
- Introduction
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Chaque année, et au-delà des constats, la CGT s’interroge sur l’évolution positive ou non de la santé des travailleuses et des travailleurs. Chaque année nos analyses restent réservées, de nombreuses situations critiquables réapparaissent. Cette contribution va faire le tour de ces situations, des
réalités constatées.Si les chiffres de la sinistralité semblent, selon la Branche ATMP de la Sécurité Sociale, en amélioration ces deux dernières années, il ne faut pas tirer de conclusions hâtives. Cette sinistralité reste mal
évaluée et fait notamment abstraction d’une sous-déclaration et d’une sous-reconnaissance des
accidents du travail et des maladies professionnelles par les acteurs institutionnels. Les statistiques de la sinistralité ont une grande importance quant à la prévention des risques, il est nécessaire de revoir la prise en compte des taux de fréquences et de gravité. Une meilleure observation de la réalité dans les entreprises est nécessaire.Les avancées de la négociation de la COG ATMP n’ayant abouti qu’en 2024 notamment sur le budget de la recherche, sur l’augmentation des effectifs de contrôleurs sécurité et ingénieurs conseil en Caisses Régionales. Celles-ci ne peuvent pas encore être analysées, les missions, la formation et les réels besoins dans les caisses, à l’INRS et à EUROGIP sont à repréciser. Les engagements pris en
référence à l’ANI du 15 mai 2023 devront être tenus.En particulier ceux concernant la gestion des RPS et l’accompagnement des victimes du travail qui
devront se concrétiser. La CGT n’a pas validé cette COG, d’une part parce que les besoins réels des assurés ne sont pas suffisamment pris en compte. D’autre part, parce que les budgets alloués aux structures sont très éloignés des engagements de l’ANI-ATMP et surtout des besoins réels concernant la prévention des risques et la réparation des victimes du travail.Les services de santé au travail (SPST) sont tout aussi incontournables dans la prévention des risques professionnels, de la même manière que les situations sont à analyser après les évolutions à la suite de la loi du 2 août 2021.
La certification de l’ensemble des services est toujours en cours, la CGT avait émis à l’époque des
réserves et avait revendiqué une gouvernance différente, plus ambitieuse et intégrée. Aujourd’hui, force est de constater que nos exigences étaient justifiées : les conditions observées dans ces services - PLFSS et évolution à prévoir de la réparation ATMP.
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Nous ne rentrerons pas dans le détail des évolutions prévues, le vote de la loi de financement de la sécurité sociale n’ayant abouti qu’en 2025 au regard de la situation politique. Par son article 9 elle ouvre des négociations sur l’amélioration de la réparation des préjudices subis par les victimes du travail. Les travaux viennent d’être initiés et il est encore trop tôt pour en tirer un bilan.
La prévention des risques professionnels et la réparation des préjudices subis par les victimes du
travail ne doivent jamais être opposées. Une meilleure réparation contribuera à la mise en œuvre de la prévention primaire si les cotisation ATMP des employeurs sont réévaluées selon la sinistralité de
l’entreprise et que la mise en place de stratégies de sous-déclaration des accidents et des maladies professionnelles par les employeurs soient sanctionnées. -
Sinistralité ATMP, la réalité des chiffres.
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La CGT conteste les chiffres de la sinistralité. Ils doivent avoir une approche portant sur la réalité des situations dans les entreprises tout secteur confondu. La sous-déclaration des AT et la
sous-reconnaissance des MP doivent être prises en considération. La CNAM doit revoir ses statistiques et approfondir ses analyses dans ce sens.Sources, Rapport AM-RP 2023
Pour autant, nous observons une évolution importante concernant la sinistralité 2023, le nombre de travailleurs décédés dans l’exercice de leur activité est dramatiquement en hausse. Quant aux
maladies professionnelles reconnues, elles sont en hausse d’un point et demi.Selon le bilan annuel des CRRMP, les troubles liés à une absence de prévention des risques
organisationnels, sont en hausse continuelle depuis 15 ans avec une accélération sensible ces deux dernières années. Ils ont un impact sur les autres risques professionnels et la sinistralité générale au travail.Sources, bilan CRRMP 2024
Concernant les morts au travail, nous faisons face à une situation catastrophique qui s’aggrave chaque année. Mourir au travail est inacceptable pour les familles comme pour l’ensemble du monde du travail. Il en est de même des conséquences du travail sur la santé publique et environnemental. Une
analyse approfondie de la mortalité autour des malaises est nécessaire afin d’identifier clairement les causes liées à l’organisation du travail et de mettre en place des mesures de prévention primaires.La situation est dramatique, elle appelle à des mesures d’urgence concrètes pour arrêter le carnage. Nous ne pouvons pas nous contenter de simples postures et de plans de communication. L’absence de politique ambitieuse et de véritable plans d’action font reculer à terme la prévention des risques professionnels. Il faut impérativement faire le lien avec les organisations du travail, les rythmes de
travail et avec le prolongement des carrières professionnelles.Pour progresser significativement, il faut :
- que les enquêtes accidents (graves et mortels) remontent au niveau de toutes les instances paritaires,
- qu’une analyse indépendante et concertée soit conduite sur ces accidents engendrant des blessures irréversibles et parfois la mort,
- enfin, que des mesures soient réellement prises par les responsables politiques pour remédier à des situations inacceptables pour le monde du travail.
