Mémo éco - Augmentations de salaires : en 2023, le compte n'y est (toujours) pas !

Publié le 11 juin. 2024
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Dans la publication de la Dares du 22 mars 2024, les résultats définitifs pour le quatrième trimestre 2023 indiquent que les salaires auraient augmenté plus vite que l’inflation fin 2023. En d’autres termes, les salarié∙es auraient regagné du pouvoir d’achat à la fin de l’année 2023, inversant alors la tendance à l’œuvre depuis le début de la crise inflationniste mi-2021.  

De prétendus gains de pouvoir d’achat en 2023

 

Le graphique ci-dessous reproduit les données qui sont présentées par la Dares dans sa publication. Alors que les travailleuses et les travailleurs ont subi des pertes importantes de pouvoir d’achat depuis le deuxième trimestre 2021, la situation semblerait s’améliorer fin 2023. En effet, le salaire horaire de base des ouvriers et des employés (SHBOE) a augmenté de 4,1% entre fin décembre 2022 et fin décembre 2023. Le salaire mensuel de base (SMB) a quant à lui progressé de 3,9%[1]. Dans le même temps, l’indice des prix à la consommation (IPC) hors tabac a lui augmenté de 3,6% entre le quatrième trimestre 2022 et le quatrième trimestre 2023.

 

Glissement annuel (en pourcentage) de l’IPC (hors tabac), du SHBOE et du SMB entre le deuxième trimestre 2020 et le quatrième trimestre 2023.

 

La Dares en conclut que les salarié∙es ont regagné en pouvoir d’achat à la fin de l’année 2023, puisque le SHBOE croît de 0,5% et le SMB de 0,3% sur un an en euros constants[2]. On est très proche de zéro mais on se situerait au-dessus.

 

Cependant, les résultats de la Dares sont dépendants de l’indice des prix qui est utilisé pour mesurer l’évolution du pouvoir d’achat. Dans son étude, elle a recours à l’IPC hors tabac. Or pour mesurer le pouvoir d’achat des ménages, il est nécessaire, au moins, de tenir compte de l’évolution des prix de l’ensemble des biens et services consommés par ces derniers. Si on utilise l’IPC tabac compris, cet indice augmente pour la même période de 3,7%.

 

De surcroît, l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) calculé selon les définitions d’Eurostat constitue un meilleur indicateur que l’IPC privilégié par l’Insee[3]. L’IPCH ne prend en compte que les seules dépenses qui restent à la charge des ménages après remboursement éventuel par les pouvoirs publics ou la sécurité sociale, soit le prix net, alors que l’IPC prend en compte la totalité du prix du bien ou du service concerné, soit le prix brut. Les différences entre ces deux indicateurs sont importantes dans le domaine de la santé. Par exemple, lorsque le remboursement de certaines dépenses de santé diminue, comme avec le doublement de la franchise sur les médicaments et les consultations médicales annoncé par Emmanuel Macron lors de la conférence de presse du 16 janvier 2024, cela n’augmente pas le prix brut et n’a donc pas d’effet sur l’IPC. En revanche, cela augmente le prix net payé par les ménages et est donc pris en compte dans le calcul de l’IPCH.

 

Entre fin 2022 et fin 2023, l’IPCH augmente de 4,1% sur un an. En retenant cet indicateur, il apparait désormais que le pouvoir d’achat du SHBOE stagne (0%) à la fin de l’année 2023, tandis que celui du SMB continue de baisser (-0,2%). C’est ce que montre le graphique ci-dessous.

 

De plus, les résultats de la Dares dépendent en grande partie de la façon dont ils sont présentés. L’évolution du SHBOE, du SMB et de l’indice des prix est présentée en glissement annuel, c’est-à-dire que l’on compare le niveau de ces variables à un trimestre donné par rapport à son niveau au même trimestre de l’année précédente. Par exemple, lorsque la Dares écrit que « le SHBOE augmente de 4,1% fin décembre 2023 », elle compare en fait le niveau du SHBOE du quatrième trimestre 2023 par rapport à son niveau du quatrième trimestre 2022. Cela lui donne le taux d’évolution en pourcentage du SHBOE entre ces deux dates.

 

 

Toutefois, il est primordial de rappeler qu’il faut réfléchir en moyenne annuelle plutôt qu’en glissement annuel pour mesurer l’évolution de l’inflation et, in fine, du pouvoir d’achat. Les résultats en moyenne annuelle sont plus représentatifs de l’inflation observée sur l’année, alors que les résultats en glissement annuel ne vont comparer que les derniers mois d’une année à ceux de la précédente. Or il est possible que même si l’inflation ralentit sur les derniers mois de l’année, elle demeure forte sur l’ensemble de l’année. Il en est de même pour les salaires dont la croissance peut s’accélérer en fin d’année, mais être faible sur l’ensemble de l’année. Aussi, les augmentations de salaires doivent être calculées pour l’année, donc en référence à une inflation annuelle et pas trimestrielle.

 

Glissement annuel (en pourcentage) de l'IPC, de l’IPCH, du SHBOE et du SMB entre le deuxième trimestre 2020 et le quatrième trimestre 2023.
Une perte durable de pouvoir d’achat !

 

Pire encore, une analyse des prix en niveau et non plus en évolution permet de mettre en évidence les pertes de pouvoir d’achat qui se sont accumulées depuis trois ans pour les salarié∙es. En effet, même si l’inflation ralentit, les prix ne diminuent pas : ils ne reviennent pas à ce qu’ils étaient avant la crise inflationniste. Même si l’inflation ralentit, les prix continuent d’augmenter et ils le font à partir d’un niveau qui est désormais plus élevé[1]. En comparant le niveau des salaires et des prix d’aujourd’hui à ce qu’ils étaient il y a trois ans, on peut faire apparaitre les gains ou les pertes cumulées de pouvoir d’achat. Le graphique ci-dessous montre que sur les trois dernières années, les travailleuses et les travailleurs ont perdu plus de 5 points de pouvoir d’achat !

