Proposition de loi "plein emploi" : s’attaquer aux plus précaires pour ne pas s’attaquer à la précarité

Publié le 19 juin. 2023
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Les réformes anti-sociales d’Emmanuel Macron se poursuivent en 2023 : après s’être attaqué à nos retraites et à notre assurance chômage, le gouvernement achève sa réforme globale du marché du travail avec cette nouvelle loi.

Ironiquement baptisée loi « Plein-Emploi », le projet de loi est d’une brutalité sans nom contre tous∙tes les travailleur∙ses précaires, privé∙es d’emplois, allocataires des minimas sociaux, travailleur∙ses handicapés et jeunes en insertion. Au lieu de palier les profondes inégalités du monde du travail prenant racine dans l’économie capitaliste, le gouvernement Macron choisit de faire tomber le couperet sur les précarisé∙es de toutes sortes, au profit des entreprises. Car le plein emploi selon le gouvernement se résume à forcer les plus précaires à prendre n’importe quel emploi vacant, sans présager de sa qualité. D’ailleurs, l’exécutif ne s’en cache plus, le projet de loi dispose explicitement que l’opérateur France Travail doit répondre aux besoins (immédiats) des entreprises : une politique court-termiste qui s’éloigne de la réponse aux besoins des travailleur-ses, respectant leurs parcours et leurs qualifications. 

Autant de mesures aux conséquences graves sur notre modèle social, énième attaque contre la santé des travailleur∙ses valides ou handicapé∙es, énième chasse aux plus précaires, énième perversion de notre modèle social au nom de la rentabilité économique et du « quoi qu’il en coûte » plutôt qu’au service de la population. La CGT revendique un véritable service public de l’emploi, basé sur le droit au travail de toutes et tous : une bataille, pas simple mais nécessaire, doit s’engager.

Un nouveau réseau France Travail comme nouveau service public privatisé de l’emploi

 Le nouveau réseau France Travail rassemble l’ensemble des organismes en charge de l’emploi et de l’insertion, dans une logique de répartition des publics. Cette nouvelle organisation comprend : 

  • un opérateur France Travail pour tous les demandeurs d’emplois ; 
  • le rôle du département pour les bénéficiaires du RSA (qui peut être délégué à l’opérateur France Travail) ; 
  • les missions locales pour les jeunes de 16 à 25 ans ; 
  • les organismes référents en matière de handicap pour les travailleur∙ses handicapé∙es ; 
  • tout autre organisme privé ou public fournissant des services en lien avec l’insertion, la formation et l’accompagnement à l’emploi.

 Ce projet de loi laisse toute latitude à l’opérateur ainsi qu’aux départements pour faire appel à des prestataires privés. Ces prestataires, chargés de repérer et de « remobiliser » les personnes dites « éloignées des institutions du service public de l’emploi » seront conventionnés par l’État et récompensés selon la « qualité » de leurs actions et les résultats obtenus. Ainsi, les organismes privés ne prendront en charge que les personnes les moins éloignées de l’emploi, laissant aux organismes publics les publics les plus éloignés.  Aussi, et comme cela s’est produit avec les opérateurs privés de placement subventionnés aux résultats[1], tout laisse à croire, à terme, à une privatisation généralisée du SPE. Une recette bien connue du gouvernement : déliter le service public, arguer de son inefficacité pour mieux le privatiser par la suite. 

Le tout numérique pour mieux supprimer les guichets : 

 Si France travail a pour vocation d’être un opérateur géant, il a aussi pour objectif d’être la porte d’entrée des publics pour chaque organisme via… un portail numérique ! Le meilleur moyen d’isoler les plus précaires et d’accentuer le non-recours aux droits. Le taux de nonrecours pour le RSA s’élève à 34%[2] et celui pour l’allocation chômage est estimé entre 25 % et 42%[3].  Tant pour les usagers que pour les travailleurs∙ses de ces organismes, la mise en place de France Travail et du tout numérique dévoie le sens même d’accompagnement des privé·es d’emploi. 

