Mémo éco - Le capital est le grand gagnant de la crise

Publié le 4 fév. 2022
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 Comme dans chacun de ses numéros de janvier, la Lettre Vernimmen est revenue sur les dividendes et rachats d’actions versés aux actionnaires en 2021. Sans surprise, le capital est le gagnant de la pandémie.

 

Près de 70 milliards d’euros versés aux actionnaires

L’année 2020 avait été marquée par une baisse des dividendes versés du fait de la crise sanitaire. Soit la situation des entreprises ne permettait pas d’en verser, soit leur versement avait été interdit (comme dans le secteur bancaire).

L’« effort » imposé aux actionnaires aura été de courte durée puisque l’année 2021 marque un nouveau record historique avec 69,4 milliards d’euros versés aux actionnaires soit près de 10 milliards d’euros de plus que 2019, qui été déjà un record.

Les entreprises du CAC 40 ont donc reversé 98% des bénéfices 2020[1] à leurs actionnaires, ce qui ne laisse quasiment rien pour l’investissement et les réserves.

Rappelons que toutes les entreprises ont bénéficié d’argent public d’une façon ou d’une autre, soit par le chômage partiel, par les plans de relance ou a minima en profitant de la politique très accommodante de la Banque Centrale Européenne qui leur a permis de baisser fortement les taux d’intérêt.

Source : Lettre Vernimmen


[1] Les dividendes versés en 2021 le sont au titre de l’exercice comptable 2020. Les dividendes correspondent à une modalité d’affectation du résultat comptable.
Le rachat d’actions, instrument de gavage des actionnaires

Certaines entreprises ont d’ailleurs profité des faibles taux d’intérêts pour s’endetter et racheter leurs propres actions. Ainsi, les rachats d’actions sont plus de deux fois supérieurs à leur niveau de 2019.

Le rachat d’actions consiste pour une entreprise à racheter ses propres actions. Ces actions peuvent ensuite être distribuées aux salariés (notamment aux dirigeants via les fameuses stock-options) ou, et c’est la pratique la plus courante, être détruites pour réduire le nombre d’actions en circulation.

Pourquoi racheter les actions ?

Généralement, les entreprises rachètent leurs propres actions lorsqu’elles disposent d’une trésorerie surabondante et qui ne peut être utilisée dans des investissements rentables ou bien lorsque les taux d’intérêt sont très bas et que l’entreprise souhaite gaver ses actionnaires. L’année 2021 a été une conjugaison de ces deux facteurs, et un rappel de l’absurdité du capitalisme contemporain.

Quel intérêt pour l’actionnaire ?

Pour les actionnaires, l’intérêt est double. Le rachat d’actions permet de concentrer le capital et les dividendes futurs. Prenons l’exemple de L’Oréal pour comprendre :

En 2021, l’Oréal a racheté pas moins de 10 milliards d’euros de ses propres actions. La société a notamment racheté 4% de ses actions (et donc de son capital) qui étaient détenues par Nestlé. L’Oréal a donc déboursé 8,9 milliards d’euros pour racheter une partie des actions l’Oréal détenues par Nestlé.

Une fois ces actions rachetées, l’Oréal a tout simplement supprimé ces actions.

Pour la famille Bettencourt Meyers, le résultat est immédiat. Sans acheter une seule action ni débourser un seul centime, la part qu’ils détiennent de l’Oréal est passée de 33,3% à 34,7%[1].

Pour 2022, puisque le capital de l’Oréal sera composé de moins d’actions, le bénéfice par action sera forcément supérieur par rapport à ce qu’il aurait été sans cette annulation d’action.

De plus, la famille Bettencourt Meyers touchera non pas 33,3% mais 34,7% des dividendes. Si le dividende est le même qu’en 2021 (on peut penser qu’il sera supérieur encore) soit 2,26 milliards d’euros, cela fait tout de même 32 millions d’euros de plus pour eux, une bagatelle…

Pour résumer, moins d’actions en circulation implique un bénéfice par action plus important, ce qui stimule aussi la demande d’actions et fait donc grimper leur cours.

