La loi de programmation et de réforme de la justice adoptée le 23 mars 2019 marque un bouleversement dans notre système juridique et judiciaire et un recul très important de leurs droits pour tous les justiciables.
La CGT a toujours affirmé sa profonde opposition à cette loi, qui porte atteinte à tous les domaines de la justice.
Le contentieux social n’est pas épargné. Depuis, plusieurs décrets d’application sont venus en préciser les contours (les plus récents venant parfois rectifier sur certains points les premiers décrets sortis), applicables depuis le 1er janvier 2020.
- La compétence des tribunaux judiciaire et des chambres de proximité
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Les tribunaux d’instance (TI) sont fusionnés au sein des tribunaux de grande instance (TGI), renommés « tribunaux judiciaires » (TJ). Le contentieux social qui relevait du TI relèvera désormais du TJ, à l’exception de certaines matières spécifiques, listées par décrets, qui relèveront exclusivement de chambres de proximité.
La fusion revient à supprimer les TI et donc à éloigner le contentieux des justiciables.
Tous les TI qui se trouvent dans la même commune qu’un TGI sont donc voués à disparaitre. Seul faible palliatif prévu par la loi : la création de 125 chambres de proximité. Ces 125 chambres correspondent aux actuels TI qui se trouvent dans une commune dans laquelle il n’y a pas de TGI. Mais la compétence déléguée à ces chambres de proximité est extrêmement limitée en ce qui concerne le contentieux social. Est seulement concernée la contestation de la décision de la Direccte relative à la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts. A noter que quasiment toutes les chambres de proximité disposent de cette compétence-ci.
Mais ce n’est pas tout… le 1er président de la cour d’appel et le procureur général près cette cour pourront ajouter des matières à celles énumérées par le décret, ce qui complexifie grandement les choses car la compétence de ces chambres devient « à la carte », et cela sera difficile de bien cerner quel tribunal nous devons saisir.
Pour le reste du contentieux social, notamment celui relatif aux élections professionnelles ou à la désignation d’un DS, il se fait donc désormais normalement devant les tribunaux judiciaires, bien moins nombreux que les anciens TI.
Par ailleurs, la loi prévoit également que lorsque plusieurs tribunaux judiciaires existeront dans un même département – voire dans des départements distincts mais proches géographiquement –, ils pourront faire l’objet d’une spécialisation : un décret leur attribue alors des matières dont tel tribunal sera le seul à connaître.
En plus de l’illisibilité qu’elles engendrent, toutes ces mesures comportent inévitablement le risque d’un accroissement de l’éloignement géographique de la justice et d’inégalités selon le lieu de résidence, ce qui touchera les plus vulnérables.
- La procédure civile
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La procédure devant le TGI est généralisée. L’assignation est cependant toujours obligatoire ; la requête permet de saisir la justice des anciens contentieux du TI (en fonction du montant voir ci-dessous) ainsi que le CPH. La requête conjointe est quant à elle toujours possible.
Le principe général devient la représentation obligatoire par avocat et la procédure écrite. Cependant, des exceptions ont été conquises par la CGT, qui s’est battue auprès du ministère pour obtenir que les contentieux des élections professionnelles et des désignations syndicales puissent se faire sans avocat obligatoire et avec une procédure qui demeure orale.
La fusion des TI et TGI emporte des conséquences sur la procédure applicable. A l’alignement de la procédure sur celle du TGI, la loi a prévu des exceptions, dont la liste a été complétée par les décrets.
1. La saisine par requête pour les matières relevant de l'actuel TI et du CPH
La saisine pour les requêtes relevant de l'actuel TI :
En matière civile, la saisine du tribunal par voie d’assignation (acte de saisine par un huissier de justice) devient le principe (article 750 du code de procédure civile). En ce qui nous concerne, cela sera valable pour, par exemple, les saisines du Tribunal judiciaire pour demander la nullité d’un accord collectif, ce sera donc un coût conséquent.En revanche, l’assignation n’est pas nécessaire pour les matières qui relevaient du tribunal d’instance, c’est-à-dire en ce qui nous concerne : les contestations relatives à la désignation des membres des CPRI, les contentieux électoraux, les contestations de désignations syndicales et les contestations de la décision de la Direccte sur la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts. Dans ces matières-là, la saisine se fait par requête.
