
Le gouvernement Barnier a rendu public son projet de loi de finances et son projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 le 10 octobre dernier. Celui-ci poursuit et aggrave les orientations budgétaires austéritaires décidées par le précèdent gouvernement en début d’année.
Si rien n’est fait, le gouvernement estime que le déficit public atteindrait 6,9% du PIB en 2025. Après l’annonce par Bruno Le Maire d’une baisse de 10 milliards d’euros des dépenses publiques en février 2024, en plus des 16 milliards qui étaient déjà prévus dans le projet de loi de finances pour 2024, le gouvernement vient donc d’annoncer un plan massif d’économies de 60 milliards d’euros en 2025 afin d’atteindre un déficit public de l’ordre de 5% du PIB l’année prochaine.
Toutefois, cet effort budgétaire va se faire essentiellement sur le dos des travailleur·ses et des retraité·es, alors que le déficit public s’est creusé depuis 7 ans du fait de la multiplication des cadeaux fiscaux faits aux grandes entreprises et aux ménages les plus riches. Aussi, il fait peser le risque d’un ralentissement de l’activité économique, voire d’une entrée en récession de l’économie française, et d’une montée du chômage d’ici la fin de l’année 2025.
- Un budget 2025 austéritaire
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Alors que le creusement du déficit et de la dette publique s’explique en grande partie par les baisses d’impôts massives accordées aux entreprises et aux ménages les plus riches depuis le premier quinquennat Macron en 2017, pour un montant de près de 76 milliards d’euros par an, ces cadeaux fiscaux vont désormais être payés par une nouvelle dégradation des services publics, par une baisse des prestations sociales et par un retard dans les nécessaires dépenses de transition écologique[1].
Sur les 60 milliards d’euros d’économies annoncées par le gouvernement, les deux tiers vont prendre la forme d’une réduction des dépenses publiques. Ces 40 milliards se répartissent entre une baisse de 21,5 milliards d’euros des dépenses de l’État, de 14,8 milliards des dépenses de protection sociale et de 5 milliards des dépenses des collectivités locales. Le tiers restant, soit 20 milliards d’euros, est obtenu par une hausse des prélèvements obligatoires, dont 13,6 milliards sur les entreprises et 5,7 milliards sur les ménages.
Parmi les mesures de réduction de la dépense publique, on retrouve par exemple[2] : une baisse des aides écologiques, la suppression de postes dans la fonction publique, le gel du point d’indice des fonctionnaires et dans le cadre du Projet de loi de Financement de la Sécurité Sociale, une réduction du taux de prise en charge des consultations médicales par l’Assurance Maladie de 70% à 60% alors que leur montant va augmenter, la baisse du montant des indemnités journalières de Sécurité sociale, ou encore le gel des pensions de retraites pendant six mois. Concernant la hausse de la fiscalité, les grandes entreprises sont mises à contribution à travers une taxe exceptionnelle sur leurs bénéfices ou encore par une fiscalisation des rachats d’actions. Les ménages sont aussi concernés par les hausses d’impôts avec notamment une augmentation de la fiscalité de l’énergie et de la fiscalité environnementale.
Au bout du compte, l’essentiel de l’ajustement budgétaire va reposer sur les travailleur·ses et les retraité·es, étant donné que la taxation des plus riches et des grandes entreprises ne serait augmentée que temporairement et ne permettrait de récolter que des montants dérisoires. Celle-ci ne permettrait en effet que de lever un peu plus de 10 milliards d’euros, et cela de façon temporaire, sur les 60 milliards d’économies annoncées[3].
De ce fait, même si les discussions actuelles autour du budget s’apparentent à des débats techniques entre expert∙es, il s’agit avant tout de choix politiques dont les conséquences concrètes sur la vie des travailleur·ses et des retraité·es sont importantes. C’est ce que montre l’économiste Anne-Laure Delatte dans sa contribution sur Alternatives Économiques : « on le sait, couper les dépenses publiques affecte le revenu d’une majorité des ménages et d’entreprises. Dans le budget 2025, c’est le cas de la désindexation des pensions de retraite qui représente un coût de 300 euros en moyenne par an et par retraité ou encore de la moindre prise en charge par la Sécurité sociale du prix de la consultation chez le médecin qui devrait entrainer une augmentation du prix des mutuelles ».
Toutefois, il faut rappeler que les choix budgétaires du gouvernement ne s’imposent absolument pas, et qu’ils ne s’expliquent que par son obstination à ne pas s’attaquer de front à la question de la fiscalité des ménages les plus riches et des aides publiques aux entreprises et à vouloir revenir sous les 3% de déficit d’ici 2029 afin de respecter, quoiqu’il en coûte, les traités européens.
D’autres choix sont donc possibles plutôt que celui de la baisse des dépenses publiques. Par exemple, le gouvernement aurait pu taxer les dividendes ou les superprofits, imposer les transactions financières ou modifier l’imposition sur les successions. Il aurait également pu revenir sur une partie des cadeaux fiscaux faits aux entreprises, dont le montant est de 175 milliards d’euros en 2022. C’est le cas de la baisse des impôts de production pour un montant de 10 milliards d’euros décidée en 2020 ou encore des exonérations de cotisations sociales au-delà du seuil de 1,6 SMIC, dont la littérature économique a prouvé qu’elles étaient inefficaces et dont le montant s’élève à plus de 15 milliards d’euros !