Le rachat d’action permet de distribuer des bénéfices « exceptionnels »

Le rachat d’actions est également fortement utilisé pour distribuer des bénéfices « exceptionnels ». En effet, alors que la doxa économique explique que les investisseurs prennent des risques et que les dividendes sont la juste récompense de ce risque, dans les faits les entreprises qui diminuent leurs dividendes sont extrêmement rares. Une fois que le dividende est augmenté, ce nouveau dividende devient en quelque sorte un plancher.

A l’inverse, les rachats d’actions sont des programmes ponctuels. Ainsi, les banques ont procédé à de nombreux rachats d’actions en 2021 pour rattraper les dividendes qu’elles n’avaient pas pu verser en 2020 du fait des règles des autorités bancaires. Grâce aux rachats d’actions, elles ont pu verser un maximum à leurs actionnaires sans toutefois faire exploser leur dividende, au « risque » de faire de ce dividende exceptionnel un nouveau standard.


[1] Avant l’annulation, la famille détenait 33,3% Puisque 4% des actions l’Oréal ont été annulées, la part de détention était de 33,3/96 soit 34,7/100.
Les plus gros verseurs de dividendes

Nous avons déjà parlé du cas de l’Oréal qui a déversé plus de 12 milliards d’euros sur ces actionnaires soit 20% du total des versements des actionnaires du CAC 40. D’autres entreprises se sont aussi illustrées par des dividendes mirobolants et carrément scandaleux dans le cas de SANOFI.

Sur la deuxième place du podium on retrouve TotalEnergies. Quand la moitié des Français-e-s a dû se contenter d’un chèque de 100€ pour faire face, entre autres, à l’augmentation du prix des carburants, les actionnaires de TotalEnergies se partageaient un pactole de plus de 7 milliards d’euros. Ces 7 milliards d’euros représentent plus de deux fois cette « prime inflation ».

La 3ème place est occupée par Sanofi. L’année 2021 du groupe pharmaceutique a pourtant a été marquée par un échec cuisant dans le développement d’un vaccin contre le Covid-19. Cet échec est le résultat d’une logique court-termiste menée depuis des années, qui a conduit à privilégier les dividendes aux investissements. Aucune leçon n’a semble-t-il était tirée de cet échec puisque cela n’a pas empêché le groupe de verser 4,4 milliards d’euros à ses actionnaires.

Les dividendes des autres entreprises, listés en annexe, n’en sont pas forcément moins scandaleux mais nous ne reviendrons pas ici sur chaque cas.

En 2021, seules 5 entreprises n’ont pas versé de dividendes (Renault, Airbus, Unibail-Rodamco-Westfield, Alstom et Wordline). Si c’est un acte de prudence logique, ne pas verser de dividende n’exonère évidemment pas de toute critique. Rappelons qu’Amazon, comme de nombreuses entreprises technologiques, ne verse pas de dividendes, l’objectif étant de concentrer les profits pour assurer la croissance de la société et accroitre son pouvoir de marché.

Conclusion

Ces chiffres tombent tout juste une semaine après que le Medef, suivi par l’UIMM, réclame une nouvelle baisse des impôts de production de 35 milliards d’euros. Difficile de croire à leur discours misérabiliste d’entrepreneur acculé par les impôts à la lecture de ces chiffres. Ce ne sont évidemment pas les impôts et cotisations qui plombent l’industrie française mais bel et bien l’insatiabilité des actionnaires.

Cette nuisance des actionnaires « ruisselle » d’ailleurs sur toute l’économie, notamment les TPE/PME. Alors que ces grands groupes avaient visiblement trop de trésorerie, vu les rachats d’actions par milliards, les chiffres de la Banque de France montrent que près de 60% des grandes entreprises ont payé leurs fournisseurs avec retard. Ce chiffre n’est que de 27% pour les PME, principales fournisseuses des grandes entreprises et donc victimes de leurs retards de paiement.

