Dans le cadre d’une étude commandée par la CGT, des économistes du Clersé et du LEM[1] ont chiffré le montant des aides publiques bénéficiant aux entreprises françaises. Le rapport montre que la puissance publique continue de maintenir le système capitaliste français sous perfusion. Alors que le montant des aides publiques était de 9,4 milliards d’euros (2,4% du PIB) en 1979, l’intervention de l’État dans l’économie au service du capital n’a cessé de croître, pour atteindre un montant de 175 milliards d’euros (6,6% du PIB) en 2022.
[1] Il s’agit du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé) et du Lille Économie Management (LEM) rattachés à l’Université de Lille.
À retenir :
La puissance publique peut aider les entreprises de deux façons : (1) en augmentant les dépenses budgétaires de subventions ; (2) en réduisant les prélèvements obligatoires.
L’indicateur développé pour la CGT permet de chiffrer le montant global des aides publiques aux entreprises et de suivre son évolution dans le temps : en 2022, elles atteignent 174,8 milliards d’euros, voire 228,7 milliards en tenant compte des dépenses fiscales déclassées.
D’autres choix sont donc possibles, car des marges de manœuvre importantes existent pour mettre en œuvre et financer les propositions portées par la CGT, à condition de ne plus verser ces aides aux entreprises sans contreparties et sans conditions.
Les revendications de la CGT sont claires : conditionnalité sociale et environnementale des aides publiques aux entreprises, contrôle et suivi de l’utilisation des aides à partir des conditions et/ou des contreparties définies ou encore investissement dans les services publics et les emplois publics plutôt que versement d’aides publiques quand elles font preuve de leur inefficacité.
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Aides publiques aux entreprises : quelle définition et quel périmètre ?
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Aussi incroyable que cela puisse paraitre, les auteurs montrent que les administrations publiques ne produisent pas de documents indiquant précisément les montants en jeu, et donc leur évolution dans le temps. L’intérêt majeur du rapport est alors de pallier ce manque en proposant un cadre unifié qui permet de fournir un chiffre global du montant des aides publiques aux entreprises et de suivre son évolution à travers le temps.
Quatre critères doivent être remplis pour identifier un dispositif public comme étant une aide publique : (1) il s’agit d’un transfert de richesse ; (2) certain[1] ; (3) sans contrepartie financière et/ou matérielle pour l’État et (4) qui transite par les finances publiques françaises.
Contrairement à ce que défendent les économistes libéraux, les aides publiques ne sont pas seulement constituées des dépenses nettes de subventions[2]. Elles incluent également le renoncement de l’État à prélever l’ensemble des recettes qui lui sont dues. Par conséquent, la puissance publique dispose de deux leviers pour aider les entreprises : (1) augmenter les dépenses budgétaires de subventions ; (2) réduire les prélèvements obligatoires sur les entreprises en dérogeant à une norme de référence. On parle de dépenses fiscales lorsque l’État central renonce à prélever l’impôt, et de dépenses socio-fiscales lorsqu’il s’agit des administrations de Sécurité Sociale. C’est ce que résume le tableau 1.
Par exemple, quand le gouvernement décide de baisser le « coût du travail », il exonère en partie les entreprises de cotisations sociales, ce qui de ce fait diminue d’autant les recettes de la Sécurité Sociale.
Tableau 1. Les trois formes de dépenses relatives aux aides publiques aux entreprises.
Administrations publiques centrales
Administrations de Sécurité Sociale
Administrations publiques centrales et locales
Nature de l’aide publique
Dépenses fiscales
Dépenses socio-fiscales
Dépenses budgétaires
Montant de l’aide publique en 2022
48 milliards
(27% du total)
78 milliards
(45% du total)
49 milliards
(28% du total)
Interprétation
En dérogeant à une norme fiscale et/ou socio-fiscale de référence, l’État renonce à prélever l’ensemble des recettes fiscales et/ou socio-fiscales qui lui sont dues.
L’État engage son budget sous forme de dépenses de subventions.
Source : IRES, 2022.
[1] De ce fait, les instruments qui relèvent de la prise de participation ou de la garantie financière publique ne sont pas comptabilisés. Par exemple, les prêts garantis par l’État ne constituent qu’un coût potentiel pour les administrations publiques. En effet, ils sont voués à être remboursés par les entreprises. Ils ne constituent donc un coût certain que dans l’hypothèse où l’entreprise fait défaut et ne rembourse pas son prêt.
[2] C’est-à-dire les dépenses de subventions moins les impôts de production.
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Quel montant d’aides publiques pour les entreprises françaises ?