Le service public de l’emploi détourné en « police » des précaires

Désormais, seraient inscrit∙es automatiquement sur la liste des demandeur∙ses d’emplois :

  • la personne en recherche d’emploi qui demande son inscription
  • les bénéficiaires du RSA en tant que ménage ; 
  • la personne accompagnée par les missions locales ; 
  • toute personne accompagnée par des organismes d’insertion professionnelle des personnes handicapées 

Ce public sera lié à France Travail via le nouveau Contrat d’Engagement. En cas de non-respect des devoirs prévus par le Contrat d’Engament, les bénéficiaires du RSA, allocataires de l’assurance chômage ou les jeunes accompagnés par les missions locales verront leurs droits suspendus. 

Pour les bénéficiaires de l’assurance chômage, l’obligation d’acceptation d’une offre d’emploi est renforcée notamment par la suppression des allocations en cas de refus. Il s’agit en définitive de placer les privé∙es d’emploi dans les emplois vacants des entreprises du territoire sous couvert de sanction. 

Ce moyen de pression permet de contraindre les travailleur∙ses à accepter des formations ou des postes qui ne leur correspondent pas et à n’importe quelles conditions sous peine de suppression des allocations. Une aubaine pour le patronat, qui dispose ainsi d’une armée de réserve, prête à tout pour survivre. Cela peut également affaiblir, côté salarié·es en poste, le pouvoir de négociation quant à leurs conditions salariales, alors même que les luttes pour l’augmentation des salaires sont de plus en plus nombreuses.

Si ces mesures s’appliquent aux jeunes des missions locales et aux bénéficiaires du RSA, rien n’empêchera, à l’avenir, des mesures similaires pour les travailleur∙ses handicapé∙es. En ouvrant cette porte, ce sont les titulaires de l’Allocation Adulte Handicapé qui pourront potentiellement être ciblé∙es.

Le montant du RSA est aujourd’hui de 607,75€ pour une personne seule. Ce projet permet donc d’instaurer la conditionnalité du RSA (15 à 20h d’activité) à un montant inférieur au

SMIC, sans droits associés mais aussi et surtout revient sur le principe de solidarité, à l’origine même de la création du RSA. Les sanctions prévues par ce projet de loi permettront de suspendre les versements. Si le montant du RSA est très largement insuffisant, ces sanctions vont mettre les allocataires dans des situations dramatiques.  

Par ailleurs le déséquilibre est alarmant. Si un allocataire ne respecte pas le contrat d’engagement il voit alors ses indemnités supprimées. A l’inverse, si l’opérateur est défaillant un audit pourra être mis en place. 

La CGT revendique un service public assuré par ses agents, garants de l’intérêt général, en nombre suffisant et formés, pour permettre un accueil inconditionnel. 

Elargir la notion d’handicap pour plus de main d’œuvre

Toujours dans ce but d’engorger le marché du travail avec une main d’œuvre précaire et corvéable, la notion de travailleur handicapé sera massivement mobilisée. En effet, lorsqu’une personne inscrite comme demandeur d’emploi obtient une reconnaissance administrative de son handicap (RQTH, Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé), l’opérateur France Travail en sera automatiquement informé. Par cette reconnaissance, l’opérateur peut orienter la personne dans le milieu dit « protégé » des ESAT ou des Entreprises Adaptés, où le droit du travail, le SMIC, la cotisation sociale n’existe toujours pas, même si le gouvernement annonce des avancées.

Pour répondre à cela, la reconnaissance de travailleur∙euse handicapé∙e est élargie non plus aux seules personnes qui en font la demande, mais attribuée automatiquement aux accidenté∙es du travail, victimes de maladies professionnelles, titulaire de l’Allocation Adulte Handicapé, titulaire d’une pension d’invalidité ou d’une carte « mobilité inclusion » avec mention « invalidité » et même aux mineurs ayant été accompagnés par une MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapés) pendant leurs scolarité.