Près de 70 milliards d’euros versés aux actionnaires, cela représente l’équivalent d’un peu plus de 1 000€ par Français-e. Français-e-s par ailleurs de plus en plus touché-e-s par la pauvreté. Selon le Secours Catholique, entre 5 et 7 millions de personnes sont dépendants de l’aide alimentaire pour se nourrir. Même en prenant l’estimation haute de 7 millions, les actionnaires du CAC 40 auraient pu verser 10 000€ à chacun de ces pauvres, de quoi leur permettre de se nourrir.

Au salaire médian, un salarié « coûte » 35 804€ à son employeur selon Pôle emploi[1]. Ces 69,4 milliards d’euros correspondent donc à la masse salariale (cotisations patronales incluses) pour 1 940 000 salarié-e-s. Dans ces sociétés du CAC 40, il y a donc largement de quoi baisser le temps de travail et augmenter les salaires, à condition de rogner sur les dividendes et d’en finir avec le coût du capital.

Ces chiffres représentent également plus de 2 fois la dette des hôpitaux publics[2] ou encore près de 6 fois le budget du ministère de la Justice. Enfin, c’est plus de la moitié des 136 milliards d’euros de dette publique transférés à la Cades et pour lesquels le gouvernement a décidé de prolonger la CRDS et une partie de la CSG jusque 2033.

Nos revendications sont plus que jamais pertinentes. Hausse des salaires, réduction du temps de travail, création de pôles publics pour en finir avec la logique du capital sur des secteurs aussi clé que l’énergie ou le médicament, contrôle et conditionnalité des aides, investissements publics… Il y a bien deux mondes qui continuent de s’affronter ; celui du travail, de la réponse aux besoins et de l’intérêt général d’un côté. Celui de la prédation d’une classe sociale petite par la taille, mais qui concentre et le pouvoir et l’argent de l’autre. Le gouvernement reste pour l’instant farouchement du côté de ceux qui ont déjà tout, et qui continuent à prendre toujours plus grâce à un système économique en phase terminale, qui ne survit que grâce à l’argent public.


[1] Simulateur Urssaf, Pôle Emploi

[2] Rappelons que la dette est un stock, en l’occurrence ici la somme des déficits des hôpitaux publics alors que les dividendes sont des flux, versés chaque année.

Annexe :
 

Rachats bruts
d'actions en 2021 (en millions d'euros)

Dividendes versés
en cash en 2021 (en millions d'euros)

Total

L'oréal

10009

2264

12273

TotalEnergies

140

6943

7083

Sanofi

380

4008

4388

Stellantis

2

4199

4201

Axa

666

3403

4069

Arcelor Mittal

3737

256

3993

LVMH

489

3026

3515

Crédit Agricole

1057

2333

3390

Orange

5

2394

2399

BNP Paribas

900

1387

2287

Danone

817

1363

2180

Schneider Electric

262

1447

1709

Vinci

540

1157

1697

kering

502

998

1500

Air Liquide

40

1333

1373

Vivendi

691

653

1344

Engie

2

1296

1298

Saint-Gobain

500

698

1198

Carrefour

700

383

1083

Société Générale

554

468

1022

Essilor-Luxottica

333

641

974

Pernod-Ricard

20

814

834

STMicrolectronics

408

275

683

Bouygues

17

647

664

Hermès

158

485

643

Cap Gemini

196

329

525

Legrand

95

378

473

Dassault Systèmes

307

147

454

Thalès

52

375

427

Michelin

1

410

411

Veolia

-10

397

387

Publicis

124

227

351

Safran

72

183

255

Teleperformance

4

141

145

Eurofins Scientific

 

130

130

Renault

36

 

36

Airbus

4

 

4

Unibail-Rodamco-Westfield

   

0

Alstom

   

0

Wordline

-6

 

-6

Source : Lettre Vernimmen

Repère revendicatif