RN : « M la Santé », un projet absurde et démagogique contre la santé et la démocratie sociale

Publié le 11 avr. 2022
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Construit comme un livret thématique, le projet « M La Santé » de la candidate RN à la présidentielle s’inscrit pleinement dans la continuité des propositions du FN pour la campagne 2017. Si la sémantique de la « préférence nationale » a été abandonnée dans cette fiche thématique, ce vieux mot d’ordre cher à l’extrême droite reste au cœur de leur « projet santé ».

Sur le fond, le RN reste un parti anti-immigré et ségrégationniste, tout cela en reprenant les grands classiques libéraux de la fraude aux aides sociales et à l’Aide Médical d'Etat (AME). Il défend une gestion technocratique de la SECU contre la « bureaucratie », un renforcement de la médecine libérale et mobilise allègrement le discours managérial de l’efficacité et de la gouvernance.

Le RN ne fait pas de propositions chiffrées et détaillées pour le financement de la plupart de ces mesures. Ces propositions relèvent plutôt de la posture ou de l’incantation. Sous un habillage parfois séduisant, souvent démagogique, il se concentre sur des « problématiques » qui n’en sont pas, propose des constats erronés et porte des propositions contre tout ce que défend la CGT.

 

Un langage managérial contre la démocratie sociale

C’est en premier contre la « bureaucratie » que le programme santé du RN déploie son analyse. Il faudrait ainsi « desserrer l’étau bureaucratique et lever le carcan administratif » des ARS pour « réaffirmer l’autorité de l’Etat ». Aussi, si la pénibilité du travail est évoquée tout comme le manque de personnel soignant (hôpital et urgences), ils sont perpétuellement ramenés au seul caractère bureaucratique des organisations de santé.

 

Face à cela, le RN ne propose pas un sursaut de démocratie mais bien plutôt une organisation du système de santé plus… technocratique sans s’opposer frontalement aux suppressions massives de lits que subissent les soignants depuis de trop nombreuses années.

 

Le RN défend donc une transformation de la « gouvernance » hospitalière en une gestion bicéphale, partagée entre les directions d’hôpitaux et les médecins. La contractualisation avec la DRASS sera l’outil programmatique et d’évaluation principal.

 

Quid des autres soignants et des assurés sociaux ? Quid de la démocratie sociale ?

 

« Efficacité », « Gouvernance », « Mille-feuille bureaucratie », le RN ne peut cacher son jeu en utilisant le vocabulaire du patronat. S’il parle du manque de soignants et de l’effondrement de notre système de santé, il ne critique à aucun moment le développement tous azimuts des logiques capitalistes qui en est la première cause et défend des transformations centrées sur l’efficacité, la rationalisation des dépenses et la fin de la bureaucratie chère au patronat.

 

Enfin, si la CGT considère que le système de santé est trop important pour être laissé dans la main de l’Etat, le RN appelle cela de ses vœux. Contre l’étatisation défendue par le RN, la CGT défend de longue date une socialisation de la protection sociale permettant de recréer les conditions d’une réelle démocratie sociale.

Baisser le recours aux urgences en se reposant sur la médecine libérale

La réorganisation des urgences est un axe central du programme du RN : « Avec plus de 21 millions de passages aux urgences, leur nombre a doublé en 20 ans. Plus de 40% relèvent d’une prise en charge par la médecine de ville… ». Aussi, c’est dans un partenariat renforcé avec les médecins libéraux, dont les pouvoirs et la liberté d’action seraient renforcés, que semble se trouver la solution.

 

Seulement, si les gens passent aux urgences, ce n’est pas par plaisir ou par manque de médecin de ville. Plusieurs études permettent de comprendre ce phénomène de recours aux urgences. En 2020, la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DRESS) révèlent que l’insertion des patients des urgences dans la médecine de ville est très importante[1]. En d’autres termes, les patients que l’on retrouve aux urgences ont plus recours à la médecine de ville. Aussi ce sont surtout les plus fragiles qui utilisent les urgences (moins de 5 ans et plus 85ans, ALD, CMU-C…).

 

Le recours aux urgences relèverait donc avant toutes choses d’une fragilité sociale[2]. L’utilisation inappropriée des urgences, en réalité de l’ordre de 13 à 27% des passages, serait liée à l’absence de complémentaire ou au recours à la CMU-C. Recourir aux urgences est donc plutôt lié à des problématiques socio-économiques mais aussi aux caractéristiques même de la médecine de ville malheureusement trop souvent hostile à toute une partie de la population (liberté tarifaire, refus de soins, installations inappropriée…).

 

Comme le rappelle Nicolas Da Silva, maître de conférences en sciences économiques, « les personnes qui fréquentent les urgences le font parce que bien souvent elles n’ont pas d’autres alternatives »[3] et la médecine libérale n’est surement pas l'unique solution.

 

C’est néanmoins celle-ci que défend le RN en proposant une réorientation des patients vers la médecine libérale, le développement de la télémédecine pour « résoudre les problèmes posés par les déserts médicaux » et de simples incitations financières à l’installation des nouveaux médecins, là où il faudrait un plan complet pour la reconstruction d’un maillage territoriale garantissant un accès aux soins à toutes et tous.

 

A cet égard, la CGT défend un droit à la santé (Repère revendicatif n°22) avec le développement des centres de santé pratiquant le tiers payant social notamment.

 

[1] Layla Ricroch et Tom Seimandi : « 9 patients sur 10 qui se rendent aux urgences consultent aussi leur médecin de ville », Etudes et Résultats, 2021

[2] Da Silva, Nicolas « Le Forfait patient urgence : une mesure d’économie… et c’est le gouvernement qui le dit ! », Alternatives Economiques, 2022.