La saisine par requête est également permise lorsque le montant de la demande n’excède pas 5 000€. Au-delà de ce montant, seule l’assignation ou la requête conjointe avec la partie adversaire est autorisée. Ce seuil est bien sûr contestable, car au-delà la simple requête ne devient pas possible et engendre des frais pour le justiciable lorsque la requête conjointe – très rare dans le cadre du contentieux social – n’est pas envisageable.
Dans tous les cas, la simple déclaration au greffe ne constitue plus un mode de saisine possible. Si la requête représente une formalité moins lourde que l’assignation (et est surtout gratuite), elle reste plus compliquée que l’ancienne déclaration au greffe. Elle doit, sous peine de nullité, contenir un certain nombre d’informations et de mentions, parmi lesquelles le nom des parties, l’objet de la demande, l’indication de la juridiction et les pièces sur lesquelles la demande se fonde (article 54 du code de procédure civile). Par ailleurs, la requête vaudra désormais conclusions.
La saisine des CPH
Les CPH sont concernés par cette modification de procédure. La requête devient ainsi obligatoire, en lieu et place de la déclaration au greffe, et vaut également conclusions.En plus d’alourdir la saisine pour le demandeur, elle prive les justiciables de pouvoir éventuellement se présenter à deux en amorçant ainsi une forme de conciliation ; cette procédure doit désormais être réalisée par une requête conjointe signée par les deux parties. Si cette procédure était surtout utilisée par les avocats pour bénéficier des avantages d’une transaction validée par le juge, cette modification n’en reste pas moins paradoxale : à l’heure de tous les discours officiels vantant la conciliation, elle témoigne du véritable objectif poursuivi de rationaliser le contentieux et d’orienter le règlement des litiges vers des solutions privées.
Des nouvelles mentions obligatoires dans la requête (article R. 1452-2 du code du travail, et articles 54 et 57 du code de procédure civile) :
Le code de procédure civile a unifié les mentions obligatoires de l’assignation et de la requête, les regroupant dans un seul et même article : l’article 54 du code de procédure civile, complété toutefois par l’article 57 pour ce qui est de la requête. Cela a pour conséquence d’alourdir les mentions que doit préciser la requête, et s’applique, désormais, pour toute saisine du conseil de prud’hommes ou du tribunal judiciaire.
Sous peine de nullité, la requête doit désormais mentionner
« L’indication des modalités de comparution devant la juridiction et la précision que, faute pour le défendeur de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire. »
Ces modalités consistent concrètement à informer la partie adverse sur la présentation en personne et l’obligation ou non d’être représenté par un avocat. Pour le contentieux prud’homal, il s’agit donc d’informer de l’obligation de se défendre soi-même et de la faculté de se faire assister ou représenter par un avocat, un défenseur ou une autre personne citée par le code du travail (article R. 1453-1 et R.1453-2 du code du travail, et article L. 1453-1 du code du travail), sachant qu’à défaut de comparaitre le jugement pourra être rendu sur le fond sans que le défendeur puisse donc se défendre (article R. 1454-20 du code du travail, et articles 471 et suivants du code de procédure civile).
Si cette mention s’expliquait dans le cadre de l’assignation, par laquelle la partie convoque elle-même la partie adverse, elle est une lourdeur supplémentaire et injustifiée dans le cadre de la requête où c’est au tribunal qu’il revient de convoquer la ou les parties adverses. Cela s’apparente donc à un transfert de mission du tribunal au justiciable devant s’assurer de plus en plus de formalités, augmentant le risque d’annulation pour vice de forme.
Attention le CERFA n’a pas encore été modifié en ce sens (la CGT en a fait la demande au ministère, nous sommes en attente de modification). Cette mention obligatoire n’apparait donc pas encore. Il importe d’être très vigilant quant à cette nouvelle mention, à rajouter au CERFA lorsque celui-ci est utilisé.
Toutefois, la nullité étant pour vice de forme, elle peut toujours être régularisée, en envoyant un courrier à la partie adverse mentionnant l’indication manquante initialement, à savoir les articles R. R1453-1 à R. 1453-3 du code du travail (envoi par lettre recommandée avec accusé de réception, en envoyant si possible la copie par mail au tribunal).
En outre, en cas d’oubli de la mention, la partie adverse devra prouver que l’irrégularité lui a causé grief, ce qui apparaît d’autant moins probable que la règlementation relative aux modalités de comparution doit être rappelée dans la convocation envoyée par le greffe.
