Investir dans le secteur du soin et du lien relève d’un double enjeu pour l’égalité : d’une part, répondre aux besoins sociaux de la petite enfance jusqu’à la perte d’autonomie, c’est permettre de socialiser une partie des tâches domestiques majoritairement assumées par les femmes et d’autre part, c’est aussi un moyen de revaloriser tous ces métiers, leurs salaires et leurs conditions de travail, métiers très largement féminisés.
En s’appuyant sur une campagne de la CGT sur ce thème, une étude a été réalisée pour la CGT par différent.es économistes[1]. Nous présentons ici les résultats de la première partie de la recherche, réalisée par François-Xavier Devetter, Muriel Pucci et Julie Valentin[2]. Il s’agit de donner un ordre de grandeur de l’investissement nécessaire dans ce secteur, afin de revaloriser les métiers existants et bien sûr de créer suffisamment d’emplois de qualité pour couvrir tous les besoins sociaux.
[1] Chassoulier Louisa, Devetter François-Xavier, Lemière Séverine, Pucci Muriel, Silvera Rachel (coord.) et Valentin Julie (2023), Investir dans le secteur du soin et du lien aux autres : un enjeu de l’égalité entre les femmes et les hommes, Rapport final IRES - CGT, janvier. https://ires.fr/publications/cgt/investir-dans-le-secteur-du-soin-et-du-lien-aux-autres-un-enjeu-degalite-entre-les-femmes-et-les-hommes/
[2] Pour connaître les autres parties de l’étude, voir par exemple le dossier réalisé par le Peuple, n°1777, juillet 2023, ou encore Lemière Séverine et Silvera Rachel, 2023, « Reconnaître le travail pour établir l’égalité salariale entre les femmes et les hommes : le cas des sages-femmes », in Palier Bruno (dir.), Que sait-on du travail?, LIEPP, SciencesPo. https://www.sciencespo.fr/liepp/fr/content/severine-lemiere-rachel-silvera-reconnaitre-le-travail-pour-etablir-l-egalite-salariale-entr.html
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Combien d’emplois dans le secteur du soin et du lien aux autres et quel est le coût de leur revalorisation ?
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Les « métiers du soin et du lien aux autres » peuvent se décomposer en cinq grandes « fonctions sociales » : la petite enfance, l’éducation, la santé, la perte d’autonomie (personnes âgées et en situation de handicap) et enfin les services d’action sociale. Que l’on entre par les secteurs d’activité ou les professions exercées, les résultats sont proches : environ 3,5 millions de salarié·es (soit plus de 10% de l’emploi) remplissent, à titre principal, des fonctions de soin, d’accompagnement ou d’éducation. 75% de ces salarié·es sont des femmes (ce qui correspond à près de 20% de l’emploi féminin).
Pour déterminer le « salaire cible » d’une profession, on prend le salaire mensuel net moyen observé pour le niveau de diplôme attendu pour l’exercice de la profession, du BEP au Bac+5. Les revalorisations de salaire qui en résultent varient alors de 12 à 89 % selon les professions et le secteur (public ou privé). Elles correspondent à des montants qui excèdent celui des primes de revalorisation dîtes primes Ségur obtenues pour les professions médicales et des revalorisations permises par l’application de l’avenant 43 de la Convention collective de la branche de l’Aide à domicile associative.
Il s’agit ensuite de calculer le coût pour les finances publiques de ces revalorisations. Ce coût total intègre les hausses de cotisations employeurs, mais aussi les variations des exonérations de cotisations, ainsi que les variations de transferts socio-fiscaux que cela engendrera (prime d’activité, allocations logements impôts sur le revenu…). Des calculs effectués sur cas-type par profession ont ainsi permis de prendre en compte les situations familiales.
Au total, les mesures de revalorisation qui permettraient de ramener les professions du soin, du lien et de l’accompagnement au niveau correspondant à leur qualification ont un coût brut de 26,8 milliards pour le secteur privé (en supposant qu’il ne répercute pas la hausse de salaire sur ses tarifs) et de 16,5 milliards pour le secteur public, soit un total de 43,3 milliards. Ces dépenses entraîneraient parallèlement plus de 8 milliards de recettes pour l’État et la Sécurité sociale. On estime donc le coût net de cette revalorisation à 35 milliards (1,4% du PIB). Si on raisonne en termes monétaires, on peut constater ici que les revalorisations du Ségur dont le coût est estimé à 7,6 milliards correspondent à moins de 20 % de l’effort envisagé dans notre étude.