 

Concrètement, pour un∙e travailleur∙se rémunéré∙e au salaire médian, la perte de 5 points de pouvoir d’achat depuis 2020 se traduit par une perte, en 2023, de 143 euros de pouvoir d’achat par mois, soit 1716 euros par an[2] !

 

Évolution de l’IPCH, du SHBOE et du SMB entre le deuxième trimestre 2020 et le quatrième trimestre 2023 (base 100 au T2 – 2020).

 

Une autre façon de se représenter l’ampleur de ces pertes est de se demander à quel point dans le temps elles nous ramènent en termes de pouvoir d’achat. À partir des données de la Dares, nous montrons qu’à la fin de l’année 2023, le pouvoir d’achat du salaire mensuel de base est revenu à son niveau de fin 2012 ! En d’autres termes, les pertes de pouvoir d’achat qui ont eu lieu entre 2020 et 2023 ont complétement effacé les gains qui avait été faits entre 2012 et 2020, faisant ainsi disparaitre 8 ans de progression salariale, et faisant revenir les travailleuses et les travailleurs 11 ans en arrière. C’est ce que montre le graphique ci-dessous.

 

Évolution du SHBOE et du SMB déflatés par l’IPCH entre le quatrième trimestre 2012 et le quatrième trimestre 2023 (base 100 au T4 – 2012).

En reprenant les projections macroéconomiques de la Banque de France, nous pouvons essayer de nous faire une idée des hausses de salaires qui seraient nécessaires sur les deux années à venir afin de rattraper les pertes de pouvoir d’achat cumulées depuis le deuxième trimestre 2020.

Selon la Banque de France, qui utilise aussi l’IPCH, cet indice augmenterait de 2,5% en 2024 et de 1,8% en 2025. Sous de telles hypothèses, il faudrait que les salaires augmentent d’environ 4,5% par an en moyenne sur les deux prochaines années pour rattraper les pertes de pouvoir d’achat subies depuis le début de la crise inflationniste.

Cependant, ces résultats reposent sur le fait que les projections de la Banque de France soient correctes, en d’autres termes que l’inflation reviennent bien vers les 2% d’ici 2025. Or nous avons vu que les projections d’inflation des différentes institutions de prévisions économiques s’étaient souvent avérées fausses depuis le début de la crise inflationniste. De plus, ces projections sont très différentes d’une institution à l’autre. Par exemple, l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE) anticipent pour sa part une hausse de l’IPC de 3,3% en 2024 !

Par conséquent, si l’inflation venait à augmenter plus fortement que les projections de la Banque de France, ce qui est fort probable étant donné que ces dernières sont très optimistes, les hausses de salaires devraient être plus importantes. En supposant, par exemple, que la hausse des prix resterait aux environs des 3% en 2024 et en 2025, il faudrait que les salaires augmentent de près de 5,5% par an en moyenne sur les deux prochaines années ! On est alors (très) loin des montants qui sont annoncés pour l’instant par les cabinets d’expertise, qui prévoient des hausses de salaires plus faibles qu’en 2023, et comprises entre 3% et 4% en 2024[3].

Sans augmentation importante des salaires dès cette année, les pertes de pouvoir d’achat risquent bien d’être aggravées et durables.

 

[1] La baisse du niveau général des prix (IPC ou IPCH) s’appelle la déflation. En revanche, un ralentissement dans la hausse des prix s’appelle la désinflation. Par exemple, si l’inflation ralentit et passe de 2 à 1%, on parle de désinflation. Par contre, lorsque l’inflation passe de 2 à -1%, les prix baissent désormais et on parle alors de déflation.

[2] De nouveau, même si les salaires monétaires sur la fiche de paie ont continué à augmenter sur cette période, la hausse des prix a été plus importante, ayant pour effet de réduire le pouvoir d’achat des travailleur∙ses.

[3] Selon le Centre Études et Data du groupe Alpha, les NAO ont débouché sur des augmentations moyennes de 3,5% en 2024 contre 4,6% en 2023.

À retenir 
  • Si on mesure l’inflation à partir de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) selon la définition d’Eurostat, qui constitue un indicateur plus juste que l’indice des prix à la consommation (IPC) privilégié par l’Insee, il apparait que les salaires n’ont pas augmenté plus vite que l’inflation fin 2023.
  • De plus, en raisonnant en moyenne annuelle plutôt qu’en glissement annuel, on montre que les salaires ont augmenté moins vite que l’inflation en moyenne en 2023, ce qui entraine de nouvelles pertes de pouvoir d’achat pour les salarié∙es.
  • Pire, si on compare le niveau des salaires et des prix d’aujourd’hui à ce qu’ils étaient il y a trois ans, on constate que les travailleuses et les travailleurs ont perdu, en cumulé, plus de 5 points de pouvoir d’achat. Pour un∙e travailleur∙se rémunéré∙e au salaire médian en 2020, cela représente une perte de 143 euros de pouvoir d’achat par mois, soit 1716 euros par an (en euros constants) en 2023.
  • À la fin de l’année 2023, le pouvoir d’achat du salaire mensuel de base est revenu à son niveau de fin 2012.
  • Compte tenu de l’évolution attendue de l’inflation, les augmentations de salaires connues pour 2024 sont très insuffisantes, et de ce fait les pertes de pouvoir d’achat risquent d’être durables.

 

 

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