Mémo éco - Pertes de productivité du travail : est-ce vraiment la faute des travailleur·ses ?

Publié le 7 jan. 2025
Image
mémo éco

           

Dans une note publiée le 22 mars dernier, la Banque de France revient sur les pertes de productivité observées en France depuis la période pré-Covid. Depuis 2019, la productivité du travail a baissé de 8,5% par rapport à sa tendance pré-Covid. Les auteurs de l’étude mettent en évidence plusieurs éléments d’explications, qui permettent de comprendre plus de la moitié de ces pertes. Parmi eux, on trouve : le recours massif à l’apprentissage, la hausse de l’emploi dit non-qualifié en lien avec les réformes du marché du travail, les effets de la crise Covid et des rétentions de main d’œuvre dans certains secteurs d’activité. 

 

Productivité du travail : de quoi parle-t-on ?

 

Les économistes mesurent la productivité du travail par ce que l’on appelle la productivité « apparente » du travail, qui compare la production réalisée à la quantité de travail utilisée[1]. Deux mesures de la productivité sont proposées selon la façon dont la quantité de travail est mesurée. Si le volume de travail utilisé lors du processus de production est mesuré par le nombre d’heures travaillées, on parle alors de productivité horaire du travail. Cela permet de déterminer ce qui est produit par heure travaillée en moyenne sur une année. Lorsque le volume de travail est mesuré par le nombre de personnes en emploi, on parle cette fois de productivité par tête du travail. Cela permet de déterminer ce que produit chaque travailleur∙se en moyenne sur une année.

 

Mesurer la productivité permet généralement de déterminer l’efficacité du travail dans le processus de production. Plus le travail est efficace, plus les gains de productivité sont élevés, puisque la production est désormais plus importante pour une même quantité de travail utilisée[2]. En accroissant les richesses créées, les gains de productivité peuvent par exemple être utilisés pour augmenter les salaires des travailleur∙ses et/ou pour réduire le temps de travail.

 

Toutefois, depuis 2019, la productivité du travail a baissé de façon importante en France. Au deuxième trimestre 2023, elle se situait 5,2% sous son niveau pré-Covid, soit le quatrième trimestre 2019. Pire, la productivité du travail s’établissait 8,5% sous sa tendance pré-Covid[3]. C’est ce que montre le graphique de la Banque de France ci-dessous. Dans le reste de la zone euro, la baisse est quant à elle de 2,4% sur la même période. Les pertes de productivité du travail sont donc plus importantes et persistantes en France.

 

Décrochage de la productivité du travail en France  

[1] Comme le rappelle l’Insee, « la productivité « apparente du travail » ne tient compte que du seul facteur travail comme ressource mise en œuvre. Le terme « apparente » rappelle que la productivité dépend de l’ensemble des facteurs de production et de la façon dont ils sont combinés ». En d’autres termes, la productivité ne dépend pas que du travail, mais de la façon dont il est associé avec le capital dans le processus de production. Or on fait ici l’hypothèse que la productivité ne dépend que du seul travail.

[2] Ou alors les travailleur∙ses ont la capacité de produire la même chose avec une quantité de travail plus faible.

[3] La Banque de France compare en effet « le niveau de productivité effectivement constaté au niveau qui aurait dû être observé si la productivité par tête avait continué à croître depuis le début 2020 à un rythme comparable à celui de la période 2010-2019 ».

Quelles explications au décrochage de la productivité du travail ?

 

Alors que les libéraux et le patronat ont dès le début cherché à pointer la responsabilité des travailleuses et des travailleurs dans les pertes de productivité, en expliquant qu’elles seraient la conséquence d’une moindre efficacité en lien avec la perte de sens au travail, l’émergence du télétravail ou encore l’absentéisme au travail, l’étude de la Banque de France montre que cela n’est pas le cas[4], et souligne plutôt le rôle joué par les politiques publiques.

 

D’abord, 15% des pertes de productivité s’expliquent par le recours massif à l’apprentissage. Ce constat rejoint celui déjà dressé par la Dares en janvier 2023, pour qui le développement de l’alternance contribue à hauteur d’un cinquième des pertes de productivité du travail. Selon les auteur∙es de l’étude, « la hausse du nombre d’alternants, a priori moins productifs que le reste des personnes en emploi car étant plus jeunes, moins expérimentés et travaillant un volume d’heures plus faible du fait de leur temps de formation, est une des causes possibles de la baisse récente de la productivité du travail ». En subventionnant massivement les contrats d’apprentissage, les aides publiques à l’embauche d’un apprenti octroyées par l’État ont donc entrainé une hausse importante de ce type de contrats et une baisse de la productivité du travail. D’après les données de la Dares, c’est plus d’un million de personnes qui sont en contrat d’apprentissage au quatrième trimestre 2023, soit une hausse de plus de 530 000 contrats d’apprentissage depuis le quatrième trimestre 2019[5] !