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Combien d’emplois faut-il pour satisfaire les besoins sociaux ?
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Des créations d’emplois dans ce secteur sont justifiées à la fois par les besoins sociaux qu’ils permettent de satisfaire, par l’importance des disparités territoriales en matière d’accès à ces services et par la dégradation des conditions d’emploi que leur nombre insuffisant fait supporter aux salarié·es. Le critère central de dénombrement des créations d’emplois repose sur les besoins sociaux tels qu’on peut les identifier à partir des populations qui bénéficient de ces services et de leurs disparités territoriales. Ainsi, pour chaque département et pour les cinq domaines au cœur de notre analyse (la petite enfance, l’éducation, la santé, la perte d’autonomie et enfin les services sociaux), nous associons les populations cibles (personnes de plus de 65 ans, de moins de 4 ans…) aux effectifs des salarié·es des professions qui prennent soin d’elles, pour définir un « taux de service » par secteur. Cela permet de définir un taux de service cible à l’ensemble des départements et d’estimer le manque à combler. Deux scénarios sont proposés : un alignement au niveau du 25e département et un alignement au niveau du 2e département pour chaque secteur. Par exemple on quantifie le nombre d’emplois qu’il faudrait créer dans le secteur de la petite enfance pour que tout le territoire français bénéficie d’autant de places d’accueil rapportées à la population des enfants de moins de 4 ans que le département de l’Eure ou de la Savoie (hypothèse basse) ou des Hauts-de-Seine (hypothèse haute).
L’augmentation du nombre d’emplois requise est alors de 330 500 dans le cas du premier scenario (scénario bas) et de 1 132 500 pour le plus ambitieux (scénario haut) ce qui induit une hausse de l’emploi de 36 %.
Réduire les inégalités territoriales et améliorer l’accessibilité aux services du lien et du soin nécessite des recrutements importants : près de 300 000 emplois sont nécessaires pour faire face aux inégalités les plus criantes mais ce sont plus d’un million de postes qui serait nécessaire pour envisager, dans toute la France, un niveau de service de qualité. Atteindre un même taux d’emploi dans ces services que la Suède porterait même les besoins à plus de 1,7 million de postes.
Estimation des créations d’emplois dans le secteur du soin et du lien aux autres
En milliers
Emplois actuels
Créations d’emploi (scénario bas)
Créations d’emplois (scénario haut)
Petite enfance
491
+ 76
+ 218
Perte d’autonomie
967
+ 48
+ 223
Action sociale
306
+ 42
+ 154
Santé
861
+ 103
+ 327
Éducation primaire
493
+ 60
+ 209
Ensemble
3 119
+ 330
+ 1 132
Hausse en %
+ 11 %
+ 36 %
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Quel est le coût total de la revalorisation des métiers existants et de la création de ces nouveaux emplois revalorisés ?
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Au total, dans la perspective la plus favorable à l’égalité, la création des 1 132 500 emplois a un coût net pour les finances publiques de 44 milliards. En lui ajoutant le coût de la revalorisation des emplois existants, le bilan total pour les finances publiques des revalorisations et des créations d’emplois dans cette configuration (scénario haut, emplois revalorisés), qui paraît la plus souhaitable, s’élève à près de 80 milliards, soit 3,2 % du PIB. Pour donner un ordre de grandeur, ce montant est très proche des exonérations de cotisations patronales et représente moins de la moitié des aides publiques aux entreprises !
Estimations de l’investissement total pour revaloriser les emplois existants et les créations d’emplois revalorisés
En milliards d’euros
Revalorisation des emplois existants
Créations d’emploi revalorisés
Total
Petite enfance
5,3
6
11,3
Perte d’autonomie
12
6,9
18,9
Action sociale
3,8
8
11,8
Santé
5,8
12,8
18,5
Éducation primaire
8,2
10,4
18,6
Ensemble
35
44
79,1
Soit 1,4% du PIB
Soit 1,8% du PIB
Soit 3,2% du PIB