[1] C’est la stratégie du « Starve the beast » que nous avions présenté dans le mémo éco n°135 : en réduisant les impôts, on prive l’État de ses ressources, ce qui l’oblige à terme à couper dans ses budgets et, in fine, à réduire ses dépenses.
[2] Un décryptage détaillé du projet de loi de finances pour 2025 ainsi qu’une présentation des propositions CGT sur le PLF sont disponibles ici : https://www.cgt.fr/actualites/france/legislation/budget-2025-pas-question-de-payer-la-facture
[3] Ces mesures n’étant que temporaires, cela laisse à penser qu’elles seront en plus remplacées dès l’année prochaine par de nouvelles coupes dans la dépense publique.
- Le risque d’un cercle vicieux austéritaire
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Le plan d’austérité budgétaire proposé par le gouvernement est inédit dans l’histoire française par son ampleur, puisqu’il représente à peu près 2% du PIB français, ce qui équivaut au premier plan d’austérité appliqué à la Grèce en mars 2010. Il fait alors peser de sérieux risques sur la croissance économique et sur la situation sociale française à travers ce que les économistes appellent l’effet multiplicateur de la dépense publique et des impôts.
À quoi correspond cet effet multiplicateur ? Lorsque l’État réduit ses dépenses publiques et/ou augmente ses impôts, cela réduit la demande qui est adressée aux entreprises, ce qui a un effet récessif sur l’activité économique. L’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE) estime que cet effet multiplicateur est plus élevé pour la dépense publique que pour les prélèvements obligatoires. Concrètement, pour un euro de baisse de la dépense publique, l’organisme considère que le PIB diminue d’un euro, alors que la baisse de la production est de 40 centimes pour une hausse d’un euro des impôts. De ce fait, le choix du gouvernement de réduire le déficit public en grande partie par des baisses de dépenses est irresponsable car il renforce les risques récessifs pour la croissance économique et l’emploi.
En tenant compte de l’effet des économies budgétaires sur l’activité économique, la dernière projection de l’OFCE montre que le projet de budget du gouvernement réduirait la croissance économique de l’ordre de 0,8 point de PIB en 2025 et entrainerait une montée du chômage à 8% d’ici la fin de l’année prochaine. Même le Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP) interroge les prévisions de croissance du gouvernement car il « estime que le scénario macroéconomique pour 2025 est dans l’ensemble fragile. […] Le scénario du gouvernement […] suppose ainsi que, sans ajustement budgétaire, la croissance aurait été en forte hausse en 2025, à un niveau de 1,7%. […] Pour 2025, en conséquence, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance est un peu élevée compte tenu de l’orientation restrictive du scénario de finances publiques associé ».
Dans le cas où les prévisions de croissance seraient encore revues à la baisse, le gouvernement devrait donc réduire plus fortement les dépenses publiques pour atteindre son objectif d’un déficit public à 5% du PIB en 2025. Si l’activité économique ralentit, il y aura effectivement moins de rentrées fiscales sous forme de TVA, d’impôts sur le revenu, d’impôt sur les sociétés ou encore de cotisations sociales. Et si le chômage augmente, cela signifie plus de dépenses de protection sociale. En d’autres termes, baisser les dépenses publiques revient à freiner la croissance, et donc à réduire de nouveau les recettes de l’État et à augmenter les dépenses, ce qui appelle à des coupes budgétaires supplémentaires.
C’est d’ailleurs ce qu’anticipe l’OFCE, pour qui le gouvernement ne serait pas en mesure d’atteindre son objectif de déficit public en 2025 à cause de l’effet sur la croissance économique du projet de budget. L’organisme estime en effet que le déficit public serait de 5,3% du PIB en 2025. Ces éléments laissent alors à penser que si l’orientation politique ne change pas, les baisses de dépenses publiques risquent de se poursuivre et de s’intensifier dans les mois et les années qui viennent, ce qui ferait entrer la France dans une spirale austéritaire[4].
[4] Une note du Conseil d’Analyse Économique (CAE) publiée en juillet 2024 préconisait d’ailleurs de réduire de 112 milliards d’euros les dépenses publiques sur les sept prochaines années afin de réduire le déficit et la dette publique.
- À retenir
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- Le gouvernement Barnier prévoit un plan massif d’économies budgétaires en 2025, à hauteur de 60 milliards d’euros. Pour cela, il réduirait de 40 milliards d’euros les dépenses publiques et augmenterait de 20 milliards les prélèvements obligatoires.
- Les économies budgétaires vont surtout se faire sur le dos des travailleur·ses et des retraité·es, alors que le déficit public s’est creusé du fait de la multiplication des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux ménages les plus fortunés.
- Le projet de budget du gouvernement va freiner la croissance économique, voire faire entrer l’économie française en récession, et entrainer une montée du chômage. Cela est d’autant plus vrai que le gouvernement a fait le choix irresponsable de réduire les dépenses publiques plutôt que d’augmenter les prélèvements obligatoires sur les grandes entreprises et les ménages les plus riches.
- De par son effet sur la croissance économique et, in fine, sur les recettes et les dépenses publiques, le projet de budget ne sera pas suffisant pour que le gouvernement atteigne son objectif d’un déficit public à 5% en 2025. Si rien ne change politiquement, de nouvelles coupes dans les dépenses publiques sont donc à prévoir en 2025, ce qui ferait entrer la France dans une spirale austéritaire.