Ci-dessous le dernier recensement des accidents mortels :
Sources, Rapport AM-DRP
Par ailleurs, l’adaptation des conditions de travail au changement climatique doit impérativement être intégrée aux analyses portant sur cette hécatombe. A titre d’exemple, le nombre de décès dans le
vignoble français en 2024 illustre tragiquement les conséquences des fortes chaleurs sur les
travailleurs et travailleuses. L’impact du réchauffement climatique doit donc figurer parmi les priorités du futur Plan Santé au travail (PST 5).De même, la CGT réaffirme l’urgence d’un renforcement des contrôles sur les situations réelles de
travail, afin de prévenir ces drames et de protéger efficacement la santé et la sécurité des salariés·es. Les agents des caisses locales de sécurité sociale comme des directions régionales du travail sont en sous-effectif, ce problème récurrent ne sert pas à la prévention et nuit à l’amélioration globale des
conditions de travail et la sécurité au travail.La question de l’absentéisme au travail devra être mise en lien avec la dégradation des conditions
physiques et psychiques de travail. Les contrevérités sur cet absentéisme pleuvent, sans aucune
analyse sérieuse sur les raisons de cette situation. Dès 2024, le précédent gouvernement mettait en avant l’augmentation de l’absentéisme au travail tout arrêt confondu. De la même manière, les
conclusions qui en étaient tirées portaient des sous-entendus infondés et proches de ceux que l’on entend trop souvent côté patronal. Le but recherché évidemment était et reste l’abaissement du coût des indemnités journalières et la volonté de faire abstraction de tout lien avec les mauvaises conditions de travail. - Situation dans les SPST-I-A
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Les Services de Santé au Travail Interprofessionnels ou Autonomes (SPSTI-A) ont évolué, la loi du 2 Août 2021 les engagent à renforcer la prévention secondaire et à faire certifier leurs activités, leur
fonctionnement et leur gouvernance. La CGT avait émis, à l’époque, de larges réserves, entre autres, la mainmise patronale sur ces services et le risque de voir se multiplier les licenciements pour inaptitude. Sans parler de notre exigence d’intégration des SPST à la Sécurité Sociale, une meilleure coordination entre ces acteurs de la santé au travail nous parait essentielle tout comme une stricte autonomie des médecins du travail comme des équipes pluridisciplinaires. Nous réaffirmons que l’ensemble de ces acteurs dispose d’un statut protecteur, leur permettant d’intervenir sans pression d’où qu’elles
viennent.En effet, nous considérons que la situation actuelle des services de santé au travail n’est pas
satisfaisante, que ce soit aussi bien en termes de gouvernance, qu’en terme de réelle politique de
prévention des risques.Les Médecins du Travail, en particulier, occupent une grande partie de leur temps à signer des
déclarations d’inaptitude. Les chiffres parlent d’eux même, 117000 licenciements pour inaptitude en 2024, pour combien d’étude de postes afin d’adapter le travail à l’homme, comme le stipule le code du travail, et ainsi éviter la désinsertion professionnelle ? Dans combien de services ces mêmes MT
peuvent-ils exercer leur « tiers temps », aller observer les situations de travail réelles et exercer leur mission initiale : à savoir éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ?La situation est aggravée par le manque de médecins du travail, toutes les études le démontrent, y compris le rapport triennal de la Commission sous-déclaration et de la Cour des comptes, qui, non seulement constatent ce fait, mais, depuis plusieurs années, émettent des pistes d’amélioration. Leurs remarques et suggestions restent sans réponse, la médecine du travail continue de régresser, l’ensemble des équipes pluridisciplinaires vit une perte de sens au travail. La certification devait
améliorer les services rendus et homogénéiser les pratiques, qu’en est-il ?Un autre constat est fait aujourd’hui par les acteurs des SPST, la fameuse certification rendue
obligatoire par la loi crée une surcharge de travail, surtout administratif, un « reporting » incessant qui devient une activité à part entière qui plus est à iso-effectif. Nous le réaffirmons, la mission première des services de santé au travail n’est plus assurée, la prévention des risques professionnels est en souffrance.Enfin la question des SPST-I illégaux doit être posée avec force. En 2024, ces services non agréés
continuent de fonctionner en toute impunité, sans contrôle ni vérification de leur activité de prévention des risques professionnels, alors même que c’est censé être leur mission principale. Est-ce acceptable qu’au plus haut niveau de la gouvernance de la santé au travail on considère ces structures comme un « service rendu » au prétexte d’une carence en médecins du travail, au risque d’affaiblir encore
d’avantage la protection des salarié·es.Cette situation n’a que trop duré, le risque est trop grand de voir la prévention primaire en général, la santé et la sécurité des salarié·es, en particulier, se dégrader irrémédiablement.