Toujours sous peine de nullité, l’article 54 du code de procédure civile indique que la requête doit mentionner
« Lorsqu’elle doit être précédée d'une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, les diligences entreprises en vue d'une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d'une telle tentative ».
Cette mention n’est pas nouvelle mais son absence n’était pas sanctionnée par la nullité. Toutefois, devant le conseil des prud’hommes, cette mention n’a pas lieu d’être. En effet, le code du travail n’impose en aucun cas une tentative de résolution amiable du différend avant saisine de la Justice. Par ailleurs, dans la plupart des cas, le déroulé du litige comprend la phase devant le bureau de conciliation et d’orientation, qui est déjà une tentative de résolution amiable du litige. Dans les rares cas où le litige est porté directement devant le bureau de jugement (cas spécifiques prévus par le code du travail, et procédure accélérée au fond), le code du travail n’indique pas non plus que la demande « doit » être précédée d’une telle tentative et, relevons par ailleurs qu’il s’agit clairement de situations où la conciliation est inenvisageable. Ainsi, cette formalité est inutile, même si le CERFA continue de la mentionner, encore une erreur qui n’a pas été modifiée malgré nos demandes répétées en ce sens.
2. La représentation obligatoire par un avocat et la procédure écrite : les exceptions prévues
Aussi et surtout, la représentation obligatoire par un avocat et la procédure écrite deviennent le principe (article 760 du code de procédure civile). Il faudra donc payer un avocat pour faire valoir ses droits, ce qui en dissuadera les plus démunis. Quant à la procédure écrite, elle alourdit le contentieux et le prive de toute souplesse.
Rendre obligatoire la représentation par un avocat pour le contentieux social aurait eu des conséquences dramatiques. Pour les organisations syndicales, le risque aurait été, d’une part, d’être asphyxiées financièrement ou dans l’incapacité de se défendre face à de potentielles contestations systématiques du patronat, et, d’autre part, de les dissuader de saisir le juge pour de tels contentieux.
Suite à l’intervention notamment de la CGT en la matière auprès du ministère de la Justice, les exceptions à cette représentation obligatoire ont finalement intégré le contentieux social qui relevait anciennement du TI. Le nouvel article 761 du code de procédure énumère les matières dispensées de constituer avocat, et, outre les cas où la loi ou un règlement le spécifie. En ce qui concerne le contentieux social, il s’agit :
- des matières relevant des chambres de proximités (V. tableau IV-II du code de l’organisation judiciaire), c’est-à-dire pour le contentieux social seulement les contestations de décisions de la Direccte relative à la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts ;
- des contestations relatives aux élections professionnelles ;
- des contestations relatives aux désignations syndicales ;
- des contestations dont le montant de la demande (ou, lorsque la demande est indéterminée, l’origine de l’exécution de l’obligation) est inférieur ou égal à 10.000€.
Pour chacune de ces matières ou contentieux, l’avocat n’est pas obligatoire.
Conserver cette absence d’obligation de constituer avocat ne doit toutefois pas faire oublier le reste des matières dans lesquelles la constitution d’avocat est devenue obligatoire ni la volonté initiale de l’instituer pour le contentieux social.
Pour les matières dispensées de constituer avocat, la procédure reste orale (article 817 du code de procédure civile).
3. L'exécution provisoire
L’exécution provisoire de droit devient le principe en droit civil, sauf si la loi en dispose autrement (article 514 du code de procédure civile). Pour rappel, l’exécution provisoire permet, avant la fin du délai pour faire appel ou lorsqu’un appel est formé, que le jugement de première instance soit exécuté, quitte à revenir dessus en cas d’infirmation en appel.
En matière prud’homale : l’absence d’exécution provisoire reste le principe.
Un nouvel alinéa est ajouté à l’article R. 1454-28 pour spécifier précisément qu’en matière prud’homale « à moins que la loi ou le règlement n’en dispose autrement, les décisions du conseil de prud’hommes ne sont pas exécutoires de droit à titre provisoire ».
L’alinéa suivant conserve les cas existants dans lesquels l’exécution provisoire est de droit : le jugement qui n’est susceptible d'appel que par suite d'une demande reconventionnelle ; le jugement qui ordonne la remise d'un certificat de travail, de bulletins de paie ou de toute pièce que l'employeur est tenu de délivrer ; le jugement qui ordonne le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités de licenciement, dans la limite maximum de neuf mois de salaire. A noter qu’il est ajouté l’adverbe « notamment » à cette liste, qui pourrait alors être allongée.