[3] Da Silva, Nicolas « Le Forfait patient urgence : une mesure d’économie… et c’est le gouvernement qui le dit ! », Alternatives Economiques, 2022.

L’immigration comme bouc émissaire

0.6%. C’est la part que représente l’AME dans les dépenses publiques de santé en France[1]. Ramené à l’ensemble des dépenses de santé, il ne s’agit que de 0.4% de celle-ci. En consacrant une partie importante de ce projet à cette thématique, seule partie à apparaître en gras dans le texte, le RN conforte ses positions anti-immigration et ségrégationnistes.  D’ailleurs, le RN lie directement AME et fraude aux allocations sociales.

 

En réalité, le panier de soin de l’AME est aujourd’hui réduit par rapport à celui des assurés sociaux. Aussi les bénéficiaires de l’AME consommeraient moins de médicaments dits « de conforts » que la population générale.

 

En tout état de cause, une diminution du panier de soin de l’AME entrainerait peu d’économies et aggraverait sans aucun doute l’état de santé des personnes concernées provocant même, et paradoxalement, une augmentation des dépenses de santé (report notamment sur des soins hospitaliers plus onéreux)[2].

 

Au-delà de ces considérations purement économiques, qui montre déjà l’absurdité d’un tel programme de santé, il s’agit avant tout d’une question éthique et morale et plus généralement de santé publique.

 

L’épidémiologiste Richard Wilkinson a montré de longue date que la santé d’une population était intrinsèquement liée aux inégalités au sein d’un même pays[3].

 

Si l’AME est très loin de résoudre les problèmes, elle s’inscrit dans un ensemble de dispositif garantissant une redistribution partielle des richesses et permettant de fait une amélioration de la santé globale de la population. Dans la situation actuelle, supprimer l’AME, c’est faire fi de tous les travaux de recherche qui montrent que prendre soin des populations les plus fragiles c’est prendre soin de la population en général.

 

L’attaque des populations immigrés en grande précarité ne s’arrête pas là puisque la partie consacrée à l’AME est directement liée à la fraude dans le projet du RN, la lutte contre la fraude faisant l’objet d’un projet à part entière dans le programme de la candidate d’extrême droite.

 

[1] Source : Inspection général des affaires sociales – L’aide médical d’état : diagnostics et propositions

[2] Source : Inspection général des affaires sociales – L’aide médical d’état : diagnostics et propositions (p.36)

[3] Wilkinson, R (2014), Les inégalités nous rendent malades, Revue Projet

Quel financement ?

Sans étonnement, le projet du RN n’est pas complètement chiffré. Le site placedelasanté.fr propose néanmoins un chiffrage partiel.

 

La revalorisation salariale des infirmières en soins généraux ayant 20 ans de carrière couterait 422 millions d’euros sur le quinquennat soit une augmentation de 46 euros par moins, bien loin de l’augmentation nécessaire à un rattrapage au moins au niveau du salaire moyen Français.

 

Selon le panorama français de l’OCDE, la France est à la 28ème position sur 32 pays dans le classement des rémunérations des infirmières à l’hôpital par rapport au salaire moyen. Aussi, le salaire moyen d’une infirmière représente seulement 93% du salaire moyen en France, en 2019[1].

 

Les deux milliards d’euros que souhaite consacrer sur 5 ans le RN aux personnels soignants exerçant à l’hôpital, sont loin des besoins nécessaires à de réelles revalorisations et loin des attentes des infirmières qui souhaitent avant tout une amélioration des conditions de travail et des recrutement massifs. Une grande consultation organisée par l’Ordre National des Infirmiers révèle d’ailleurs que l’épuisement professionnel est très important (63% des infirmières) et le manque de reconnaissance est criant, celui-ci ne renvoyant pas seulement à une reconnaissance purement financière[2].

 

Le RN critique enfin le mode de tarification des soins et souhaite revenir aux dotations globales « afin de garantir la qualité des soins ». Rien n’est dit sur le taux directeur qui serait appliqué pour l’évolution de cette dotation globale et rien n’indique que celui-ci permettrait de garantir une évolution cohérente des dépenses de santé avec les besoins des populations.

 

Le retour à une dotation globale n’est pas une fin en soi, surtout si elle s’inscrit dans un ONDAM très restrictif et dont les augmentations annuelles se suffisent même pas à prendre en compte les augmentations spontanées des dépenses de santé[3].

 

La défense d’une étatisation de la SECU par le RN contrevient enfin à la logique même de la cotisation sociale défendue par la CGT. Si rien n’est dit sur le financement de la SECU dans le projet du RN, le recours aux discours patronaux et la volonté d’une étatisation doivent nous alerter sur la forte probabilité d’un financement de la santé par l’impôt, en opposition frontale avec la position défendue par la CGT.

 

[1] Sources : Données European DataLabs

[2] Ordre National des Infirmiers - Livre Blanc

Contre le RN, le projet de la CGT

Contre les attaques sociales et l’étatisation défendue par le RN, la CGT propose un plan complet de Sécurité sociale, basé sur le principe de la cotisation, qui garantit à la fois la santé des populations selon leurs besoins et le retour à une réelle démocratie sociale.

 

Le projet de Sécurité Sociale intégrale (Repère revendicatif n°21) s’appuie sur les principes fondateurs de la Sécu que sont la solidarité et l’universalité, et vise, à partir de ces principes, à répondre aux besoins des personnes quels que soient leur âge ou leur situation professionnelle et, bien entendu, en intégrant de nouveaux besoins non encore couverts.

 

Seul un programme de requête sociale de la SECU est à même de garantir une couverture à la hauteur des besoins des travailleurs et des assurés sociaux, suivant l’adage « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins » et de leur garantir un réel pouvoir de décision sur l’organisation de notre système de santé.

 

Repère revendicatif