Mémo éco - Le rapport Blanchard / Tirole ou le « déni économique » de la France

Publié le 30 juin. 2021
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Ce mercredi 23 juin, un collectif d’économistes ont rendu un rapport[1] présentant leurs propositions pour faire face à trois enjeux majeurs : la crise climatique, les inégalités et la démographie. Ce rapport était une commande du Président macron datant de mai 2020...

Ce mercredi 23 juin, un collectif d’économistes ont rendu un rapport[1] présentant leurs propositions pour faire face à trois enjeux majeurs : la crise climatique, les inégalités et la démographie. Ce rapport était une commande du Président macron datant de mai 2020.

Les rapporteurs sont Jean Tirole (prix de la Banque de Suède en sciences économique en mémoire d’Alfred Nobel) et Olivier Blanchard (ancien chef économiste FMI), autrement dit deux pontes de l’économie dominante.

Ils ont décidé de s’entourer uniquement d’économistes, dont l’écrasante majorité est issue des courants dits « standards » (principalement tournés vers le marché), laissant de côté les chercheur-se-s des autres courants (marxistes, post-keynesiens, économie écologique, institutionnaliste, etc.) et des autres sciences sociales. On peut regretter ce manque d’ouverture. Les rapporteurs mettent en avant la pseudo « diversité » de cette commission, en réalité il ne s’agit que d’économistes « mainstream » avec des représentants des « variants » de la pensée libérale classique mais aucun économiste hétérodoxe[2].

A moins d’un an de l’élection présidentielle et à quelques mois de l’ouverture de la campagne électorale (si elle n’est pas déjà commencée), ce rapport pourrait constituer la base programmatique du candidat Macron, il convient donc d’y apporter une attention particulière.

Afin d’analyser les principales propositions de ce rapport, nous étudierons séparément les différents chapitres, en commençant ici par celui portant sur les inégalités.

Les auteur-rice-s du rapport ont distingué trois moments auxquels intervenir pour réduire les inégalités. Tout d’abord en amont de la production, c’est-à-dire sur les inégalités de patrimoine et de « capital humain ». Dans leur cadre conceptuel, cela revient en fait à garantir « l’égalité des chances ».

Ensuite, il est question des inégalités au moment de la production, c’est-à-dire sur le « marché du travail » et dans les entreprises.

Enfin, malgré les mesures qu’ils proposent, censées limiter l’apparition et la reproduction des inégalités, le rapport fait état de mesures pour réduire les inégalités après la production, il s’agit donc de la redistribution et de la protection sociale. Nous avons décidé de reprendre ces dénominations, éminemment discutables, et de conserver l’ordre de traitement du rapport, afin de permettre aux camarades qui le souhaiteraient de retrouver plus facilement les passages du rapport dont il est question ici.


[1] https://www.strategie.gouv.fr/publications/grands-defis-economiques-commission-internationale-blanchard-tirole

[2] Le terme d’hétérodoxe s’inscrit en opposition à celui d’orthodoxe qui qualifie un économiste qui opère dans le courant de la pensée dominante c’est-à-dire d’inspiration libérale à l’heure actuelle.

Les inégalités en amont de la production

Les inégalités scolaires

Les constats énoncés par ce rapport sont assez consensuels. En effet, il est mis en avant que le système scolaire français est très inégalitaire et que la France fait pâle figure dans les classements internationaux concernant le niveau scolaire de ces élèves.

De plus, il est clairement indiqué que « (…), les salaires des enseignants (sont) trop faibles en France, (…) ».

Malgré cela, les réponses proposées sont totalement déconnectées des enjeux. Les auteur-rice-s plaident ainsi pour étudier « sans préjugé » la possibilité de recruter des enseignant-e-s avec un CDI de droit privé mais en contrepartie un salaire plus élevé et faciliter la mobilité public/privé pour les professeurs ou encore de différencier la rémunération des enseignant-e-s selon la matière enseignée, selon l’offre et la demande dans ces matières.

C’est là une totale remise en cause du statut de la fonction publique et de la qualité du service public en tant que tel par manque de volonté politique d’investir les moyens nécessaires.

Les inégalités de patrimoine

Là aussi, nous partageons sensiblement les constats qui sont dressés, à savoir que le système de taxation des successions actuel « encourage des ménages bien informés à pratiquer l’optimisation fiscale » et que cela nuit à la justice sociale. En effet, comme le souligne le rapport, les taux de taxation apparaissent élevés en France mais il existe de multiples mécanismes pour échapper en partie à l’impôt ; or ce sont les ménages les plus fortunés qui profitent le plus de ces dispositifs.