En dehors de ces cas « de droit », le juge prud’homal conserve sa faculté d’ordonner, au cas par cas, l’exécution provisoire de ses décisions. Cette faculté, qui avait été supprimée par le premier décret d’application du 11 décembre, a été réinstaurée par le décret ultérieur du 20 décembre (article R. 1454-28 du code du travail, article 515 du code de procédure civile).
Par ailleurs, selon le nouvel article 514-1 du code de procédure civile, dans tous les cas où l’exécution provisoire est désormais de droit, le juge peut décider de l’écarter, en tout ou partie, « s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire ». Cette disposition semble applicable au contentieux prud’homal, car aucun article ne l’écarte spécifiquement pour les prud’hommes. C’est une disposition parfaitement aberrante, et le risque sera que cela soit demandé à tout bout de champs par les avocats patronaux. Tout l’enjeu sera alors de circonscrire le champ d’application de « la nature du contentieux ».
Toutefois, le juge ne peut l’écarter dans les cas pour lesquels l’exécution provisoire était déjà de droit avant la réforme c’est-à-dire lorsqu’il : statue en référé, prescrit des mesures provisoires, ordonne des mesures conservatoires ou accorde une provision au créancier en tant que juge de la mise en état.
4. La procédure accélérée au fond (PAF) : changement de terminologie (R. 1455-12)
Anciennement nommée « référé en la forme », la procédure permettant de juger rapidement sur le fond a changé de nom afin de ne pas être confondu avec le référé (qui permet seulement de prononcer des mesures d’urgence à titre provisoire).
Mis à part ce changement de nom, et les modifications générales apportées à la procédure civile et prud’homale, la procédure reste identique. Plus précisément, alors que le projet de décret présenté au Conseil supérieur de la prud’homie du 20 novembre dernier retenait l’assignation comme seul mode de saisine pour cette « PAF », les critiques formulées par les organisations syndicales ont permis de rétablir la requête comme mode de saisine possible (l’article R. 1455-12 du code du travail renvoie à l’article R. 1455-9 qui prévoit la requête comme mode de saisine, aux côtés de l’assignation) . Ainsi, la demande de PAF peut être introduire par assignation ou par requête.
A noter que le CERFA ne prévoit toujours que trois demandes de convocation : devant le BCO, devant le BJ et devant la formation de référé. Dans l’optique affichée de lever toute confusion entre référé et procédure accélérée au fond, il aurait été pertinent de prévoir une case spécifique pour la procédure accélérée au fond… Nous avons formulé une demande en ce sens au Ministère, mais d’ici là il semble qu’il faille cocher la case « formation de référé » (voir l’article R.1455-12 sur la « PAF » qui renvoie pour la composition et organisation du conseil des prud’hommes aux dispositions relatives à la formation de référé).
- La fusion des greffes
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Lorsqu’un CPH est situé dans la même commune qu’un tribunal judiciaire ou qu’une chambre de proximité, le greffe du CPH est fusionné dans le greffe du tribunal judiciaire (article L 123-1 du code de l’organisation judiciaire, article R. 1423-36 du code du travail). Seuls 14 CPH ne seraient pas concernés par cette fusion.
Le directeur du greffe du tribunal judiciaire exercera toutes les fonctions de direction de greffe du CPH.
La fusion des greffes représente une baisse des moyens pour les CPH qui ne bénéficieront plus comme avant de greffiers spécialisés qui leur sont entièrement consacrés. Concrètement le ministère a annoncé l’équivalent d’1 suppression de poste de greffier par CPH.
De plus, la suppression des greffes préfigure une suppression des CPH, d’autant plus qu’une baisse de leurs moyens déjà faibles risque d’aggraver les difficultés de fonctionnement de la juridiction, alimentées par le gouvernement.
- Possibilité de jugement sans audience
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Rappelons que la loi prévoit que pour les « petits litiges » la procédure devant le tribunal judiciaire pourra se dérouler sans audience, si les parties en sont à l’initiative (article L. 215-5-1 du code du travail). Le tribunal peut toutefois décider de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites (même article aliéna 2). Cette énième disposition renforce la place de l’écrit dans la procédure qui éloigne encore un peu plus la justice des justiciables.
Vous trouverez ci-après le Droit en Liberté en téléchargement.