Toute une main d’œuvre aux besoins nécessaires d’adaptation et d’accompagnement vers l’emploi va donc être repérée automatiquement et orientée en masse dans des entreprises qui, sous couvert de missions médico-sociales, exploitent les travailleur∙ses handicapé∙es sous le patronage de l’État.

Pour ceux et celles qui échapperont au milieu protégé, cette extension large de la notion de travailleur∙se handicapé∙e est une aubaine pour les employeurs du privé. Pour rappel, toutes les entreprises de plus de 20 salariés doivent embaucher 6% de travailleur∙ses handicapé∙es dans leurs effectifs, sous peine de payer une contribution financière. L’arrivée massive de nouveaux travailleur∙ses reconnu∙es automatiquement comme handicapée·s, sans leur avis, permettra aux employeurs d’échapper aux sanctions financières. 

La CGT revendique un accompagnement personnalisé, selon les besoins, ainsi que des moyens pour adapter le travail aux travailleur-ses en situation de handicap et non l’inverse. 

La formation professionnelle avec pour principal objectif la réponse aux besoins immédiats des entreprises

La proposition de loi prévoit un programme national de formations, via des conventionnements avec les régions, selon les besoins des personnes et des besoins des entreprises. Sachant que refuser une formation -et un emploi- est un critère de suspension de droits, ce plan permet de former les travailleur∙ses à des métiers et des secteurs en peine de recrutement.

Une aubaine pour les employeurs de secteurs particulièrement connus pour leurs conditions de travail médiocres et leurs rémunérations insuffisantes (comme le secteur de l’hôtellerie et de la restauration) et qui peinent à trouver de la main d’œuvre. 

Grâce à France Travail et aux formations qui seront délivrées, ces employeurs n’auront pas besoin d’augmenter les salaires ou d’agir sur l’environnement professionnel : France Travail leur fournira des travailleur∙ses qui n’auront d’autres choix que d’occuper ces postes.

Pour la CGT, la formation professionnelle ne peut pas être uniquement en adéquation stricte avec les demandes immédiates et étroites exprimées par les employeurs, quel que soit leur statut. Il faut sortir des logiques court-termistes, de pur adéquationnisme emploi/formation, au bénéfice seul des entreprises et du capital. Les gens veulent, certes, un emploi, mais un emploi où ils se sentent utiles et où ils ont leur mot à dire sur ce qu’ils font et comment ils le font. Chaque privé∙e d’emploi doit pouvoir accéder à une formation de son choix qui lui permette l’obtention d’une qualification, une reconversion, l’acquisition des éléments pour les adaptations et évolutions futures, qui, on le sait, sont les leviers essentiels pour un retour à l’emploi rapide. 

Le projet de loi assouplit des contritions d’accès à l’emploi à l’issue d’une Préparation Opérationnelle à l’Emploi (POE). Pour la CGT, la POE ne devrait pouvoir déboucher que sur un emploi pérenne : un CDI à temps plein ou un contrat de professionnalisation en CDI. La possibilité de CDD ou pire, de contrat d’apprentissage, qui est de la formation initiale, vient détourner la POE de son objectif initial : le retour à l’emploi.

Le texte ouvre la possibilité d’organiser et de financer des formations réalisables exclusivement à distance. Pour la CGT, les privé∙es d’emploi doivent pouvoir garder la main sur la formation pédagogique qui leur correspond le mieux au regard de leurs besoins, leurs moyens financiers (achat d’un ordinateur), leurs aptitudes (informatiques) et leur envie de se former seuls et en dehors de toute vie de groupe. Il faut aussi veiller à ce que ces formations, comme toutes les autres, soient reconnues, certifiantes et valorisées financièrement par l’employeur à leur issue.