Pour contrer cela, « la commission recommande de taxer mieux plutôt que de taxer davantage ».

L’idée développée est donc de simplifier le système en basant la taxation au niveau du bénéficiaire de la succession et non du donateur. Il ne s’agit que d’une ébauche de projet sur laquelle on se gardera de donner un avis. Comme le souligne le rapport « avant d’entreprendre une réforme, de plus amples travaux doivent être conduits ». Cependant, même si la réponse semble timide, on rejoindra les préoccupations des auteur-rice-s qui appellent à une véritable réflexion, d’autant plus lorsque l’on sait qu’aujourd’hui 80% des milliardaires français ont hérité de leur fortune.

 

De plus, on ne peut que constater que les derniers actes du gouvernement vont à l’encontre de ces recommandations puisque des mesures ont été prises pour faciliter la transmission du patrimoine aux héritiers, officiellement pour « favoriser la consommation de l’épargne accumulée durant le Covid ». On sait très bien que taxer davantage les plus gros patrimoines, de leur vivant ou pas, est un tabou pour le Président Macron et qu’aucune mesure en ce sens ne sera prise tant qu’il sera au pouvoir.

Inégalités après la production

Ce passage n’est qu’une ode à la politique fiscale de Macron et notamment au prélèvement forfaitaire unique[1].

Les économistes avancent que le capital est mobile et donc difficile à taxer puisqu’il peut facilement être déplacé pour échapper à l’impôt. Plutôt que de se battre contre cet état de fait, la France doit, selon le rapport, continuer à baisser son imposition du capital pour attirer les capitaux.

Le rapport fait tout juste quelques propositions pour lutter contre l’évasion fiscale en se basant sur la coopération internationale et l’intelligence artificielle. Il n’est pas fait mention des moyens humains nécessaires pour mener les contrôles alors que l’on sait que les effectifs baissent.

On l’observe également en ce moment à l’Inspection du Travail qui peine à contrôler tous les employeurs suspectés de fraude au chômage partiel.

Le rapport indique « Il convient donc de mettre en place un processus d’évaluation et de révision des différentes exonérations fiscales », c’est assez cocasse, quelques semaines après un rapport démontrant l’inefficacité du Crédit Impôt Recherche, qui coûte pourtant plus de 6 milliards d’euros par an aux finances publiques.

 

[1] Voir article Lettre éco septembre 2020 : « Fin de l’ISF et PFU, les effets de ces cadeaux aux plus riches confirmés »

Mesures au moment de la production

Une fois de plus, le commerce international et la compétition qui en découle sont pris comme des éléments donnés, dont il serait impossible de se défaire. Pour appuyer cette fatalité il est même indiqué que des tentatives de restrictions commerciales « donnerai(en)t lieu à des représailles », cet argument d’autorité devant clore tout remise en cause possible du libre-échange (et donc de la soumission du travail aux « forces du marché »).

A partir de ce constat, biaisé donc, les mesures visent logiquement à permettre à la France (ou plutôt aux capitalistes français) de figurer le mieux possible dans cette compétition internationale.

Pour cela, les auteur-rice-s préconisent une formation accrue des travailleur-se-s notamment en concédant des exonérations de cotisations patronales aux employeurs pour inciter les entreprises à augmenter leurs efforts en termes de formation professionnelle. 

De manière plus générale, ce rapport parle de production et de la nécessité de créer des « emplois de qualité » mais il n’est jamais fait mention du contenu de la production ni des besoins des populations.

Le rapport préconise donc des travailleur-se-s mieux formées pour produire plus, des biens et service à forte valeur ajoutée mais on ne sait pas pour produire quoi, ni pour qui et en réponse à quels besoins.

De plus le rapport fait l’impasse sur les inégalités de revenus, les traitant implicitement sous l’angle des qualifications des travailleur-se-s laissant penser que les inégalités de revenus que l’on constate ne sont que le résultat de qualifications différentes. Cela ne dit donc rien des inégalités qui découlent du conflit entre rémunération du travail et du capital.

 

En définitive, si certains constats peuvent être partagés, on ne que regretter les solutions proposées qui apparaissent en totale déconnexion des enjeux. La logique qui prévaut est une confiance aveugle dans le marché. Comme toujours avec ces économistes, le marché n’est pas le problème mais la solution. Cela vaut également pour le chapitre sur le climat que l’on traitera dans le prochain mémo.

Repère revendicatif