un gouvernement qui venterait les mérites « d’un salaire brut directement dans la poche » en cachant aux travailleurs et travailleuses que la désocialisation des salaires, la remise en cause du salaire brut (constitué du salaire net et du salaire socialisé) donc, est l’outil principal de la destruction de la Sécurité sociale et de l’ensemble de leurs protections contre les aléas de la vie. C’est à la fois une prise de contrôle de l’État sur la Sécurité sociale et une diminution in fine du salaire des travailleur·ses tout autant que l’acte de décès de notre modèle social.

 

Ce qu’il faut retenir 

 

  • La TVA sociale a pour objectif de modifier le financement de la protection sociale en remplaçant les cotisations sociales par des points de TVA supplémentaires.
  • Les défenseurs de cette réforme considèrent que cela améliorerait la compétitivité de l’économie française puisque la suppression d’une partie des cotisations sociales devrait permettre aux entreprises de réduire leurs prix de vente.
  • Toutefois, les études montrent que cela risque surtout de profiter aux entreprises pour augmenter les marges et les profits. Compte tenu de l’effet inflationniste de cette mesure, elle se traduirait en revanche par une perte de pouvoir d’achat.
  • C’est aussi une politique anti redistributive compte tenu de la nature même de cet impôt, puisque la TVA est proportionnelle à la consommation des ménages. Elle représente par conséquent une part importante du budget des ménages les plus modestes à l’inverse des ménages les plus aisés. De ce fait, elle entraînerait des conséquences désastreuses sur la production et l’emploi du fait de la baisse de la consommation populaire. La TVA sociale serait donc inefficace économiquement et injuste socialement.
  • Sous le mandat d’Emmanuel Macron, le volume de TVA affecté au financement de la protection sociale a été multiplié par 5. Cette augmentation de la part de TVA affectée entraine une baisse des recettes fiscales disponibles pour constituer le budget de l’État et masque une forte baisse des contributions du capital au financement de la protection sociale. La part dite patronale du salaire socialisé est de plus en plus remise en cause et remplacée par de la TVA.

 

 

Repère revendicatif