 

Par ailleurs, 5% des pertes de productivité sont le résultat des effets de long terme de la pandémie de Covid-19, comme avec la désorganisation des chaines d’approvisionnement à la suite de la levée des confinements qui a entrainé des pénuries et des retards de production dans certains secteurs.

 

Ensuite, 15% s’expliquent par la hausse de l’emploi dit non-qualifié en lien avec les réformes du marché du travail. Autrement dit, en dérégulant le marché du travail au moyen des « ordonnances Macron » en 2017 ou des réformes de l’Assurance chômage en 2019 et 2023, le gouvernement a favorisé le développement d’emplois à bas salaires, précaires et à faible productivité. C’est d’ailleurs ce que traduit en partie la hausse du nombre de travailleuses et de travailleurs au SMIC depuis 2019.

 

Enfin, 20% des pertes de productivité s’expliquent par des rétentions de main d’œuvre dans certains secteurs. C’est ce que montre également l’OFCE dans une publication de janvier 2023, pour qui « les aides distribuées aux entreprises depuis la crise du Covid-19 ont pu aider certaines entreprises à maintenir un niveau d’emploi supérieur à leurs besoins immédiats […] mais également maintenir d’autres entreprises en vie alors même que celles-ci auraient dû faire faillite. Ce phénomène qui s’observe notamment par des défaillances d’entreprises moins nombreuses au cours des années 2020-2022 par rapport aux années précédentes peut expliquer une partie de cette baisse de productivité horaire du travail ».

 

D’une part, les aides publiques ont par exemple permis à des entreprises qui faisaient face à des difficultés d’approvisionnement, et qui ont dû réduire temporairement leur activité, de conserver les emplois, ce qui réduit mécaniquement la productivité. Dans les secteurs d’activité confrontés à des difficultés de recrutement, les aides publiques ont aussi permis aux entreprises de conserver des emplois dont elles n’avaient pas immédiatement besoin, pour ne pas se retrouver en difficulté de recrutement au moment où l’activité repart. Cela réduit aussi mécaniquement la productivité, puisque les entreprises ont un niveau d’emploi supérieur à leur besoin pour réaliser la production. D’autre part, les aides publiques ont permis à ce qu’on appelle les « entreprises zombies » de rester en vie, c’est-à-dire les entreprises dont la profitabilité n’est pas suffisante, et dont la faillite n’est évitée que par les aides publiques. Comme ces entreprises sont en moyenne moins productives et moins innovantes que les autres, leur maintien grâce au soutien public contribue à affaiblir la productivité du travail.

 

Décomposition des pertes de productivité par tête des branches marchandes au deuxième trimestre 2023
 

[4] La Banque de France montre d’ailleurs que les arrêts maladie n’ont joué aucun rôle dans les pertes de productivité du travail !

[5] Il nous faut toutefois préciser que la CGT n’est pas opposée à l’augmentation du nombre de contrats d’apprentissage.

 

 

À retenir 

 

  • La CGT n’est pas aveuglement pour une progression continue de la productivité. Nous l’avons dit ci-dessus pour l’apprentissage, mais nous pouvons l’affirmer également aujourd’hui dans un monde où l’économie doit intégrer la dimension environnementale.
  • Depuis 2019, la productivité du travail a baissé de 8,5% par rapport à sa tendance pré-Covid.
  • Ces pertes de productivité du travail ne sont pas la conséquence d’un manque d’efficacité des travailleurses en lien avec la perte de sens au travail, l’émergence du télétravail ou l’absentéisme au travail, mais plutôt le résultat des politiques publiques mises en œuvre par le gouvernement.
  • Les études sur le sujet mettent en évidence : (1) le recours massif à l’apprentissage, (2) la hausse de l’emploi dit non-qualifié en lien avec les réformes du marché du travail, (3) les effets de la crise Covid (4) et des rétentions de main d’œuvre dans certains secteurs d’activité.

 

Repère revendicatif