- La charte sociale des JO, les leçons à en tirer.
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Les travaux de construction des infrastructures engagés ces dernières année pour recevoir les JO en France ont été l’occasion de créer un document portant un certain nombre d’exigences sociales,
notamment la préservation de la santé des travailleurs. Ce document a été désigné comme « Charte des JO », l’investissement des acteurs du contrôle et du conseil de la santé au travail en France ont permis la mise œuvre concrète de cette charte avec des résultats probants : l’absence d’accidents du travail graves et mortels dans tout le périmètre de la charte, malaises compris.Nous devons en tirer des leçons, reprendre dans le droit du travail, par exemple la limitation des niveaux de sous-traitance, l’augmentation des contrôles (IT et CS-CRAMIF/CARSAT) et une supervision paritaire des infrastructures en construction. La balle est dans le camp du gouvernement, du législateur, ne plus se limiter à de la communication par spots télévisés interposés, mais agir activement pour faire évoluer la législation. Il faudra aussi finir par avouer que la loi du 2 aout 2021 reprenant l’ANI du 9 décembre 2020 restait largement insuffisante pour changer fondamentalement la situation, la CGT n’a jamais changé de position sur ce point, avions-nous raison avant tout le monde ?
- Perte de sens au travail, mauvaise qualité du travail : causes ou conséquences ?
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L’évolution exponentielle du nombre de dossiers traités pour affections psychiques dans les CRRMP est représentative d’une problématique qui devient une question de société : quelle prévention
primaire des risques organisationnels et psychosociaux pour préserver la santé mentale ?Les organisations de travail sont en mutations constantes de fait de décisions motivées par une
rentabilité à court terme. Les innovations technologiques sont injectées dans les process de
productions sans réflexions préalables sur l’efficacité globale du travail : seule la performance
économique immédiate entre en considération.Les systèmes d’informations souffrent de plus en plus d’un manque d’investissement productif et leurs évolutions se font sans concertations avec les travailleuses et les travailleurs ni négociations avec leurs représentants. L’arrivée de nouveaux algorithmes et de l’IA générative risque d’aggraver la situation.
Les risques psychosociaux et les risques organisationnels sont au cœur de la problématique santé au travail. Le manque de prévention de ces risques augmente tous les autres risques professionnels, à l’image des troubles musculosquelettiques dont 70% ont une origine psychosociale.
L’absentéisme, le turn-over, une aspiration excessive au télétravail, les conflits entre salariés ou avec les lignes managériales, les rappels de produits, les retards de production, les pannes, les accidents du travail (du plus bénin au plus grave) les dégradations environnementales sont des indicateurs d’une crise profonde du travail.
Les travailleuses et les travailleurs sont les principaux experts de leur travail mais leurs aspirations
passent sous les radars des décideurs. La suppression des CHSCT a amplifié la crise en mettant sous le tapis une majeure partie des problèmes d’organisation de travail.Cette dégradation du travail entraîne une dégradation des rapports sociaux dans et hors du travail.
La prévention primaire des risques organisationnels et psycho-sociaux est avant tout un enjeu
démocratique. Les travailleuses et les travailleurs souffrent de ne pouvoir intervenir dans les décisions qui concernent leur travail. Les consultations se limitent à la mise en œuvre des décisions. C’est une véritable crise des dialogues : le dialogue professionnel comme le dialogue social.Il est nécessaire de reposer la question de la qualité du travail en redonnant la parole à celles et ceux qui le font. Il est indispensable de créer une institution de représentation des personnels qui porte
pleinement les enjeux de santé et de sécurité au travail, en s’inspirant de l’expérience et des acquis des anciens CHSCT.Ce sont des enjeux forts qui doivent être la colonne vertébrale du future plan santé au travail.