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Le rapport montre que le montant des aides publiques bénéficiant aux entreprises installées en France n’a cessé de croître, passant de 9 milliards d’euros (2,4% du PIB) en 1979 à 157 milliards d’euros (6,5% du PIB) en 2019. Le « quoi qu’il en coûte » et les dispositifs d’aides exceptionnels mis en place pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire du COVID 19 et de la crise inflationniste sont venus gonfler cette somme (192 milliards en 2021). En actualisant leur travail à l’aide des dernières données disponibles, les auteurs du rapport chiffrent le montant des aides publiques à 175 milliards d’euros (6,6% du PIB) en 2022. Les aides aux entreprises continuent donc à croître, et ce n’est pas la baisse du montant entre 2021 et 2022, qui s’explique par la sortie progressive du « quoi qu’il en coûte », qui remet en cause ce constat. La tendance de fond reste à une intervention croissante de l’État dans l’économie au service du capital, étant donné que le montant des aides en 2022 est supérieur à celui d’avant crise en 2019.
C’est ce que montre notamment l’évolution des exonérations de cotisations sociales patronales, qui représentent une part importante des aides publiques et dont le montant ne cesse d’augmenter, avec un total de 73,6 milliards d’euros en 2022, soit 40% environ du montant des aides. Cette tendance s’explique sur les deux dernières années par le fait que les rémunérations des travailleurs et travailleuses se tassent autour du salaire minimum (17,3% sont au SMIC en 2023, soit 3,1 millions de personnes, contre 12% en 2021). En effet, les bas salaires se font rattraper par le salaire minimum du fait de leur trop faible augmentation, en-dessous de l’inflation[1]. Alors que cette situation détériore leurs conditions de vie, elle fait cependant l’affaire du patronat, puisque des niveaux de salaires qui n’étaient auparavant pas éligibles aux exonérations le deviennent, de sorte que ces derniers reçoivent de plus en plus d’aides publiques sans le moindre effort, alimentant les profits et par la même les dividendes !
Source : IRES, 2022.
Pire, en ajoutant ce que les administrations publiques appellent les dépenses fiscales déclassées, le montant des aides publiques atteint 229 milliards d’euros en 2022 ! Par convention, les administrations publiques ne comptabilisent pas ces dépenses, considérant qu’elles représentent la nouvelle norme fiscale. En effet, leur intégration augmenterait considérablement le montant des aides publiques … Par exemple, le régime des sociétés mères et filiales est une des principales dépenses fiscales déclassées, car cette disposition fiscale, datant de 1990 et modifiée en 2003, est maintenant considérée comme représentant le nouveau système fiscal. Pourtant, grâce à ce régime, les dividendes distribués chaque année par les filiales d’une société sont en partie exonérées d’impôt sur les sociétés.
[1] Cela s’explique par l’absence d’une échelle mobile des salaires, qui consiste à augmenter l’ensemble des salaires en fonction de l’inflation afin de conserver le pouvoir d’achat.
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Derrière Ces milliards, des choix !
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Ainsi, la France dépense chaque année 175 milliards d’euros dans des aides sans conditions ni contreparties pour les entreprises, soit l’équivalent du quart du budget de l’État. Concrètement, cela en fait le principal poste de dépenses de l’État.
Ce montant représente également deux fois et demie le budget de l’Éducation nationale, quatre fois celui de la Transition écologique, sept fois celui de l’Enseignement supérieur et de la recherche ou encore onze fois celui de la Santé !
Encore, une étude récente réalisée pour la CGT montre que la création d’un million d’emplois et des hausses de salaires dans le secteur du soin et du lien, en rapport aux revendications exprimées, ne coûteraient même pas la moitié des aides aux entreprises (80 milliards d’euros). Il en est de même pour les besoins d’investissement nécessaires pour financer la transition écologique et énergétique (20 à 100 milliards selon les estimations).
Alors que le Ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire a appelé dans ses vœux à la réduction de la dépense publique et au désendettement de l’économie française, en d’autres termes à une casse toujours plus importante des services publics et de la protection sociale, ce rapport montre au contraire que d’autres choix sont possibles et que des marges de manœuvres importantes existent pour financer les propositions portées par la CGT, à condition de ne plus verser ces aides aux entreprises sans contreparties et sans conditions.
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À retenir :
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- La puissance publique peut aider les entreprises de deux façons : (1) en augmentant les dépenses budgétaires de subventions ; (2) en réduisant les prélèvements obligatoires.
- L’indicateur développé pour la CGT permet de chiffrer le montant global des aides publiques aux entreprises et de suivre son évolution dans le temps : en 2022, elles atteignent 174,8 milliards d’euros, voire 228,7 milliards en tenant compte des dépenses fiscales déclassées.
- D’autres choix sont donc possibles, car des marges de manœuvre importantes existent pour mettre en œuvre et financer les propositions portées par la CGT, à condition de ne plus verser ces aides aux entreprises sans contreparties et sans conditions.
- Les revendications de la CGT sont claires : conditionnalité sociale et environnementale des aides publiques aux entreprises, contrôle et suivi de l’utilisation des aides à partir des conditions et/ou des contreparties définies ou encore investissement dans les services publics et les emplois publics plutôt que versement d’aides publiques quand elles font preuve de leur inefficacité.