La branche famille et le secteur de la petite enfance au secours de l’emploi

Pour permettre ce redéploiement massif des plus précaires, la branche Famille de la Sécurité Sociale sera mise à contribution. En effet, l’accueil des enfants de ces futur∙es travailleur∙ses mis∙es au pas doit se faire.

Les collectivités locales deviennent les grands pilotes de l’offre d’accueil de la petite enfance, en partenariat avec les CAF. 

 La loi établit le cadre d’une stratégie nationale de politique d’accueil du jeune enfant. Cette stratégie nationale fixe les priorités et objectifs pluriannuels de développement quantitatif et qualitatif de l’offre d’accueil du jeune enfant, qui ont vocation à être déclinés dans les schémas départementaux de services aux familles.

Via le schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant, recensant les besoins des enfants de moins de trois et de leurs familles et les services d’accueil pour y répondre. Il prévoit une trajectoire pluriannuelle de développement ou de redéploiement de ces services, ainsi que les moyens financiers et en nombre de professionnel∙les nécessaires pour la mettre en œuvre, y compris les besoins en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Le schéma est élaboré en concertation avec la caisse d’allocations familiales qui apportent son appui financier et en ingénierie pour le mettre en œuvre.

Par cette loi, la branche Famille de la Sécurité Sociale est directement intégrée dans cette stratégie nationale de l’accueil du jeune enfant, au service de France Travail.

La Branche famille qui est aussi gestionnaire du RSA pour le compte de l’état devra partager ses fichiers d’informations concernant les bénéficiaires du RSA avec France Travail  afin que l’on contrôle plus facilement les éventuelles ressources et le respect du contrat d’engagement. A ce titre certaines CAF pourront se positionner pour l’accompagnement de ces publics.

France Travail : travailler, qu’importe les conséquences

 Tout est pensé pour mettre la pression sur les travailleur∙ses éloigné∙es plus ou moins de l’emploi. A la paupérisation, le gouvernement répond par la contrainte, le chantage aux aides pour forcer les actif∙ves à travailler, quel que soit l’emploi, quels que soient les risques et conditions. 

Par la suspension des droits, la formation aux secteurs les plus en manque de main d’œuvre, l’élargissement de la notion de handicap, l’organisation de l’accueil des enfants, tous les outils sont mis à disposition de France Travail pour frapper l’armée de réserve du capital.  Ce projet de loi crée plus de pression sur les travailleur·ses et privé·es d’emploi pour moins de droits, créant une main d’œuvre corvéable et à moindre coût. L’Etat continue de prêter main forte au patronat pour renforcer le pouvoir des employeurs et paupériser toujours plus les plus fragiles.

Bien qu’il ne soit pas facile de mener des actions, la CGT peut s’impliquer pour lutter contre les pires dispositions de ce projet de loi, qui recueille l’opposition de toutes les organisations syndicales. Cela implique notamment les territoires, en commençant par les unions départementales concernées par les 18 expérimentations sur les allocataires du RSA, les comités régionaux qui vont voir les CREFOP modifiés, mais plus généralement toutes les organisations, face au détournement du service au profit des besoins immédiats « en main d’œuvre bon marché » du patronat. Le calendrier parlementaire s’étend de juin à septembre, un plan de travail se met en place, pour informer et lutter.  

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[1] De la même manière que pour les opérateurs de placement privés aujourd’hui, ces organismes seront subventionnés en fonction du nombre de retours en emploi. Non pas de la qualité de l’accompagnement ou de la qualité de l’emploi retrouvé. Tout laisse à craindre donc que ces prestataires ne se soucient guère du public accompagné. 

[2] Mesurer régulièrement le non-recours au RSA et à la prime d’activité : méthode et résultats ; DREES ; 11/02/2022

[3] Quantifier le non-recours à l’assurance chômage ; Dares ; 06.10.22

Repère revendicatif